Médecins de la Grande Guerre

Les funérailles du brancardier l'abbé Henri Defroyer.

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A la douloureuse et glorieuse Mémoire
de l’abbé Henri Defroyer
Clerc minoré, Etudiant en Théologie
au grand Séminaire de Tournai
Membre du Thier-Ordre de Saint François
Brancardier à la Division de Cavalerie
Décoré de la Croix de guerre avec citation à l’ordre du jour de l’Armée Belge, des médailles de l’Yser, de la Victoire
et de la médaille commémorative

Né à Lessines, le 30 décembre 1893
Mort victime de la guerre, épuisé par un
dévouement héroïque et inlassable au service des blessés
sur les champs de bataille

Rappelé à Dieu, le 24 novembre 1920

 


Eloge Funèbre[1]

Prononcé en l’église St Pierre à Lessines
aux funérailles de l’Abbé Henri Defroyer
le lundi 29 novembre 1920

Par un condisciple, ancien frère d’armes du défunt

Consolatrix afflictorum, ora pro nobis.
Consolatrice ses affligés, priez pour nous.

       A une pieuse mère, douloureusement éprouvée par la mort d’un fils tendrement aimé, j’offre, en témoignage de profonde estime et de sincères condoléances, ces pages toutes remplies d’éloges et d’admiration, d’attachement fraternel et de regret, d’espérance chrétienne.

       Puissent-elles l’aider, dans ses moments de solitude et d’affliction, à supporter  courageusement la perte momentanée de son cher Henri.

       Que la Bénie Vierge Marie, la mère de douleurs, la consolatrice des affligés, lui obtienne la grâce d’accepter, en union avec elle, aux pieds du Divin Crucifié, la Sainte volonté de Dieu.

G. M.

Consummatus in brevi, explevit tempora multa
“ Sa courte vie vaut en mérites une longue carrière ” 
Au livre de la Sagesse ch. IV.
v. 13.

               Mes Frères,

       Au cours des longues années de guerre, de deuils et de misères qui ont passé sur notre patrie, semant dans les foyers la terreur, l’angoisse et la tristesse, mais aussi suscitant dans les cœurs les nobles sentiments de patriotisme et d’héroïque endurance, notre grande famille du Séminaire de Tournai ne fut pas non plus exempte de sacrifices et plus que d’autres, peut-être, paya généreusement sa dette envers le pays.

       En 1914, soixante étudiants en théologie et en philosophie quittèrent pour rejoindre l’armée, la chère maison d’études et de prières où ils se préparaient au sacerdoce.

       L’œuvre du salut national les forçait d’interrompre, pour certains momentanément, pour d’autres à jamais, leur formation ecclésiastique.

       Soixante partirent enthousiastes : n’allaient-ils pas vers leurs premiers sacrifices, eux qui se destinaient à immoler au Christ leur jeunesse ? La mort fit de larges trouées dans nos rangs : onze de nos frères dorment sur les champs de bataille et dans les cimetières de Flandre.

       Plus clémente jusqu’ici pour nos survivants de la grande épopée, elle semblait satisfaite du nombre de ses glorieuses victimes et nous laissait, au lendemain du retour victorieux, goûter en paix les joies intimes de la famille.

       La patrie rendue à la liberté nous permettait, cette fois, de disposer des forces, de l’activité, de la vie même que nous lui avions consacrées dans ses jours d’oppression et de captivité.

       En février 1919, les séminaristes soldats rentraient joyeux dans le lieu béni du séminaire et y retrouvaient leur seconde famille de prédilection. De nouveau se réalisaient pour eux ces paroles de nos livres saints : « Comme il est bon pour des frères d’habiter ensemble ». Ils étaient tous décidés, après une longue interruption à se préparer dans le recueillement, la solitude et le silence qui succédaient au tumulte des champs de bataille, et à la mêlée des armes, au grand jour de l’ordination sacerdotale. Plusieurs d’entre-nous, les aînés, ont déjà connu ces joies si longtemps attendues : soldats de la patrie, ils sont devenus des prêtres, soldats du Christ… Mais la mort n’avait point achevé sa moisson, la bataille avait cessé sans doute, mais toutes les victimes n’étaient pas encore comptées. Après nos moments d’allégresse, nous avons retrouvé aujourd’hui le deuil et la désolation.

       Nous venons pleurer sur la dépouille mortelle d’un de nos frères et célébrer la jeunesse prématurément fauchée de ce lévite plein de promesses, hier encore soldat intrépide, héroïque défenseur de la Patrie.

       Chers Parents, nous venons également vous apporter, avec nos chrétiennes et sincères condoléances, quelques paroles de consolation divine, offrir à nos cœurs meurtris un baume qui en adoucisse l’amertume.

