Médecins de la Grande Guerre
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Le brancardier Maurice Fievez,
succomba en martyr de la Seconde Guerre Mondiale Couverture du livre souvenir Introduction L’abbé Maurice Fievez était étudiant au séminaire quand la guerre le surprit. Comme beaucoup de séminaristes, il rejoignit l’armée dans les rangs des soldats-brancardiers et pendant plus de quatre ans servit son pays dans ce rôle. Il fit aussi partie de cette génération qui connut deux guerres au cours de son existence. La deuxième lui fut fatale par le patriotisme et la générosité qui ne l’avait jamais quitté. Maurice Fievez est mort affamé juste après la libération de Flossenburg par les Américains.Après la Deuxième Guerre Mondiale, ses paroissiens de Pont-à-Celles rassemblèrent les écrits de Maurice pendant sa détention à la prison de Charleroi ainsi que les témoignages de ses amis et confrères dans un livre souvenir de 121 pages, intitulé « Un martyr de Flossenburg ». Ce livret fut vendu cher, 30 francs, au profit des œuvres qu’il avait créés. Les différents textes que vous découvrirez ci-dessous sont extraits ce livret paru en 1946. Puisse cet article prolonger le souvenir et l’hommage rendu à Maurice par ses paroissiens. Dr Loodts Patrick 1) La jeunesse de Maurice Fievez C'est en 1908 après avoir terminé sa poésie au
Collège de Kain que Maurice Fiévez
arriva à Bonne Espérance pour y finir ses humanités. S'il vint se mettre sous
la protection maternelle de Notre-Dame, ce fut sans doute pour y mûrir une
vocation qui s'ébauchait. En 1909 la décision était prise ; il entrait en
philosophie pour s'orienter vers le Sacerdoce. De ces années, il reste un
souvenir frappant. Maurice offre de suite les traits principaux du caractère
que nous lui connaissons maintenant : actif en tout. Ses études sont menées
avec facilité et succès. Au jeu, c'est un « as » et il exploite déjà alors le
facteur « moral » pour terrasser l'adversaire. Je me souviens d'une lutte pour
le championnat de balle. Je vois encore le grand mitan « Maurice » courir dans
le camp adverse et animer ses hommes tantôt par des menaces, tantôt par des
bravos et des applaudissements. Son tempérament est joyeux et optimiste. Pas un
ne savait comme lui dérider le masque froid de notre professeur de morale, Mr Lecouvet. Maurice est aussi actif en piété qu'en tout le
reste, mais c'est une piété bien équilibrée, sans fausse sentimentalité. Je le vois
encore au pied de Notre-Dame. Son recueillement semblait faire contraste avec l’entrain
qu'on lui connaissait par ailleurs. Son visage et ses yeux trahissaient une
dévotion et une prière profondes. Et les années passèrent... Tournai nous
ouvrit ses portes en 1911. Maurice y fut ce qu'il était à Bonne Espérance car
son tempérament était alors le même que maintenant, celui d'un homme d'énergie
et de volonté.
Rentré au Séminaire après les quatre années de guerre Maurice gagna de
suite le cœur de notre vénéré président Mr Stenier ;
chaque jour après le déjeuner et le dîner, celui-ci avait coutume de faire une
promenade avec Mr Anciaux professeur de dogme. Quand
Maurice eut changé le kaki contre la soutane, Monsieur Stenier
abandonna son fidèle compagnon qui s'en alla seul et désolé. Maurice l'avait
supplanté. Il était devenu le confident du « Bon Père ». Il sut profiter
de son influence dans l'intérêt du bien général. C’est ainsi qu'il décrocha la
fameuse permission de fumer qui fut une véritable révolution dans la vie du
Séminariste. Maurice fut aussi l'animateur de ces réunions où l'on racontait au
président ahuri les épisodes les plus terribles et les plus cocasses de la vie
aux tranchées. Comment ne pas signaler la fameuse revue militaire organisée
pour le Jubilé de notre professeur de morale Mr le chanoine Degand,
où Maurice fut compositeur et acteur de premier plan ? Voici quelques strophes
sur le ravitaillement militaire pour répondre à la fausse conception suivant
laquelle les soldats avaient été tellement choyés aux tranchées « puis qu’ils
avaient tous si bonne mine » Nos repas n'sont jamais fort longs,
Sous-diacres le 10 août 1919, diacres le 19 octobre, les anciens militaires
furent ordonnés prêtres le 20 décembre. Ces trois mois de dernière préparation
furent passés au séminaire dans le calme et le recueillement dont un âge déjà
plus avancé permettait de comprendre la suprême importance. 2) Maurice Fievez, brancardier aux tranchées Brancardier à la 3ème Cie du 7ème R. de Ligne,
Maurice Fievet se distingua par son intrépidité, son dévouement, sa jovialité,
son entrain, sen activité débordante, son dynamisme irrésistible. Il avait été
tout un temps l'ordonnance de M. l'Abbé Plissart, aumônier divisionnaire. Ce poste lui avait donné l'occasion de connaître bien des gens. Que de brancardiers,
au cours de leur repos, se faisaient un plaisir d'aller lui rendre visite et de
reprendre à son contact une bonne dose de joie et de courage. Fatigué de cet
emploi trop sédentaire ne cadrant pas avec sa nature ardente et généreuse, il
voulut se dépenser dans une unité combattante. C'est alors qu'il devint
brancardier à la 3ème du
7ème de Ligne. A peine arrivé, il fut le boute-en-train de la
