Médecins de la Grande Guerre

La leçon émouvante du capitaine de Bray, du 20ème régiment de ligne, au caporal Thys.

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

La leçon émouvante du capitaine de Bray, du 20ème régiment de ligne, au caporal Thys



La couverture du livre

Introduction

       Le fait d’arme raconté ici est extrait du livre de René Willems, « Vu et vécu » édité en 1931 par la « fraternelle du 20ème de ligne ». René Willems, ancien adjudant-major du régiment, y raconte toute l’histoire de ce régiment formé le 27 décembre 1916 à partir d’unités prélevées principalement sur le 10ème de ligne. Les sources de l’auteur sont très diverses et reprennent les carnets de route, journaux de campagne et récits élaborés par les officiers et soldats du régiment. Le livre est passionnant car il mentionne de nombreuses histoires vécues par les militaires de tout grade du régiment. Le capitaine de Bray est à l’origine de l’histoire ci-dessous qui figure en page 178 et 179 du livre du major Willems.



La Reine Elisabeth, accompagnée du Général de Coernick, écoutant dans les trachées un poilu mélomane

La leçon du capitaine de Bray au caporal Thys :

       Dans la nuit du 3 an 4 septembre 1918, une patrouille de la 3ème compagnie (20ème Régiment de Ligne) visite la tranchée allemande d'Andrinople, sur la digue est de l'Yser, et la remonte vers le canal d'Handzaene (ndlr : Ces deux endroits se trouvent un peu au nord de Dixmude ; le 20ème régiment de ligne, à cette date, gardait en face de ces lieux le sous-secteur du « Bien acquis » sur la rive ouest de l’Yser).

       Au cours de cette progression, le soldat Vermeire, éclaireur de pointe, est tué à bout portant, d'une balle dans la tête. Le caporal Thys, entendant des pas à sa gauche, sur le chemin qui longe le pied de la digue, et ne se sentant pas en force, décide de se replier. Se voyant, lui et sa petite troupe, menacé d'être tourné et n'envisageant pas la possibilité, vu les circonstances et la difficulté du terrain, d'emporter le corps de Vermeire, il prescrit à deux de ses hommes, qui déjà s'en étaient chargés, de le laisser sur place. Rentré dans nos lignes, il rend compte au capitaine de Bray. Laissons à un témoin oculaire le soin d'achever ce récit.

       « Le capitaine écoute le caporal, puis se tait. Que dire en effet ? Comment reconstituer, au juste, la scène ? Seul, le chef de la patrouille a pu juger de la nécessité où il se trouvait. Cependant, l'impression est pénible et nous sommes consternés. Un mort, c'est courant, mais un homme qui manque, c'est plus grave. Le précédent est regrettable. Le capitaine de Bray, très soucieux de l'honneur de sa compagnie, aura bien de la peine à se faire à cette idée. Le caporal le voit et la sueur lui mouille les tempes. Finalement, le capitaine va, accompagné de Thys, à la digue, afin de vérifier si l'on n'apercevra pas, de notre tranchée de première ligne, le corps de Vermeire, sur l'autre rive. Il fait maintenant grand jour. Voilà le corps à trente mètres de nous, au bord de l'eau.

       Thys demande : « Mon capitaine, est-ce que je peux le rechercher ? ».



Le capitaine de Bray et le Dr Gripekoven au poste de secours à Luyghem.... novembre 1917

       Le capitaine ne répond pas tout de suite. Nous nous regardons, inquiets de ce qu'il va décider. L'Yser est dominé de partout par les ouvrages ennemis, notamment par le blockhaus, situé à 80 mètres d'ici, à l'angle de l'Yser et du canal. Il est déjà dangereux de risquer la tête au-dessus du parapet. Comment croire qu'un homme pourra traverser à la nage cette nappe d'eau, aborder de l'autre côté et revenir ? Il sera criblé de balles avant d'avoir descendu la berge. Cependant, c'est au capitaine à parler et nous gardon nos réflexions pour nous. Le capitaine dit :

       « Oui, allez-y ».

       Thys s'attache une corde à la ceinture, escalade le parapet, descend jusqu'à l'eau, passe l'Yser en quelques brasses. A tous les périscopes, nos hommes font le guet ; à tous les créneaux, il y a des fusils prêts à intervenir pour contrarier le tir; de l'ennemi, si celui-ci ouvre le feu. Dans le silence on n'entend que le bruit discret de l'homme qui nage, puis prend pied sur la terre ferme, ruisselant d'eau. Il attache la corde autour du mort, le met à l'eau, le soutient d'une main en nageant de l'autre, tandis que, de notre rive, on le hale avec la corde. Enfin Thys le traîne en remontant la berge et l'amène dans la tranchée.

