Médecins de la Grande Guerre
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Un tout grand merci à Madame la directrice et au Conservateur du Musée gruérien Bulle, pour nous avoir envoyé ces trois jolies photos. Le capitaine Glasson,
l’homme qui servit sous quatre drapeaux[1] Il est dans
la tradition militaire des enfants de la Suisse de se mettre au service des
causes qui leur sont, la plupart du temps, étrangères. L’histoire fourmille de ces exemples. Que ce
soit en vertu de « capitulations » ou pour consacrer de veilles
habitudes, on trouvera toujours les Suisses là où il y a des coups à donner et
à recevoir. Pierre-Félix Glasson (1886-1929) – huile sur toile de Théodore Robert. (Musée gruérien Bulle (Suisse)) Sans
remonter trop loin dans le passé, il faut se souvenir des régiments suisses des
rois de France, au premier rang de la ligne de bataille et souvent jusqu’au
sacrifice total. L’holocauste des Tuileries, le 10 août 1792, est là pour
illustrer leur devise « Honneur et Fidélité » reprise plus tard par
la Légion Etrangère. On les retrouve dans les armées napoléoniennes et dans
celles de la Restauration avec lesquelles ils feront campagne au-delà des
Pyrénées. Ils comptent en grand nombre dans le régiment de Hohenlohe. Ils se
feront encore tuer au cours des « Trois Glorieuses » pour défendre le
trône de Charles X. Même l’armée des Pays-Bas en possédera à ses effectifs
jusqu’en 1829. Le premier colonel de la Légion Etrangère, créée par
l’ordonnance du 10 mars 1831, sera un Suisse : Stoffel. Et, depuis plus de
cent quarante ans, les citoyens de la Confédération helvétique ont alimenté ses
rangs de notable façon jusqu’à former, en 1856, après la campagne de Crimée, un
régiment entier : le 1er Etranger. Celui-ci était habillé de
vert pour le différencier du 2ème, vêtu des couleurs
traditionnelles : bleu et rouge. Au cours de
la guerre de 1914-1918, 28 officiers, 186 sous-officiers et 2.566 hommes de
troupe de nationalité suisse ont servi dans les différentes formations de la
Légion Etrangère[2].
En 1939-1945 ils y étaient à peine moins nombreux. Ainsi, au
cours des siècles, les Suisses ont fait preuve de leur valeur et de leur
intrépidité sans marchander leurs efforts. Et si l’axiome « pas d’argent
pas de Suisse » pouvait être courant aux XVIè et XVIIè siècles, il ne se
vérifiera plus par la suite. Il suffit de constater que, depuis des décennies,
un ressortissant des cantons peut s’engager à la Légion s’il acquitte, en
espèces, « l’impôt du service » à la caisse fédérale. C’est d’un
de ceux-là que je veux entretenir le lecteur puisque, par maints côtés, il a
aussi été des nôtres. * * *
Pierre-Félix-François Glasson est né à Fribourg le 7 octobre 1886 d’une
vieille souche gruérienne dont les origines remontent au XIIIè siècle. Il
compte, parmi ses aïeux, de nombreux personnages ayant servi la France, soit
par l’épée soit dans les conseils élus, de même que les parents ayant leur
place dans l’administration, la magistrature et la représentation nationale de
leur pays natal[3]. Après des
études de droits commencées à Fribourg et achevées à Munich, Glasson opte pour
la carrière militaire et est nommé sous-lieutenant d’infanterie le 24 décembre
1909. En 1911, il rejoint à Rome le colonel Repond, commandant la Garde Suisse
et entre, avec le grade de capitaine, au service du Saint-Siège. La mobilisation de 1914 le rappelle dans sa
patrie. Lorsqu’il constate que la menace d’une agression contre celle-ci
s’estompe, il décide de vouer son épée à la cause « d’un peuple frère
injustement attaqué[4] ». Il est
autorisé à entrer dans l’armée belge le 21 février 1915[5]. A part les
princes Sixte et Xavier de Bourbon-Parme qui servirent dans nos rangs, il est