Compagnie. Très sympathique aux officiers comme aux soldats, il obtint d'eux
tout ce qu'il voulait. Sa vie fut vraiment celle des « piottes », il partagea leurs dangers, leurs
repos, leurs amusements. Dans les tranchées, il semblait en toutes circonstances
ignorer le péril. Les fusillades et les bombardements le laissaient calme et
toujours souriant. Il eut une veine exception, celle d'échapper aux balles et
aux obus : l'un d'eux vint un jour
tomber à ses pieds... sans éclater. Que de longues journées, que de longues
nuits nous avons passées dans les abris de l'Yser. Nerveux et ne sachant rester
longtemps en place, il se promenait souvent et allait taquiner les soldats à
leur poste, les encourageait d'un bon mot et savait merveilleusement s'adapter
à chacun d'eux, car il les connaissait tous à fond. Aussi
tous l'appelaient « Maurice » par son petit nom, pour mieux marquer la
chaude sympathie qu'il leur inspirait. Il savait parfois lancer un trait
sarcastique à sa manière. Il me souvient qu'un soir durant l'hiver 1917, la
compagnie qui avait occupé l'un des postes aquatiques de Ramscapelle était
remplacée par un détachement de cavalerie qui avait longtemps séjourné près de
Dunkerque. Les Brancardiers étaient restés en arrière pour remettre à leurs
remplaçants les effets de la Croix-Rouge. Nous étions deux sur la passerelle,
lorsque nous entendîmes la voix d'une sentinelle qui criait : « Halte-là, qui
vive ! » Maurice s'avance le premier et reconnaissant qu'il avait devant lui un
cavalier qui demandait le mot de passe, il lui cria ce mot cinglant « Baubourg », lieu où la cavalerie avait été embusquée
pendant plus d'un an ! Ahuri, l'homme nous laissa passer. Maurice fut
magnifique dans les jours de la Grande Offensive. Je n'oublierai jamais le matin
du 28 septembre 1918 où nous fûmes éveillés en sursaut
dans les tranchées de départ (au nord d'Ypres) où nous dormions côte à côte
après des heures fatigantes. Le bombardement intense et inouï qui pulvérisait
les tranchées boches, faisait un vacarme infernal et donnait une illumination
féérique. Remis assez vite de notre surprise, nous attendions l'heure H du
départ. Quel enthousiasme délirant chez les piottes et les brancardiers !
Maurice était vraiment dans l'exultation. Quelle satisfaction épanouissait sa
figure rayonnante à l'arrivée des nombreux prisonniers de Moorsleede.
Quel triomphe ! Il savait l'exprimer avec une exubérante gaieté. Sa haine du
Boche s'était muée en une sorte de joie enfantine en les voyant tous en si
piteux état. C'était l'écroulement lamentable de la force teutonne. Maurice Fievez, brancardier aux tranchées Comme nous avons parcouru avec fierté
tous les Blockhaus et les fortins pris d’assaut par nos vaillants fantassins
poussés par l'élan irrésistible de la Victoire. Maurice débordait de joie et
entraînait les hommes. Sa flamme patriotique était ardente et tout ce qu'il
fait pendant cette seconde guerre dans une abnégation héroïque était depuis
longtemps en germes dans les sentiments admirables qu'il a manifestés en 14-18.
L'amour de son pays était total, mais il semble qu'il l'avait condensé dans la
haine du Boche et le dévouement inlassable envers ses frères d'armes. Les soldats pouvaient tout lui demander,
il ne savait rien leur refuser. Il
vivait pour eux et lorsque l'un d'eux était blessé ou tué, il en
paraissait vivement affecté. Dans les baraquements de I' arrière et les
cantonnements, il se faisait un plaisir de les
distraire et organisait tous leurs loisirs : lectures (il distribuait lui-même
les livres de la bibliothèque ambulante) ; joutes à la balle auxquelles il prenait part lui-même et
dans lesquelles il excellait, si bien qu'il devait prendre part si la
guerre avait encore duré à une lutte internationale; le football l'intéressait
moins. Bien souvent, il facilitait aux soldats la rédaction
de leurs lettres. Il était si content lorsque le jour du congé arrivait. Il fit plus d'un pèlerinage à Lourdes et à Rome. Très débrouillard, il obtenait toutes les faveurs. Il se fit même octroyer une prétendue mission auprès du Vatican, de la part de l'aumônerie en chef et cela pour se payer le luxe d'un voyage à Rome, à une période où le G. Q. G. le refusait à tant de solliciteurs. Comme il était heureux alors d'avoir joué un bon tour. Je pourrais évoquer tant de souvenirs mais la distance les a estompés. Il parait qu'un jour, il fut pris en flagrant délit d'impolitesse. Sans doute distrait ou préoccupé, il n'avait pas remarqué, au cours d'une promenade à la mer, le Général Jacques qui faisait de l'équitation le long de la plage et il n'avait pas fait halte et front. Le général arrêta sa monture et lui fit une sévère remontrance. Maurice s'en tira si bien que le Général le quitta après lui avoir dit mille amabilités. Un jour, nous allions tous deux en promenade du côté
de Furnes nt bombardée. Quelques obus vinrent tomber près de nous. Notre
instinct de conservation et l'expérience nous firent trouver précipitamment un
abri qui n'était autre qu'un fossé rempli d'eau. N'ayant pas eu le temps de
discerner cet inconvénient je pris un léger bain. En remontant de ma cachette,
je vis derrière moi une face rubiconde, épanouie, animée d'un large rire.