       Appelé à l’honneur d’adresser à un confrère défunt les dernières paroles d’adieu ainsi que l’ultime témoignage d’affection et de regret, le pieux hommage d’admiration que rendent à ses vertus maîtres et condisciples, je me fais un devoir de puiser, dans les nombreux mérites de sa courte existence, quelques traits qui nous éclairent sur la beauté de sa vie militaire et ecclésiastique.

       L’Abbé Henri Defoyer fut dans les premiers temps de la guerre brancardier au 8ème Régiment de ligne en compagnie de son ami l’Abbé Jules Longerstay, un brave tombé au champ d’honneur en 1917 dans un poste avancé au secteur de Ramscapelle. Il passa plus tard à la Colonne d’Ambulance de la Division de Cavalerie d’où il fut détaché, durant une assez longue période aux Carabiniers Cyclistes. Au front depuis le début des hostilités, il ne cessa de donner à ses frères d’armes les exemples d’un dévouement et d’une charité sans bornes.

       Joyeux au milieu du danger, intrépide sous la mitraille, la fusillade et les bombardements, le bon Samaritain se porte jour et nuit dans la boue et les tranchées de l’Yser au secours des blessés, consolant les mourants et les préparant à une mort chrétienne. Soutenant dans ses bras leur corps meurtri, il recueillait leurs dernières confidences, leurs derniers soupirs. Apostolat sublime fait d’abnégation et de souffrances, rôle magnifique quoique effacé ! Le Brancardier remplaçait auprès de ces malheureux la mère ou l’épouse absente et les aidait à murmurer une dernière prière.

       Cette vie qui n’était pas sans dangers, ne se fait pas sans tristesse ni fatigues. Il faut l’avoir vécue pour la comprendre ! L’exil, la séparation auxquels s’ajoutaient la monotonie des longues heures d’attente et d’angoisse, le dégout du présent, la crainte de l’avenir, la garde aux tranchées, les marches forcées et épuisantes, les alertes, l’état misérable de pauvreté et de dénuement, ces rudes épreuves étaient certes de nature à ébranler une âme qui n’avait pas la force de la sienne.

       Malgré tout nous lui avons toujours vu cette gaieté franche, cet entrain, cette infatigable souplesse qui lui permettait d’accomplir des marches supplémentaires qu’il s’imposait pour visiter ses amis et les réconforter de sa bonne humeur.

       Sa bravoure ne s’arrêta pas à ces traits ordinaires : En mars 1918, son unité se couvrait de gloire dans une brillante contre-attaque au secteur de Regersoliet. Le Brancardier Defroyer y fut à la tâche et à l’honneur : en plein jour, au péril de sa vie, il alla enterrer les morts restés entre les deux lignes.

       Le 29 du même mois, l’armée le citait à l’ordre du jour. Au terme de sa carrière militaire, il reçut la Croix de guerre, les médailles de l’Yser, de la Victoire et la médaille commémorative.

       Il nous revint sain et sauf de la mêlée, animé d’une nouvelle ardeur pour ses études et sa préparation au Sacerdoce. Dieu qui veillait sur son jeune séminariste lui avait conservé, à travers les dangers de la vie des camps, la grâce de persévérer dans sa sainte vocation. Les nombreux séjours qu’il fit durant ses congés à Lourdes et à Rome, ses pieux pèlerinages à la grotte de Massabielle et au tombeau des Apôtres ne lui avaient-ils pas gagné de puissants protecteurs dans le ciel ?

       Il y a deux ans, à pareille époque, moi-même, il m’en souvient et vous tous frères d’armes, ici présents, nous brûlions du vif désir de revoir ces êtres chéris, cette maison qui avait abrité nos premières années, ces maîtres, ces amis dont nous avions été si longtemps et si cruellement séparés. Quelle joie inoubliable et indicible lorsqu’après une attente angoissée nous pouvions nous précipiter en une douce étreinte dans les bras de notre père, de notre mère, de nos frères et de nos sœurs muets et ravis de nous posséder. Peu de temps après nous redevenions séminaristes, l’Abbé Henri Defoyer, notre ancien frère d’armes, redevenait notre condisciple.

       Le 7 août 1919, il recevait la Tonsure et le 31 juillet de cette année, les ordres mineurs lui étaient conférés.

       Les vertus propres à l’état ecclésiastique, il les prodiguera dignement et pour notre édification : Son rude métier militaire chrétiennement et surnaturellement accompli ne l’avait-il pas initié à l’obéissance et au sacrifice ?

       Avec quel bonheur et quelle joie, il se montra pour la première fois en soutane, après avoir déposé la tenue militaire. Je le revois, après ce changement subit, transformé et radieux ; le fier guerrier avait fait place à l’humble et modeste séminariste.

       Avec quelle ardeur il prononça, le jour de son admission officielle à la cléricature ces paroles de Psalmiste que l’Eglise place durant la cérémonie dans la bouche de l’Evêque : « Dominus pars hereditatis meae » C’est vous Seigneur, que je choisis désormais mais comme part de mon héritage, à vous mes pensées, mes aspirations, mon dévouement, mon sacrifice.