peu d’exemples d’étrangers neutres ayant fait campagne comme officier sur
l’Yser. Glasson
séjourne d’abord au centre d’instruction des sous-lieutenants auxiliaires
instructeurs à Bayeux de la fin février à la mi-avril, est affecté au régiment
des grenadiers le 17 du même mois et commissionné lieutenant de réserve pour la
durée de la guerre le lendemain. Il commande le 1er peloton de la 1ère
compagnie du 1er bataillon sous les ordres du capitaine-commandant
comte Cornet de Ways-Ruart et prend dès son arrivée son service aux tranchées[6]. Le 20, le
bataillon est relevé et s’en va au repos à Oostvleteren. Pas pour longtemps,
car le 22, à 17 heures, un violent bombardement est déclenché sur les lignes
françaises tenues par les territoriaux à la droite de notre dispositif défensif
entre Bikschote et Langemark et l’on voit des jets de vapeur cuivrée qui, sous
l’action d’une bise soufflant du N.E., se muent bientôt en un nuage opaque
roulant au ras du sol. C’est la première attaque par gaz...[7] Suffoqués,
les territoriaux ont lâché pied, un vide béant se creuse à notre droite, il
faut colmater la brèche d’urgence. Toutes les unités en réserve, au repos ou au
piquet sont rameutées. Le 1er bataillon se hâte, vers le canal où
les Allemands, qui ont pris Steenstraete, tentent de s’emparer du pont pour
déboucher dans nos lignes. Dans son compte rendu, le capitaine-commandant comte
Cornet de Ways-Ruart relate : Ma compagnie constituée à deux petits
pelotons fut portée en avant en prenant pour axe le chemin de terre joignant le
moulin de Lizerne au pont de l’Yperlée sur la route de Steenstraete. Le peloton
Glasson progressait au nord sous de violentes rafales de mitrailleuses. Sa
patrouille de tête tomba dans une embuscade et fut égorgée. Le 2ème
peloton, commandé par le premier-sergent Duchemin, subit de lourdes pertes,
sont chef fut tué. Je jugeai que par mes propres moyens aucune progression
n’était possible. J’en avisai le major B.E.M. Donies en lui demandant du
renfort[8]. Etayée par la 1ère compagnie du IV, la
compagnie Cornet se met en route vers le moulin de Lizerne en pleine obscurité
(il est 23 h 20) et forme un crochet défensif empêchant les Allemands de
prendre la ligne du canal à revers. Malgré tous ses efforts l’ennemi échouera
devant l’opiniâtre résistance des nôtres. Les troupes du crochet, malgré le
bombardement qui prenait d’enfilade leurs tranchées hâtivement creusées, malgré
la menace constante de l’abordage, tinrent sans aucune défaillance leurs
positions, justifiant ainsi la confiance absolue de leurs chefs dans leur
ténacité et leur bravoure.[9] Le 24 avril, à 21 h 30, le régiment des grenadiers est
relevé par le 3ème de ligne. Pour son baptême du feu, le lieutenant
Glasson a fait montre de qualités indéniables de courage, de résolution et de
sang-froid dans ces circonstances exceptionnelles. Il ne
devait d’ailleurs pas en rester là. Le 17 juin, il prend le commandement de la
1ère compagnie en remplacement du capitaine-commandant comte Cornet
de Ways-Ruart, muté. Le 30, la 6ème D.A. passe en réserve mais, pour
quelques jours encore, le régiment des grenadiers restera chargé de la défense
du secteur sud. Il est dès lors et jusqu’au 14 juillet sous ordres du
lieutenant général Bernheim. Entretemps, le 10, une expédition est organisée au-delà
du canal par les troupes aux tranchées, précédée d’une reconnaissance du
terrain pour laquelle le lieutenant Glasson se porte volontaire. Menée avec
entrain, l’opération mérite les honneurs de l’ordre du jour du commandant de la
1ère D.A. en date du surlendemain : Par suite d’exigences d’ordre militaire, le
régiment des grenadiers n’a pu suivre sa division au repos et participa 14
jours supplémentaires à la défense du secteur assigné à la 1ère D.A.