C’était Maurice qui, d'une voix acclamante, me
félicitait d'avoir si bien nagé ! Je n'oublierai jamais cette scène. Ces quelques croquis de
guerre font revivre un passé bien lointain où nous étions dans le danger continuel
mais où nous jouissions de la fière liberté du soldat qui lutte. Qui
aurait dit alors que nous l'aurions perdu à nouveau ? En effet, il y a deux
ans, à pareille époque, tous deux incarcérés à la prison de Charleroi, nous
avions le temps de nous mordre les poings de rage et de rêver à ces années
terribles de 14-18 durant lesquelles nous avions goûté le bonheur et la
liberté. Je fus relativement vite relâché, car mon délit n'était pas grave ;
mais mon cher et pauvre Maurice a enduré depuis lors tant d'épreuves et tant de
misères ! Prions ardemment pour que Dieu nous le ramène sain et sauf et admirons bien humblement son
magnifique héroïsme et son désintéressement total à la Patrie ; ils rachètent
bien des veuleries de trahison et de mercantilisme dont nous avons été les
témoins écœurés au cours de l'occupation. Signé : Amicus (En réalité, l’abbé Marcq, curé de Wanfurcée-Baulet qui fut son compagnon de tranchées et de prison) 3)
Après la Première Guerre mondiale Après quatre ans de vie déjà très féconde,
le jeune abbé rentre à Tournai pour achever sa préparation au sacerdoce et
recevoir les Ordres. A dire vrai, au début, le séminariste paraissait un peu
gêné aux entournures dans sa soutane de drap noir. Quatre ans de vie militaire
lui avaient fait perdre cette gravité qui sied si bien aux lévites et le
vénérable Président du Séminaire qui rappelait volontiers aux étudiants les
exigences de la bienséance ecclésiastique, dut plus d'une fois fermer les yeux
sur les incartades « oh pas bien graves » du jeune abbé Fiévez qu'il avait d'ailleurs en particulière estime. 20
décembre 1919 : un grand jour, celui de l'ordination sacerdotale. Désormais, il
est prêtre et tout, en lui, se fera en fonction de cette grande dignité.
Prêtre, il le sera, non seulement parce qu'il célébrera la messe et confessera,
parce qu'il prêchera et administrera les sacrements mais il sera prêtre
intensément car il sera aussi victime – sacerdos et victima – et son immolation consistera dans le don de soi
aux âmes qui lui seront confiées, don toujours plus total au fur et à mesure
que s'écouleront les jours, don qui s'achèvera dans le sacrifice de sa vie que,
trente ans plus tard, il fera volontairement pour Dieu, la Patrie et sa
paroisse. Successivement maître d'étude au Collège de Binche où l' on parle
encore de sa pédagogie qui n' était peut-être pas toujours en pleine conformité
avec les règles traditionnelles de I ‘art mais s'est avérée très avertie,
professeur à Leuze en même temps que desservant de la paroisse d'Aubechies, vicaire à Ellezelles où son souvenir est resté
si présent dans toutes les mémoires, directeur des Œuvres Sociales de
l'Arrondissement de Thuin et simultanément curé de Sautin,
l'Abbé Fiévez parcourait une seconde étape vers les
cimes. C'est, peut-on dire, la période de
l'exaltation : le jeune prêtre est tout heureux de pouvoir voler de ses propres
ailes; il veut faire beau et grand. Les âmes, c'est à pleines brassées qu'il
souhaite les donner à Dieu et pour aller plus vite, ce sera, par exemple, à
130, à l'heure qu’il mènera sa machine sur les routes du pays de Chimay comme
il l’a conduite à toute vitesse dans les chemins qui courent au flanc des collines
de la région d'Ellezelles. Vie trépidante d'un apôtre du XXème
siècle qui utilise toutes les ressources pour le bien. Vie d'un Abbé Tempête,
dirait Bremond, et c'est vrai. Rien ne peut lui résister : « On me chasse par la porte, j'entre par la
fenêtre ». « On ne me donne rien pour les œuvres, j'exige et je ne pars pas
avant d'avoir reçu ce que j'attends ».
