Médecins de la Grande Guerre

Cogge et Geraerts inondent l'Yser.

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Cogge et Geraerts inondent l'Yser.

C. L. Cogge de Furnes. Belges ! Souvenez-vous de ce brave serviteur, en qui, pendant les journées critiques d’octobre 1914, la Patrie mit son dernier espoir et dont le dévouement, le courage et l’abnégation jouèrent un rôle à jamais glorieux dans les inondations de l’Yser.

Hendrik Geeraert - 15 juillet 1863 - 17 janvier 1925

Hendrik Geeraerts - 15 juillet 1863 - 17 janvier 1925

A Veurne – Buste de Charles Cogge.

Nieuport – Les 6 canaux et cours d’eau débouchant dans le canal de l’Yser. (cliché du T.C.B.)

Ramscapelle – Inondations de l’Yser.

Ruines de Nieuport – Les écluses de l’Yser.

Les écluses de l’Yser.

Plaque commémorative à proximité de l'écluse Noordvaart de la Patte d'Oie de Nieuport

Cogge et Geeraerts inondent l’Yser[1]

 

     Il y a sept jours que nos troupes – à qui les Alliés avaient demandé de tenir quarante-huit heures – combattent sans répit, sept jours et sept nuits.

     Toutes les réserves sont engagées. Les hommes, haves, déguenillés, tenaillés par la faim, abrutis de misère et de sommeil, sont arrivés au dernier point de l’épuisement. Les Allemands ont passé l’Yser et ont pris pied dans la boucle de Tervaete. Une charge menée par des fantômes les a refoulés pour un instant, mais ils reviennent en colonnes serrées et leurs masses se répandent par le champ de bataille.

     L’Allemagne portait tout son effort contre la ligne Nieuport-Dixmude. L’empereur était arrivé à Thielt pour assister à la victoire...

     Dans Furnes, à dix kilomètres de la bataille, des milliers de blessés encombraient la petite ville. Sans cesse, il en arrivait de nouveaux dans les voitures d’ambulance, d’où le sang giclait, dans des charrettes qui ressemblaient à des étals de boucher. Des soldats sans armes vaguaient dans les rues ou s’affalaient sur les trottoirs...

     Pendant ces heures terribles, l’Etat-major belge se préoccupait de l’idée de tendre une inondation dans les Polders longeant le petit fleuve, inondation qui seule, faute de renfort, pouvait arrêter l’ennemi. Pour réaliser ce plan, on eut recours à la vieille expérience du maître-éclusier Cogge de Nieuport, qui renseigna le Colonel Nuyten sur le régime hydrographique de la région.

     Il fut décidé qu’on aveuglerait tous les aqueducs du remblai du chemin de fer de Dixmude à Nieuport de façon à ce que les troupes belges ne fussent pas gênées par l’inondation.

     Accompagné d’officiers du génie, Cogge parcourt tout le remblai du chemin de fer en indiquant l’emplacement des caniveaux à boucher. Seulement, à chaque instant, des obus frappent le remblai et la voie et, à quelques centaines de mètres en arrière, surgissent des colonnes de flammes, de fumé et de terre, pareilles à des fantômes qui se lèvent tout à coup. Dans les zones particulièrement battues par les projectiles, les hommes courent, sautent par-dessus les fossés, franchissent les haies, trébuchent, tombent, se relèvent pour reprendre leur course hasardeuse. C’est ainsi que le vieil éclusier traversa la mitraille et la grêle de balles pour servir lui aussi son pays et son Roi. Sans son intervention, le haut commandement n’aurait sûrement pas eu, en temps utile, les renseignements indispensables pour tendre l’inondation.

     Toute la nuit, les troupes du génie travaillèrent sous le feu de l’ennemi à fermer les ouvertures du remblai au moyen de sacs de terre. Les efforts des vaillants pionniers avaient abouti le 27 au soir et, la même nuit, Cogge se rendit avec le capitaine Thys à l’ancienne écluse espagnole pour donner accès aux eaux de la mer.