Il a voulu se signaler avant son départ par une expédition dont le résumé
figure au bulletin d’information du 11. Sous l’impulsion du lieutenant Glasson
et du sous-lieutenant auxiliaire Hendrickx, des patrouilles sont sorties du
redan situé en face du secteur pour se débarrasser du voisinage incommode des
Allemands. Un pionnier ennemi est resté entre nos mains. Comme suite à cette
entreprise audacieuse, je porte à l’ordre de la division le lieutenant Glasson,
le sous-lieutenant auxiliaire Hendrickx et tous les participants[10]. Le 19 juillet, le lieutenant Glasson se voyait
décerner la croix de chevalier de l’Ordre de Léopold avec la citation suivante : Pour la bravoure dont il a fait preuve en
exécutant seul dans la nuit du 10 au 11 juillet 1915, sous le feu de l’ennemi,
une reconnaissance en avant d’un poste avancé et en rapportant des
renseignements qui permirent d’enlever un poste d’écoute ennemi[11]. Cette dixtinction lui fut remise par le Roi à La Panne
le 5 août suivant. A cette occasion le Souverain, en s’arrêtant devant lui, eut
ces simples paroles : « Ah ! Glasson, je vous connais ! »,
manifestant ainsi mieux que par une longue tirade la satisfaction qu’il
éprouvait à le féliciter[12]. Le 29
novembre 1915, le lieutenant Glasson était commissionné capitaine de réserve
pour la durée de la guerre. Le 15 septembre 1916, il recevait la croix de
guerre avec palme. Le 26 décembre, il passait au 2ème régiment de
grenadiers reconstitué et prenait le commandement de la 6ème
compagnie[13]. Voici,
exprimée par lui-même, la conception qu’il avait du rôle d’un capitaine d’infanterie
au cours des hostilités : Le capitaine Glasson, à la tête de sa Compagnie de Grenadiers belges, sur l’Yser, en 1916. (Musée gruérien Bulle (Suisse)) Il faut que le capitaine soit l’homme fort
que la bataille enivre de sa lucide ivresse. Il ne faut pas qu’il soit
simplement l’officier que l’Etat a doté de trois galons d’or ou d’argent mais
le chef, le chef dont la personnalité puissante déborde sur ceux qui l’entourent.
Il faut qu’il agisse sur ses hommes par rayonnement. Aux jours de bataille, il
faut que d’un regard plongeant au fond de leurs yeux, il redresse ses hommes, d’un
mot il les anime, d’un sourire il les rassure. Alors il sera l’entraîneur, le
meneur d’hommes. Il pourra, tour à tour, être le chef qui commande ou qui punit
impitoyablement, l’ami qui encourage, le père qui console et qui pardonne[14]. * * * Cette
conception du rôle de commandant d’une compagnie au feu, Glasson continua à la
faire sienne lorsqu’il eut décidé, en mai 1917, de prendre du service dans l’armée
française, au régiment de marche de la Légion Etrangère. Licencié par
résiliation d’engagement le 17 mai de cette année[15],
il avait fait, le lendemain, d’émouvants adieux à ses braves grenadiers belges[16].