Mais cet abbé nerveux, bouillant, qui vous secoue les gens comme à la campagne
on secoue les arbres, qui a toutes les audaces même les plus audacieuses, cet
homme est un prêtre qui sera à I' église chaque matin dès l'ouverture, même
s'il s'est couché à des heures impossibles pour les besoins du ministère, un
prêtre qui saura calmer de moins nerveux que lui mais qui s'agitent sont trop
sensibles ou trop exigeants, par un mot qui rappelle à l'ordre, à la douceur, à
l'indulgence, au pardon ; sachant dire à tel vicaire qui rabroue peut-être un
peu vertement quelqu'un qui lui a manqué, qu'un prêtre doit savoir se mettre
au-dessus des mesquineries et avoir le sens de la grandeur ; un prêtre qui
acceptera la présidence d'un jeu de balle mais à la condition qu'on ne dira ni
gros mots ni jurons ; un prêtre qui donnera tout ce qu'il a sous la main,
manquant à l'occasion aux plus légitimes exigences de la prudence humaine ; un
prêtre qui à toute heure du jour ou de la nuit sera à la disposition de
n'importe qui, pour n'importe quoi; un prêtre qui saura se taire et regarder
quelqu'un dans les yeux d'une manière telle que sans avoir prononcé une parole,
il a dit tout ce qu'il avait à dire ; un prêtre somme toute paradoxal, un
mélange de vie, d'agitation, de bonne humeur et d'humour, de possession de soi,
de gravité, de silence et d'austérité. Ce contraste ira s'accentuant avec les
années et un jour viendra où le jeune directeur des Œuvres, plongé plus que
quiconque dans la vie active, pourra réaliser un espoir que depuis neuf ans il
caressait dans son cœur : se consacrer plus parfaitement à Dieu par les vœux de
religion. L'Abbé Fiévez
entre au noviciat à l'Abbaye bénédictine de Clervaux, au Grand-Duché de
Luxembourg. Ses amis croient rêver. De lui, on s'attendait à tout, mais tout de
même pas à cela ! Excentricité, disent les mauvaises langues. Décision
déconcertante, étrange, opinent ceux qui sont charitables ou prudents. Décision
qu'il n'avait pas prise à la légère car, dira-t-il un jour, « je ne fais rien sans avoir réfléchi, sans
avoir pris avis de personnes intelligentes et expérimentées et surtout sans
avoir prié le bon Dieu de m'éclairer et de m'assister ». Les gens
intelligents et expérimentés se sont-ils trompés ? Ou bien le bouillant abbé
a-t-il interprété comme expression de la volonté de Dieu Ce qui n'était qu'un
bon mouvement de son cœur ? Maurice Fievez à Clervaux Toujours est-il que le Père Maître des
novices ne crut pas pouvoir retenir plus longtemps le jeune frère à l'abbaye
parce que tout en rendant hommage à son évidente bonne volonté, il ne se
reconnaissait pas le droit de lui imposer un genre de vie qui aurait été de
contrainte et d'abnégation à jet continu. Durant les dix-huit mois passés à
Clervaux, à l’école des moines, l’abbé acquit une complète maturité d'esprit et
un équilibre parfait des facultés que la vie trépidante du ministère, comme il
le concevait, n'avait pu lui assurer. Somme toute, ce fut une longue et
bienfaisante retraite et quand les portes de l'abbaye se furent rouvertes
devant lui, l'Abbé Fiévez était redevenu l'Abbé Fiévez mais avec en plus quelque chose qu'il n'avait pas à
son départ de Sautin : un amour passionné de la
beauté de la maison de Dieu et une estime sans borne de la prière liturgique et
des Livres Saints. Monseigneur l'Évêque, qui depuis longtemps le connaissait et
l'honorait de son amitié, l'accueillit à bras ouverts à son retour dans le
diocèse. Il lui confia la paroisse de Montignies-lez-Lens. Le jeune curé fit merveille
là-bas car tous ses soins allèrent à son troupeau. Ce ne fut d'ailleurs qu'un
rapide passage : cure de réadaptation, dirions-nous volontiers, mais quelques
mois avaient suffi pour que la maison de Dieu fût restaurée et embellie et la
vie religieuse en progrès très sensible. L'importante paroisse de Pont-à-Celles
apprit bientôt avec grande satisfaction que Son Excellence lui envoyait comme
pasteur Monsieur l'Abbé Fiévez. C'était en 1939. A
dire vrai, pour des raisons que nous ignorons, il avait hésité à accepter la
proposition de son évêque : c'est lui-même qui nous le dit dans son journal.
Mais à peine arrivé là-bas, il se donna corps et âme aux ouailles dont le soin
lui était confié. En quelques mois, il a tout conçu et réalisé : l'église est repeinte,
et le pavement en est renouvelé, le chauffage central installé, de beaux
vitraux et des ornements de choix ajoutent au plaisir des yeux lors des
cérémonies liturgiques. Et voilà pour la Maison de Dieu. D'autre part, les
œuvres se créent ou se développent, prenant un essor extraordinaire.
L'inlassable activité du Curé veille à tout, soutient tout, anime tout. Les
misères des temps lui font donner à la section locale de la Croix-Rouge une vie
étonnante, au point de la mettre au premier rang des groupes du Hainaut. Les
soldats et plus tard les prisonniers ne sont pas les seuls à profiter des
attentions du Pasteur. Les pauvres sont l'objet de sa sollicitude continuelle
et des Sœurs de Charité, appelées par lui, deviennent bien vite sous sa
direction, la Providence des malheureux. Sur le parcours de la procession de N. D. de Celle En 1940, il souhaitait pouvoir se mettre
au service du Pays. Son âge l'en empêcha. Il fut, dans la paroisse, l'âme de la
résistance[1].