       Pauvre, Vermeire ! Ils ne t'auront pas ; tu reposeras en terre amie, près de tes camarades. Mais que font les guetteurs boches ? Pas une balle n'a été tirée !

       Alors, le caporal dit : « j’ai oublié son pistolet ; je retourne le prendre ». On l'en empêche, naturellement. Maintenant, le capitaine de Bray s'explique. « Vous avez cru bien faire, cette nuit, mais vous vous êtes trompé. Mort ou vivant, on n'abandonne pas un de ses hommes. Vous avez racheté votre erreur ». Et, avec une pointe imperceptible d’émotion dans la voix, il ajoute, posément, comme s'il prononçait un jugement : « Je vous félicite ».

       Quelques jours plus tard, pour ce coup d’inconcevable audace, Thys était cité à l’ordre du jour et recevait la croix de Léopold II.



La garde de l’Yser

La mort du capitaine de Bray le 28 septembre 1918

       René Willems nous apprend en page 187 de son livre que le 23 septembre, après un jour de bombardement intense, il fallut enterrer 10 soldats dont un de la 3ème compagnie. A cette occasion, le capitaine de Bray fit un bref discours au cimetière. S’adressant aux deux frères de son soldat, présents au bord de la fosse, il leur dit : « frères Gheers, allez dire à votre mère que la 3ème compagnie vengera son fils ».

       Cinq jours plus tard, le jour de l’assaut final, c’est le capitaine lui-même qui connait un sort tragique en mourant à l’ennemi. Voici, en abrégé, les circonstances de sa mort à partir du récit qu’en fit le major Willems (page 204 et suivantes) :

       A 19 heures, le 27 septembre, le régiment quitta les cantonnements de Gapaardhoeck. Les hommes des trois bataillons chantent en se dirigeant vers le champ de bataille. Ils franchissent à 21 heures l’Yser au pont de Knocke. Vers 02 heures, les bataillons sont en place. A 200 mètres du Steenbeek, le 1er bataillon est déployé en avant du 2ème et du 3ème bataillon. A 02 h30, c’est la préparation d’artillerie à laquelle répond vers 03 heures, une violente réponse de l’artillerie ennemie. Pendant plus de deux heures le 1er régiment est pris sous le feu de barrage d’une précision extrême. Les hommes sont couchés sur le sol n’ayant d’autres protections que des trous d’obus. Les pertes sont très lourdes. Le capitaine de Bray est tué et le commandant Waegeneer est cruellement atteint et mourra quelques mois après la guerre des suites de ses blessures dont l’une nécessitera l’amputation. Le sous-lieutenant Martens est mortellement blessé, lui-aussi. Au total, le 1er bataillon, en partant pour l’attaque à 05h30 laissera 80 gradés et soldats sur le terrain, soit le cinquième de son effectif. L’aumônier Stienon porte secours et quand il arrive près du corps sans vie du capitaine de Bray, il aperçoit non loin son ordonnance, le soldat Thomès. Ce dernier est affreusement mutilé ; ses deux jambes sont coupées au-dessus des genoux. Il ne lui reste que quelques instants à vivre mais son premier mot est pour demander : « Ou est le capitaine ?  L’aumônier rassure alors Thomès afin de ne pas lui infliger une peine nouvelle et inutile. Le poste de secours tenu par le docteur Rorive est établi à la ferme d’Italie.

       Sa photo figure dans « nos héros morts pour la patrie » par René Lyr, publié en 1920.



Capitaine de Bray Marcel, né le 27 mai 1891 à Fosse. Capitaine en second. Ordre de Léopold – Croix de Guerre – Médaille de l’Yser. Blessé une première fois sur l’Yser dans la nuit du 24 au 25 octobre 1914, tomba glorieusement à Kippe, le 28 septembre 1918 lors de la grande offensive libératrice, en donnant l’assaut aux positions ennemies.

Conclusion :

       Une enquête plus approfondie dans les archives militaires ou dans les dossiers matricules pourraient certainement nous donner plus de précisions sur tous ces braves mentionnés ici : Thys, Vermeire, Thomès, les frères Gheurs, le commandant Waegeneer, le sous-lieutenant Martens et bien sûr le capitaine de Bray sans oublier l’aumônier Stienon et le docteur Rorive. Il reste que le témoignage du major René Willems leur est déjà un magnifique hommage.

Dr P. Loodts

 

 



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©