Mais il lui fallut près de quatre mois pour être confirmé en France, par décret
présidentiel, dans son grade de capitaine étranger « à titre temporaire
pour la durée de la guerre ». Ce n’est que le 14 septembre 1917 que
Glasson obtint le commandement de la 6ème compagnie du régiment de
marche de la Légion Etrangère[17]. Celui-ci se
trouve en ce moment au repos au camp de Bois-l’Evêque. La première
manifestation grandiose à laquelle assiste Glasson est la remise de la croix de
la Légion d’Honneur au drapeau de son régiment, déjà titulaire de cinq
citations à l’ordre de l’armée, et qui, depuis le 16 juin, porte la fourragère
aux couleurs de la médaille militaire, le premier de tous les corps français à
s’être vu conférer cet insigne. Le 27
septembre, le général Pétain, commandant en chef, accompagné du général Gérard,
commandant l’armée, et du général Daugan, commandant la division marocaine,
décore solennellement l’emblème : « Vous ne vous arrêterez pas dans
vos succès, dit-il, je ne m’arrêterai pas non plus, dussé-je inventer pour vous
de nouvelles récompenses. » C’était en germe la promesse de la fourragère
rouge que le régiment de marche reçoit moins de cinq semaines plus tard, le 3
novembre[18]. Le 30
octobre, la Légion prend le secteur de Flirey qui, depuis la guerre de mines de
1915, s’est assoupi. Avec elle tout va changer : patrouilles, gaz, tirs de
mitrailleuses, coups de main se succèdent à l’envi. L’ennemi n’a plus un
instant de répit. Il tente de réagir le 3 décembre et le 5 janvier, mais échoue
piteusement. Le 8 janvier, la réplique lui est donnée par un coup de main de
grande envergure. Ce sera la première grosse bagarre à laquelle assistera la
capitaine Glasson sous l’uniforme français. Son bataillon et le IIIè enlèvent
tout le saillant adverse du Renard jusqu’à la lisière du bois de Mortmare. Ils
maintiennent l’occupation du terrain conquis le temps nécessaire à la
destruction et à l’incendie de tous les ouvrages ennemis, puis se replient dans
un ordre parfait en ramenant cent dix prisonniers et un important matériel[19]. Remplacée
par une brigade américaine qui vient dans ce secteur s’initier à la guerre de
tranchées, la Légion passe en réserve de commandement du 20 janvier au 31 mars
1918. Elle en profite pour s’entraîner en vue de la lutte décisive qu’on sent
approcher. Le 21 mars, Ludendorff enfonce les défenses anglaises et menace
Amiens. Le
capitaine Glasson avait en poche une permission lui permettant de passer
quelques semaines auprès des siens. Vu les circonstances, il y renonce.
Embarqué le 1er avril, le régiment de marche de la Légion va tenir
pendant trois semaines la région de Cotenchy-bois du Paraclet, attendant une
occasion propice pour foncer. Le jour de l’attaque est fixé : ce sera le
26 avril[20]. Ecoutons la
relation de ce combat du bois de Hangard par Glasson lui-même : Le 26 avril à 5 h 15 du matin, mon régiment,
à droite de la division marocaine, attaquait au S.E. d’Amiens sur le plateau de
Gentelles ayant pour objectif la lisière est du bois Hangard. Le combat fut
extrêmement dur, les Allemands ayant amené sur place deux divisions fraîches.
Des deux bataillons de tête, le I et le III, il ne resta, après deux heures de
lutte, qu’un officier, le lieutenant Lamare et environ 150 hommes accrochés
dans le bois. Un trou énorme s’était formé entre la gauche de ces éléments et
le 4ème tunisiens qui attaquait plus au nord. Les Allemands s’y
infiltraient et avaient pris pied dans un élément de tranchée immédiatement
parallèle à la route de Villers-Bretonneux. Je reçus l’ordre d’atteindre cet
objectif avec deux sections et quatre mitrailleuses et d’en déloger l’ennemi.
Le plateau de Gentelles était recouvert d’un épais brouillard. Pas un point de
repère visible. Le dépard s’effectua dans des conditions difficiles sous un
violent feu d’artillerie et d’infanterie. J’avais neuf cent mètres à franchir
jusqu’à l’objectif. Par ce brouillard je pris le parti de brusquer mon attaque.