De toutes manières, il tint tête à l'ennemi avec parfois, il faut le dire, une
certaine témérité. « Pas mal
disent, écrira-t-il plus tard aux heures de sa captivité : il n'était pas assez prudent, il aurait
dû se taire... C'est bien la triste
mentalité des poltrons et des lâches qui désirent la victoire, mais dans le
secteur voisin : ils sont tout heureux de signaler la résistance des autres,
ils soulignent la bravoure d'un évêque de Munster qui ose élever la voix contre
les exagérations d'un régime et ils parlent encore volontiers, à voix basse du
Cardinal Mercier : quant à eux, attention, pas d'affaires. Demain, quand « ils »
seront partis, nous parlerons, nous agirons. Mensonge
! Profiteurs ! Demain comme hier et aujourd'hui, vous n'aurez pas le courage de
mourir pour votre patrie mais, gâtés par le souci de votre bien-être, vous
mettez toute votre rapacité à profiter de l'héroïsme des autres. Si demain, on
persécutait l'Eglise, combien y aurait-il de chrétiens assez vaillants pour
subir le martyre ? Je me le demande avec effroi (2 janvier 1943) ». (Texte
prononcé par l’Abbé Bracaval, Doyen d’Ellezelles, au
service solennel chanté à Frasnes-lez-Buissenal le 12 juin 1945) 4) Prisonnier à Charleroi puis à St-Gilles avant d’être
transféré en Allemagne Ce qui devait arriver, arriva. Le 1er
décembre 1942, il est arrêté, au moment de monter à l'autel pour la messe de St-Eloi.
Conduit à la prison de Charleroi, il y resta jusqu'au 14 août 1944. Transféré à
Saint-Gilles, il quitta cette prison pour l'Allemagne, le 1er
septembre, à la veille de la libération. Puis ce fut le silence, la nuit
jusqu'au jour où l'on apprit qu'il avait séjourné à Bayreuth jusqu'en mars
dernier. C'est pendant son séjour en cette ville dont le nom n'évoquait
jusqu'ici que musique et poésie et qui maintenant fait surgir des visions
d'épouvante et d'horreur que durant de longs mois il souffrit cruellement d'un
phlegmon. Comme tant d'autres, il ne reçut pas les
soins que nécessitait son état ; en guise de pansement on ne lui attribuait
qu'un rouleau de papier et ce pour une semaine. Il contracta aussi le typhus
exanthématique mais sa vigoureuse constitution résista aux formidables assauts
de la maladie. Mais ce que les microbes n'avaient pu faire, la sous-alimentation
le réussit. Transféré à Flossenburg par ses bourreaux
qui reculaient devant la poursuite alliée, parce qu'il ne voulait pas
travailler pour l'ennemi, il fut privé de nourriture. Il dut vendre ses
derniers vêtements pour s'en procurer un peu. Lui qui dans le cours de sa vie
avait été d'une générosité admirable pour les pauvres et les nécessiteux, lui
qui, à Charleroi, savait se priver d'une partie de sa maigre pitance pour aider
d'autres malheureux qui souffraient de la faim, cet homme, ce prêtre si prodigue
et si compatissant est mort de faim dans un bagne : il ne pesait plus que 30
kg. Mort de faim mais aussi mort de joie quand, à l'agonie sur son grabat,
incapable de faire un mouvement tant la faiblesse était extrême, il aperçut
dans l'embrasure de la porte du baraquement, la silhouette d'un anonyme soldat
américain. Enfin... Son pauvre cœur qui avait tant aimé sa Patrie, tant souffert
pour elle , ne put tenir le coup et c'est, les yeux illuminés par la lumière de
la victoire, qu'il entra dans la bien heureuse éternité. Recueillons-nous, mes Frères,
et avec respect prenons maintenant connaissance des « Actes du Martyr ». Durant
les premiers mois de son emprisonnement à Charleroi, il écrivit un journal que
des mains pieuses (celles d’un gardien de la prison de Charleroi) ont pu
préserver de la destruction. Grâce à ce document, nous pouvons imaginer ce que
fut pour lui ce temps
d'internement. En le rédigeant, il sortait de la solitude affreuse dans laquelle
il se trouvait lui, l'homme actif par excellence. « S'il me fallait disparaître, écrit-il, je souhaite que mes papiers vous
arrivent pour vous consoler un tout petit peu et faire du bien à tous mes
paroissiens ». Son vœu s'est réalisé. Tous ceux qui l'ont connu et aimé ont
senti leur douleur s'atténuer en lisant de telles pages. Elles sont si belles
et si émouvantes, si sacerdotales et si mystiques, que c'est à genoux qu'on
devrait les lire et les méditer. Une cellule de 2,85 m. sur 1,65 m. exactement.