     Les voici donc au bord du chenal, puis à l’écluse. La vieille porte, massive et noire dans les ténèbres, est assujettie par une lourde chaine de fer, qu’il faut briser. Ils attendent ensuite dans la nuit l’instant d’agir, quand la marée sera étale... Le tonnerre de la bataille a cessé dans la plaine. Par instants, des fusées montent là-bas dans le ciel... Dans le lointain par delà l’horizon, le fracas des assauts de Dixmude et des rougeoiements. Les voix confuses de la marée montante amènent la brise du large. L’heure est venue, la manœuvre réussit. Mais au bout de quelque temps, les battants se referment, l’opération de salut est manquée.

     La nuit suivante, Cogge et Thys revinrent à l’écluse et assujettirent la porte avec un câble d’acier. La manœuvre réussit cette fois à souhait.

     Cependant les Allemands avaient passé le chemin de fer. Au quartier général de Wulpen, on considérait la partie comme perdue. Peut-être restait-il un dernier moyen à tenter : au risque d’un désastre, ouvrir la grande écluse du Noordvaart, afin que la mer se précipite en torrents dans la plaine.

     Ce fut le capitaine Umé qui assuma cette entreprise extrêmement périlleuse, car le déversoir du Noordvaart se trouvait dans le « no man’s land » c'est-à-dire dans la zone située entre les deux fronts. Pour ce faire, il eut recours aux services du batelier Geeraerts qui se souvenait d’une forte marée ayant atteint la place de l’Hôtel de Ville. Précisément  on était à l’époque des grandes marées. Sans cette circonstance, l’inondation était impossible.

    Le capitaine Umé se rendit sur place avec Geeraerts et un détachement du génie. Ils s’attendaient au brusque claquement des mitrailleuses se démasquant tout à coup de l’ombre, devant eux, et balayant les passerelles... Mais, à leur profonde surprise, l’ombre resta endormie. Ils travaillèrent fébrilement, car il fallait profiter du moment précis où la marée basse est étale parce que, dès que le flot a monté d’un côté des écluses, la pression de l’eau contre les vannes les immobilise...

     Enfin les seize vannes fonctionnèrent. L’eau montante se déversait par les ouvertures avec des bouillonnements et des coups sourds et, le 29 octobre, à 19 heures 30, la marée se précipitait dans la plaine.

     Alors les cinq hommes s’élancèrent sur le chemin du retour. Ils coururent à travers les plates-formes, les esplanades des quais, par les portes des écluses, refaisant le trajet qu’ils venaient de faire, vers les lignes alliées. Ils allèrent se réfugier dans un cabaret, sur le quai de l’Yser, où ils attendirent pendant six heures l’instant d’aller refermer les vannes.

     Six heures d’angoisse !  Après des transes terribles, l’officier et ses hommes reprirent le chemin des écluses et des ponts. Par miracle, les Allemands semblaient ne s’être rendu compte de rien. Pas un obus ne vint troubler la besogne impérieuse, pas un coup de fusil n’accueillit les travailleurs pressés par le flot et la hâte de fuir.

     A partir de cette date, le batelier Geeraerts vécut au milieu des soldats du génie prenant ses repas avec eux et se rendant chaque nuit avec eux au déversoir pour la manœuvre des vannes...

     Les Allemands avaient pensé tout d’abord que les pluies des derniers jours avaient causé une crue momentanée, se faisant sentir par le gonflement des fossés et des canaux ; mais, au matin du 31 octobre, ce fut le débordement et l’arrivée rapide de l’eau dans leurs tranchées. Ceux qui étaient sur le remblai du chemin de fer virent à leur grande surprise derrière eux une nappe liquide s’étendant à plusieurs kilomètres. On tentait de sauver les canons ; les artilleurs poussaient aux roues qui s’enlisaient ; mais l’eau atteignait bientôt le poitrail des chevaux...

     C’est ainsi que plusieurs milliers d’Allemands se noyèrent dans les fossés profonds qu’ils essayèrent en vain de traverser. Pendant que l’armée du Kaiser orgueilleux était en déroute, l’artillerie belge lançait ses dernières rafales sur des grappes d’ennemis réfugiés çà et là sur des îlots.

     Le miracle des écluses.                                                                          

                                      Léon Rycx.  

 

 



[1] Nos Héros & Nos Martyrs de la Grande Guerre par Hubert Depester. Duculot, imprimeur-éditeur, Tamines. 1922



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