La boussole me permit de réaliser ce plan et d’agir avec la rapidité et la
décision voulues. Un quart d’heure après avoir reçu l’ordre d’attaquer, je
sautais dans la tranchée, en expulsait l’ennemi et faisais 60 prisonniers[21]. Le 21 mai, le capitaine Glasson était cité à l’ordre
du Corps d’armée : Le 26 avril 1918, a magnifiquement entraîné
sa compagnie sur un terrain violemment battu par l’artillerie et les
mitrailleuses. Par l’habileté et la décision de sa manœuvre, a forcé le repli
de l’ennemi et atteint son objectif avec un minimum de pertes[22]. Il est encore à Amblény Saint-Bandry le 9 juin et
relate ainsi cet engagement : C’était le 8 juin au soir à Amblémy, à l’ouest
de Soissons. Le front était à peine stabilisé. Après la percée du Chemin des
Dames, on avait jeté dans le trou ma division avec d’autres pour arrêter l’avance
des Allemands. Ceux-ci, après avoir pivoté sur leur droite appuyée à l’Aisne,
marchaient face à l’ouest, entre Amblémy et Château-Thierry, ayant pour
objectif à leur centre Villers-Cotterêts. Le 8, dans la nuit, il nous fut
communiqué que des rassemblements suspects faisaient prévoir une attaque pour
le lendemain. Nous venions d’arriver sur la position dont l’organisation
défensive constituait en quelques trous à peine aménagés. Les Allemands,
espérant agir par surprise, n’ouvrirent le feu de leur artillerie que le 9 à 3
heures du matin. Or, quand au petit jour, l’attaque de l’infanterie se
déclencha, elle vint se briser complètement sur un mince réseau de fil de fer
construit récemment et qui n’avait pas été repéré. Pris sous un feu intense d’armes
automatiques, ce réseau était infranchissable. L’ennemi reflua avec des pertes
énormes et s’en tint désormais là[23]. Mais la fin de la guerre est proche. Le 18 juillet,
Mangin démarre. L’ennemi est partout bousculé. La ferme La Glaux, Dommiers,
Chaudun sont emportés par la Légion qui déborde Aconin et le bois Gérard. La
compagnie Glasson atteint le 19 à 9 heures la route Château-Thierry-Soissons ;
elle est en flèche après avoir progressé de onze kilomètres en terrain libre[24]. Le
lendemain, 20 juillet, le capitaine Glasson est blessé d’un éclat d’obus au
bras droit et fortement intoxiqué par les gaz. Il n’abandonnera cependant son
commandement qu’à l’arrivée d’un remplaçant. Le 15 août,
il est cité à l’ordre de la division marocaine : Officier d’un grand courage. Blessé à la
tête de sa compagnie, resté seul officier, n’a pas voulu se laisser évacuer
avant d’avoir passé son commandement à un officier d’une autre unité désigné
par son chef de bataillon[25]. Sa convalescence fut longue et si la blessure devait
se cicatriser, ses poumons, au contraire, mortellement gangrenés, ne lui
laissaient plus que onze ans à vivre. Pierre-Félix Glasson, capitaine à la Légion étrangère. (Musée gruérien Bulle (Suisse)) Le 10 mars 1919, le capitaine Glasson est
attaché au général Dupont, chef de la mission militaire française à Berlin. Il
le restera jusqu’au 15 janvier 1920. Entretemps, le 11 mai 1919, il a été
titularisé dans l’active comme capitaine à titre étranger. Le 19 février 1920,
il est affecté pour ordre au 24ème d’infanterie et adjoint au
général Odry puis au général de Corn dans l’enclave de Memel[26]. Ses
fonctions se rattachent à la diplomatie militaire, et les archives du ministère
de la Guerre à Paris conservent de lui plusieurs rapports qui se révéleront
utiles aux historiens de l’avenir. Le général Mangin le tenait en particulière
estime, de même que ses camarades polonais et tchèques. Le 6
septembre 1920, Glasson, que son intoxication faisait beaucoup souffrir,
sollicita un congé de disponibilité de longue durée. Il avait obtenu auparavant
la croix de la Légion d’Honneur au titre de la commission présidée par le
général Fayolle. Il ne
démissionna de l’armée active qu’en avril 1926[27].
En acceptant un commandement dans l’armée d’Afrique, il aurait pu gravir les
échelons de la hiérarchie et atteindre sans doute, comme son compatriote de
Tscharner, le grade de lieutenant-colonel, mais il était las. Il avait achevé
la période de gloire et fait son temps. Il rentra
au pays et vécut désormais dans la maison paternelle, sur la terre des Granges
qu’il aimait par-dessus tout parce qu’elle représentait pour lui l’héritage
direct de ses aïeux. Il se
consacra désormais à l’étude. Les ouvrages de littérature, d’histoire, d’art,
voire de philosophie avaient sa préférence. Tout empreint encore des événements
auxquels il avait participé, il donna, en Suisse romande, dans les cercles d’officiers,
des conférences sur la guerre qui eurent grand succès. Il publia en 1922, La guerre future, ouvrage qui rencontra
la faveur des milieux spécialisés et fut traduit en espagnol et en tchèque[28]. Puis, se
détachant de la guerre, il reporta sur la Gruyère sa principale attention. Il
commença par étudier les origines de sa race, puis passa tout naturellement à l’histoire
de sa région même. Il était aussi fidèle à Fribourg, sa ville, qu’il
connaissait mieux que personne. C’était une faveur de l’y avoir comme guide. Les
archives d’Etat, la bibliothèque, la société d’histoire ont été les derniers
lieux fréquentés assidûment par lui. Il est des hommes que la maladie diminue.