Comme mobilier : une paillasse, une petite table et une chaise. Aux murs : à
l'origine, rien que la saleté repoussante. Plus tard, une image pieuse sortie
du bréviaire. Et voilà pour le cadre. «
Ni montre, ni canif, encore moins de l'argent, des fois – c'est lui qui parle – qu'on pourrait prendre le train ou bien
soudoyer les gardiens ou encore s'en aller
au cinéma ... » Comme il est catalogué
ennemi n° 1, ce sera la mise au secret, la solitude absolue. Deux sentinelles
allemandes sont chargées de le surveiller continuellement et de ne pas
abandonner sa porte un seul instant. En dehors de la visite des geôliers, une
seule, quotidienne et combien appréciée : celle d'un pauvre moineau qui vient
lui dire bonjour chaque matin. « Tout
seul ! Que c'est froid la prison. J'aurais voulu la grande chambrée, je rêvais
de faire du bien à tous ces malheureux du sort. Je souhaiterais avoir un compagnon,
ne serait-ce qu'un sourd-muet. Je pourrais au moins le boxer. Il me verrait, je
le regarderais : ce serait tout de même mieux que tout seul sans armoire à
glace. Non vraiment, la vie de prisonnier n'est pas encore l'idéal. Il vaut
mieux être curé de Pont-à-Celles. Si je pouvais choisir, je préférerais le
front aux quatre murs qui m'encerclent. Pendant la guerre 1914-1918, j'avais
toujours si peur d'être fait prisonnier et de ne plus servir à rien. Savez-vous
qu'il est difficile de conserver égale son humeur et qu'il faut beaucoup de
volonté et pas mal de grâces pour tenir bon dans l'adversité ? Surtout qu'il me
manque une arme incomparable : l'apostolat. Si j'avais à côté de moi le plus
miséreux de la prison, je pourrais le réconforter, lui relever le moral ; il
n'y a rien de plus bienfaisant pour guérir sa peine que d'avoir quelqu'un à
consoler. La solitude me pèse parfois si lourdement mais ça va. On n'est jamais
tout seul avec le bon Dieu. Et puis, je m'unis à tous ceux qui pensent à moi ». Le 30 décembre 1942, il écrit : « Malgré tout, je m'habitue à ma solitude et je me demande même si on me
donnait à choisir, ce que je ferais maintenant. Qui sait si je ne regretterais
pas un jour la vie tout seul ? » C'est qu'il a compris : dans sa
cellule, il a enfin un crucifix. « Quel
précieux compagnon ; je vais pouvoir le contempler à l'aise en lui disant mes
peines que j'aurai plus facile à lui offrir et à supporter. C'est vraiment la
solitude mais que c'est bon de souffrir. C'est la première fois que je savoure
la douleur, la peine morale qui bat toutes les cruautés physiques. Comme
j'aurais tort de me plaindre et de ne pas profiter de ces jours de torture pour
expier mes fautes et gagner quelques âmes au bon Dieu ». Dès le 23 décembre 1942, il écrit : « Je
souffre atrocement depuis mon entrée en prison, non pas des quatre murs qui
m'environnent et m'enclosent, non pas du manque de liberté et d'air, non pas de
la frugalité et du manque de nourriture mais des traitements inhumains et
barbares de la part de gens qui n'ont qu'un seul plaisir : malmener un prêtre
qui leur résiste et qui ne prétend pas se soumettre à leurs exigences. Tout à
l'heure, je les entendais ricaner derrière ma porte et se moquer de moi.
Combien de fois n'ai-je pas entendu déjà la recommandation aux hommes de garde
: attention au Pasteur. Et puis le petit judas de la porte qui fonctionne à plaisir
». La perspective des interrogatoires
l'inquiète un peu :il connaît
l'insigne mauvaise foi des policiers chargés de l'enquête. Il sait, il le dit
lui-même, que « tout le réquisitoire sera
appuyé sur des rapports tendancieux de quelques misérables aussi nuisibles
qu'intéressés et on nous traite, ajoute-t-il, comme des malfaiteurs et des
bandits parce que nous refusons d'accuser lâchement des braves. Nous ne pouvons
tout de même pas considérer les Allemands comme des amis et des libérateurs ...
Peut-on me reprocher d'aimer ma Patrie, de la défendre autant qu'il est dans
mon pouvoir, d'entretenir mon peuple, mes fidèles, dans le respect et le culte
de leur pays, de leur rappeler leur grand devoir vis-à-vis de lui, d'entretenir
le moral des ouailles ? Le Cardinal Mercier et le Cardinal Van Roey ont-ils fait autre chose ? On s'acharne de plus en plus autour de ma
personne; on dirait qu'on prend plaisir à me faire souffrir. Il est possible
que si je n'étais pas prêtre, on n'y mettrait pas tant de zèle. Je suis payé
pour savoir qu'ils ne nous aiment pas. Pour ce qui est de ma détention et de
mon jugement : je m'en remets entièrement à la Sainte volonté de Dieu. Mon
passage en prison m'aura fait grand bien : repos physique (en ce temps-là,
après un mois de geôle, il pouvait s'illusionner encore) réflexion, méditation,
prière, bain spirituel. Ce n'est pas du temps perdu, au contraire, c'est une
grâce de choix. Il faut cela de temps en temps pour reprendre I' élan. Dans le
tourbillon de la vie, le surmenage du ministère, on a si peu le loisir de
s'arrêter pour réfléchir. Un sérieux examen est de rigueur et justement, j'ai
avec moi tout ce qu'il me faut : mon bréviaire, ma Bible ; il ne me manque que
mon missel. Peut-être vais-je pouvoir dire la messe ? Je suis le seul qui ne
peut la célébrer ; je me demande bien pourquoi ? Pas de messe, pas de
communion, pas de visite d'aumônier : de très gros sacrifices. La visite de
l'aumônier cela ferait tant de bien mais je suis prêtre... alors... je sais me
consoler moi-même. Tant d'autres auraient besoin de réconfort. C'est pour cela
que la compagnie d'un prêtre dans une cellule est toujours si bien accueillie.