       Désormais l’élu de Dieux se prépara de son mieux à gravir successivement les degrés de l’autel. De tout cœur il s’initia à sa sublime vocation : par piété, il entretint dans son âme des sentiments d’amour et d’union avec le christ, son nouveau maître. Il s’adonna tout entier à l’étude et à ses devoirs d’état, jusqu’à ce qu’en fin, miné par la maladie, il dut renoncer momentanément à poursuivre une si rude tâche. Tandis qu’il nous voyait plein de santé et d’ardeur, nous acheminer surement vers le terme, notre cher Henri prenait la résolution forcée de confier à ses chers Parents le soin de soutenir sa faiblesse et, comme l’on fait dans ces extrêmes, il rentrait dans sa famille pour y refaire ses forces chancelantes, y retrouver au contact d’êtres chéris la consolation et le courage de supporter la longue épreuve qui ne devait finir qu’à sa mort.

       Mais ce corps épuisé par l’exercice d’une inlassable charité, d’un dévouement héroïque au service des blessés sur les champs de bataille, abritait une âme forte, inébranlable. C’est au rude contact de la souffrance que de telles âmes se révèlent et donnent la pleine mesure de leur beauté, de leur grandeur… L’énergie, l’endurance la joie même qu’il conserva toujours intactes édifièrent les témoins de ses derniers moments.

       La perspective de monter un jour à l’autel, la certitude de devenir prêtre, de reprendre cette vie admirable de dévouement et de sacrifice ne le quittèrent pas un instant.

       Dans son extrême bonté ! Dieu ménageait cette douce illusion à son fidèle serviteur pour l’aider à supporter courageusement une trop dure réalité ; bientôt d’ailleurs une si longue attente devait-être consommée dans le ciel.

       Les meilleures volontés succombent devant l’impuissance physique et lorsque Dieu met un obstacle à nos faibles désirs, il ne nous reste plus qu’à nous incliner devant sa volonté sainte.

       Pauvre cher ami, ce n’est pas le Calice du Seigneur que vous avez offert et savouré ici-bas, vous avez bu à la coupe amère de la souffrance et de la maladie.

       Puisse ce sacrifice chrétiennement consenti vous méritez au ciel ces joies pures que vous n’avez pas goutées sur la terre.

       Mes Frères, vous le voyez, les paroles sacrées, que je vous citais au début de ce discours, se sont accomplies à la lettre : «  Consummatus in hevi, explevit tempora multa » Son existence éphémère est remplie de mérites et de fécondité. Son âme était agréable au Seigneur, c’est pourquoi il se hâta de la réduire de ce monde d’iniquité.

       Frères d’armes, la patrie a perdu en vous un fils dont elle était fière. Après avoir vaillamment partagé ses peines et ses souffrances, vous aviez eu le bonheur de recueillir avec elle les palmes de la victoire. Vous avez bien mérité ce doux sommeil en terre natale, dans le cimetière de vos aïeux. Dormez en paix à l’ombre de la croix… Au nom de l’Armée Belge, je vous adresse un suprême hommage.

       Frère dans le Christ, que Dieu nous arracha au pied des autels avant que vous ayez pu en gravir les degrés, le diocèse et le Séminaire de Tournai, que votre mort afflige, ont tenu à vous témoigner, en cette douloureuse circonstance, tout l’attachement qu’ils vous portent.

       Dès aujourd’hui nous prenons l’engagement d’offrir à votre intention l’une de nos premières messes.

       En vous, nous perdons un lévite, en vous nous retrouvons un intercesseur dans le ciel. Que la justice miséricordieuse du Tout-Puissant vous accorde de jouir là-haut en compagnie de nos onze frères martyrs, de la félicité des bienheureux.

       Pour vous, famille éplorée, dans la douleur si grande qui vous étreint, que la vie sainte et héroïque de votre fils chéri, de votre frère tendrement aimé, le souvenir inaltérable qu’il vous laisse d’affectueux attachement, de noble dévouement au service de la Patrie et de l’Eglise, restent votre consolation ici-bas, l’honneur et la fierté de votre maison.

       Dans un élan de foi et de chrétienne résignation offrez à Dieu vos cœurs brisés, Henri restera, là-haut le soutien, la force de ceux qui le pleurent ici-bas. La souffrance courageusement acceptée est un gage de vie éternelle.

       En attendant l’appel suprême de Dieu, méritons à notre tour, mes frères, par une vie plus sainte et mieux ordonnée à son service, la grâce d’une bonne mort et la récompense du Ciel où nous retrouverons, dans une étreinte plus suave et une communauté de vie plus intime, les êtres que la mort nous a momentanément ravis

Requiescat in pace

   

      

 

 



[1] Document envoyé par monsieur Michel EEMAN



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