Il en est qu’elle grandit : Glasson était de ces derniers. Quand il s’aperçut
que ses forces déclinaient inexorablement et que sa dernière heure approchait,
il dit à un ami : « Ce n’est rien de mourir, il faut bien mourir ».
Puis évoquant ces Suisses qui dorment leur dernier sommeil sur le front de France,
dans les champs de la Somme, du Valois, de la Champagne ou de la Lorraine, il
disait : « Il ne faut pas les plaindre, il faut les admirer puisque
avant de fermer pour toujours leurs yeux à la lumière de nos lacs et de nos
neiges, dans les âpres joies de la bataille, ils ont connu la gloire »[29] Peu avant
sa fin, le gouvernement de la République française l’élevait au rang d’officier
de la Légion d’honneur[30]. Le
capitaine Glasson mourut le 16 juin 1929. Le colonel Vallée, attaché militaire
de France, et le comte du Chastel de la Howarderie, représentant le ministre de
Belgique, assistaient à ses obsèques[31]. Dans une
vitrine du musée gruérien, voisinent ses uniformes et ses décorations :
ceux des quatre pays qu’il a servis et notamment le nôtre. Ch. Fouvez. (†) [1] Revue Belge d’Histoire Militaire publiée par la Société Royale des Amis du Musée Royal de l’Armée et d’Histoire Militaire. Périodique trimestriel – Juin 1975 XXI - 2 [2] Historique du Régiment de marche de la Légion Etrangère, Paris 1926, p. 162 [3] Dr Paul Aebischer, répertoire généalogique, Fribourg 1923, p.461 [4] Bibliothèque militaire fédérale, lettre du 19 février 1974 [5] Note n° 2998 du Ministre de la Guerre à l’inspecteur général de l’Armée [6] Etat des services (note n° SGR/CDH 292 du 28 janvier 1974). [7] Etienne et De Grox. Historique des régiments de grenadiers. Bruxelles 1927, p. 210 [8] Etienne et De Grox, op. cit., pp. 221-223 [9] Etienne et De Grox, op. cit., p. 225 [10] Etienne et De Grox, op. cit., p. 234 [11] Etat des services (note n° SGR/CDR 292 du 28 janvier 1974) [12] Carnets de guerre du capitaine Glasson (inédits) [13] Etat des services (note n° SGR/CDH 292 du 28 janvier 1974) [14] Revue militaire suisse, juillet 1921, p. 362 [15] Etat des services (note n° SGR/CDH 292 du 28 janvier 1974) [16] Carnets de guerre du capitaine Glasson (inédits) [17] Etat des services (Service historique de l’Armée française, note du 7 février 1974) [18] Historique du Régiment de marche de la Légion Etrangère, Paris 1926, p. 69 [19] Ibidem, p. 70 [20] Carnets de guerre du capitaine Glasson (inédits) [21] Ibidem. [22] Etat des services (Service historique de l’Armée française, note du 7 février 1974) [23] Carnets de guerre du capitaine Glasson (inédits) [24] Historique du Régiment de marche de la Légion étrangère. Paris 1926. P. 78 [25] Etat des services (Service historique de l’Armée française, note du 7 février 1974) [26] Annuaire officiel de l’Armée française, année 1921. [27] Etat des services (Service historique de l’Armée française, note du 7 février 1974) [28] Editions Victor Attinger, Fribourg, 124 pages. [29] Souvenirs d’Henri Naef. Le capitaine Glasson, Fribourg 1930, p. 10 [30] Etat de services (Service historique de l’Armée française, note du 7 février 1974) [31] La Liberté (journal de Fribourg), n° des 17 et 19 juin 1929. |