Nous ne savons pas nous-mêmes tout le bien que nous pouvons faire ». « Heureusement, dira-t-il, j'ai la
prière pour me soutenir. Je me réconforte dans la lecture des psaumes et de la
Bible et j'offre mes souffrances pour la conversion des pêcheurs et la
résurrection de ma Patrie. Dans le Christ souffrant, je puise la force et le
courage. Comme je plains ceux qui n'ont pas le bonheur de croire et qui n'ont
pas la prière pour se consoler ». Grosse émotion la nuit de Noël ! Il a cru
qu'on allait le fusiller. « J'étais prêt ; je vous assure que cela ne me ferait
rien car je suis sûr d'aller au Ciel. Je n'ai jamais été si bien préparé,
encore mieux que pendant la guerre. Je n'ai pas peur de vivre mais je n'ai pas
la crainte de la mort non plus : douze balles ne me feraient pas broncher : je
suis heureux de souffrir pour mon pays. Je donnerais volontiers ma vie pour sa
délivrance et j'envisage presque avec envie le jour où je serai lâchement cloué
au poteau pour assouvir la vengeance de quelques énergumènes sans entrailles et
sans cœur ... Si, un jour, je suis condamné, jamais on ne pourra dire que j'ai
mis quelqu'un dans l’embarras ou qu'un autre a été arrêté à cause de moi. Je
n'ai compromis personne, aucun de mes paroissiens ni aucun de des amis. J'ai un
dossier absolument vierge de ce côté et j'y tiens. C'est pour moi une question
de confiance et d'honneur. J'attends maintenant l'instruction ; je suis résigné
d'avance. S'il faut une victime je préfère que ce soit moi. Je n'ai jamais été
si bien disposé, je prie tous les jours pour devenir de plus en plus
indifférent vis-à-vis des événements et pour avoir mieux à l’esprit la pensée
du Ciel. Si ma mort pouvait faire du bien, ne vaudrait-il pas mieux que je
disparaisse ? A la grâce et à
la volonté du bon Dieu : je suis prêt ». Entretemps, toujours seul dans
sa cellule. « Les avantages d'être seul, écrit-il encore, ne sont pas à dédaigner. D'abord, on est
plus à l’aise, puis on prie mieux et plus; on médite, on réfléchit plus
sérieusement, on travaille davantage ». Et de fait, il prie beaucoup : le
bréviaire, il le lit lentement, goûtant à chaque phrase la richesse des prières
liturgiques. Chaque jour, il récite
plusieurs rosaires. Il étudie Saint-Paul dans lequel il découvre des trésors.
Il fait, comme il dit, ses écritures ; son journal, des sermons qu'il espère
pouvoir donner un jour à Pont-à-Celles et Dieu sait s'ils seront bien au point et
traduiront d'une manière adéquate ses grandes ambitions apostoliques. S'il
rentre jamais dans sa paroisse – il ne faudra pas l'en prier – comme il va se
lancer à corps perdu dans le ministère des âmes ! Il a conscience que pour une
part, il contribuera à relever le pays après les terribles années de guerre. « Aussi demain, si je sors d'ici, comme je
vais m'y mettre : je n'ai encore rien fait ». Il prêchera à ses ouailles la
charité, la charité et toujours la charité. Il essaiera de leur donner le sens
de la grandeur. Plus de mesquineries, plus de ce rien qui entravent les plus
belles initiatives. Il s'efforcera de développer en tous la valeur personnelle,
le cran, l'audace, la fierté. « Après la
guerre, écrit-il, il faudra se
remettre à la besogne de tout cœur. Il en faudra du courage, de la patience, du
dynamisme aux dirigeants responsables pour rebâtir la Cité. Plus je connais les
hommes et plus j'ai confiance en Dieu. Y a-t-il encore des types, des vrais, des
sincères, des gens sur lesquels on peut compter, des hommes intègres et tout
d'une pièce, qui ont le courage de leurs convictions et qui ne rougissent pas
de leurs amis, des amis qui vous restent fidèles dans le malheur ? Que ce sera
dur après la guerre de restaurer notre pays avec du matériel si peu
recommandable ! Il en faudra du courage ! Si on était paresseux, on dirait
volontiers: heureusement qu'on n'en a plus pour longtemps à vivre ; je le
répète : je n'ai pas peur de mourir mais si je désire vivre, c'est justement
pour sur monter cette difficulté, c'est pour assurer cette lourde besogne de la
restauration chrétienne de ma paroisse, car il y a encore du vrai bonheur à vaincre l'obstacle.
Que tout le monde s'y mette chacun dans sa sphère et l’avenir sera assuré. Je
demande au bon Dieu que mon sacrifice ne soit pas inutile et que fleurisse
bientôt sur notre terre natale les vertus héroïques qui la rendront féconde et
fertile en bienfaisantes réalisations ». Tout serait à citer de ce journal du prisonnier
de Charleroi. En annexe, nous avons trouvé les adieux émouvants du Pasteur à sa
paroisse de Pont-à-Celles et une prière qui commence par ces mots : Seigneur
Jésus : je vous remercie bien humblement
des grâces insignes et multiples que dans votre infinie bonté vous daignez
accorder à votre indigne serviteur particulièrement en ces temps troublés où
tant de vos enfants souffrent atrocement dans leur âme, leur cœur et leur
corps. Vous m'avez jugé digne de participer d'une manière réelle et sentie à
cette multitude de douleurs ; que votre Saint nom soit béni ! J'en accepte
volontiers le sacrifice que je considère très léger à côté de ceux bien plus durs
que doivent subir tant de malheureux sans consolation parce qu'ils ne
comprennent rien à votre providentielle protection. Je ne vous demande pas
personnellement ma délivrance. Je supplie seulement votre divine miséricorde de jeter un regard favorable sur
votre peuple et de faire cesser pour tout le monde cet épouvantable fléau... Pour ce qui me concerne, daignez continuer à me
donner la force de supporter courageusement, chrétiennement et sacerdotalement toutes les conséquences apparemment
fâcheuses de ma réclusion... Et la prière continue très élevée
de ton, riche infiniment des plus beaux sentiments. Charleroi aura été pour le regretté curé
de Pont-à-Celles le noviciat mais combien dur déjà et méritoire d'une
profession qui sera la consommation du sacrifice. Ce qui s'est passé ensuite à Saint-Gilles, à Bayreuth, à Flossenburg est encore le secret de Dieu. Mais ce que nous
pouvons affirmer, c'est que préparé par toute une vie d'abnégation et de
dévouement au service de Dieu et de la Patrie, l'Abbé Fiévez
a dû marcher jusqu'au bout et gravir son calvaire sans faiblir, en se haussant
chaque jour davantage vers les cimes du sacrifice. Quelle vie que celle de ce
prêtre riche des plus beaux dons de la nature et de la grâce ! Nous aurions
souhaité le voir revenir d'exil pour continuer son magnifique apostolat dans le
diocèse de Tournai où son activité sacerdotale purifiée et fortifiée par I' épreuve
aurait été plus bienfaisante que jamais. Dans ses papiers, on a retrouvé une
citation du livre de l'Ecclésiaste, écrite de sa main : « s'il meurt, ce sera
mieux encore » ... Nous devons croire que son trépas, consommation d'un immense
sacrifice – le plus grand qu'un homme puisse faire – aura été pour lui le
couronnement et le terme de ces ascensions vers un idéal que pendant cinquante
ans, il s'efforça de réaliser. A nous maintenant, mes Frères, de tirer toutes
les leçons d'une si belle vie et d'une mort si tragique. Que du haut du ciel où
notre affection le voit déjà en compagnie des martyrs et des héros de la Charité,
son intercession, puissante sur le cœur de Dieu, nous obtienne de continuer,
chacun dans sa sphère, comme il l'a souhaité, l'œuvre de rénovation chrétienne
qui s'impose pour la sauvegarde et le rayonnement des intérêts de Dieu et de
notre chère Patrie. Puissions-nous, par des
ascensions quotidiennes, réaliser chaque jour davantage un idéal qu'à l'exemple
de l'Abbé Fiévez nous situerons très haut, si haut
qu'un jour, il nous permettra d'atteindre le Ciel où toute souffrance cesse, où
tout sacrifice reçoit sa récompense, où l'on trouve enfin l'entière félicité et
la vraie paix dans la contemplation de Dieu. (Ce texte, la suite du précédent, fut prononcé par
l’abbé Bracaval au service solennel chanté à Frasnes-les-Buissenal le 12 juin 1945) 5) L’abbé Fievez,
fut aussi un aumônier Jociste
inoubliable Monsieur l'Abbé Fiévez
fut, en même temps que curé de Sautin, de tous les
aumôniers fédéraux, le plus jeune de cœur, le plus généreux d'activité. Il
donna à ses confrères des traditions inimitables d'activité et de charité. Les
familles de sa paroisse visitées au moins une fois par mois ; les malades
réconfortés chaque jour « corpus et anima» comme par le Seigneur Jésus ; les
militants Jocistes et Jacistes relancés continuellement ; leurs aumôniers si
souvent surpris par le confrère pressé, qui leur apportait en hâte les
consignes et le matériel de propagande, et s'en allait d'un démarrage foudroyant...
Tout cela grâce à des dons exceptionnels de sympathie d'homme, d'optimisme
réaliste, de vertus sacerdotales, et de résistance physique extraordinaire.
Chez lui, l'épée, de trempe rare, n'avait pas usé le fourreau. Combien de
Jocistes furent éveillés par lui, initiés à leur tâche, entraînés, soutenus,
repris, réconfortés! Retraites et recollections, à la Trappe, à Fayt, leur infusait un peu de son zèle dévorant. Sa
dévotion à la Vierge se trahissait dans la ferveur du chapelet récité en auto,
retour de propagande. Les « ave » s'égrenaient dans le tonnerre du bolide
enfonçant l'air entre les rangées d'arbres des routes frontières. Les bonnes
gens des villages endormis, traversés à du cent trente à l'heure se doutaient
peu de la traînée de prières laissée par lui... Propagandistes de toutes les
organisations sociales et apostoliques étaient chez eux dans son accueillant
presbytère. Sans bonne pour être servi, l'hôte allumait lui-même le feu et
dressait la table de ses invités, à la rentrée des tournées, dont plaisant ou
taquin, il se disait le simple chauffeur. [1] L’abbé Fievez donna asile à un aviateur polonais et fut dénoncé. Il fut appréhendé et emmené à la prison de Charleroi où il resta du 1er décembre 1942 jusqu’au 14 août 1944. |