Médecins de la Grande Guerre

Baron Pierre de Caters.

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Baron Pierre de Caters[1]

       Il y a quelques années à peu près, personne en Belgique ne savait où était situe St-Job in 't Goor. Ce n'était et à présent encore ce n'est accessible qu'après des heures de marche par des chemins praticables et impraticables.

       Mais un beau matin on se le répéta de bouche à oreille clans le pays et on raconta la nouvelle incroyable : « A St-Job on yole ... » ,alors on chercha dans le guide de chemin de fer et sur la carte où était situé le village, et d'Anvers et de Bruxelles on arriva vers l'endroit mystérieux au-dessus duquel les oiseaux prodigieux ronflaient où hélas l'un d'eux fut projeté dans la bruyère purpurine par la mort qui guettait.

       Ils accoururent par milliers et par milliers, les spectateurs y étaient depuis le grand matin, et tard dans l'après-midi, quand le vent alla dormir dans le crépuscule naissant, les oiseaux montaient dans les airs ; un cri d'admiration monta de toutes les bouches.

       Dans la douce soirée d’été ils retournèrent vers la ville et remplirent de leur babil excessif les allées des tilleuls odoriférants dans la solennité sacramentelle desquels Peter Benoit composa un jour son impérissable : « De W ereld in ».

       La place inconnue eut depuis lors une réputation qu'elle gardera dans l'histoire de nos choses remarquables. Là furent formés les premiers pionniers qui devaient pendant la guerre proche rendre à notre patrie foulée des services inestimables.

Il y aura à peu près douze ans que le baron de Caters laissait abattre une partie de ses magnifiques sapinières à St-Job pour y établir un vaste aérodrome.

       Durant des mois il a monté sur ce terrain une espèce d'appareil, qui était bien pourvu d’ailes et d'un moteur, mais ne put prétendre au nom d’aéroplane


Le Baron de Caters

       C'était un aller et sauter, un raboter et glisser, un tâtonnement et un tripotage impossible à décrire.

       Ceux, qui assistaient au cruel spectacle, levèrent le nez, haussèrent les épaules, devisèrent avec compassion le baron de Caters et s'en allèrent avec la ferme conviction : Cet homme est complètement fou !

       D'autres rependant admiraient la ténacité de cet homme frêle ce pouvoir de résistance et recommencer chaque fois, à essayer, sans jamais perdre courage, sans jamais maudire l'appareil capricieux et l'envoyer au coin le plus relégué, où l'on cache le vieux fer et les objets inutiles.

       Des jours, des semaines, des mois, il y fut travaillé par lui et ses aides pour résoudre le problème et faire ce que les frères Wright avaient fait en Amérique et ce que Farman essayait de réaliser en France.

       Chaque fois que le pilote traversait en cahotant la plaine avec sa bête, tremblante, fumante, puante, plusieurs amis étaient couchés à des endroits désigné la joue contre terre et épiaient les roues de l'appareil volontaire. A cette place de Caters tordit la surface supérieure en une direction oblique, et oui..., les uns disaient qu'il avait « décalé » de plusieurs mètres alors que d’autres maintenaient que l'affaire ne s'était pas élevée d'un cheveu de la terre.

       « Pier », ainsi qu'on l'appelait là, était de la dernière opinion, et heureusement aussi, car plusieurs fois le courageux baron pensa comment les choses se seraient bien passées si l'appareil s'élevant en l'air commencerait ses tours dans les hautes sphères.

       Il écouta alors flegmatiquement les querelleurs, fuma sa cigarette et y jeta finalement un mot comique qui fit rire tout le monde.

       Puis on recommença.

       Un jour cependant, j'ai vu le baron, si calme toujours maître de lui, sortir de sa peau au point que la sueur de colère lui coula le long des narines...

       Je veux le raconter, parce qu'alors un fait historique s'est produit en Belgique.

       C’était en juillet tôt par un matin ensoleillé... Les brouillards se trainaient en nuages épais sur la calme solitude des bruyères et s'accrochaient aux sapins comme des toiles argentées. Le soleil enflammait! l'horizon en feux d'or, un doux zéphyr soufflait sur la contrée sur laquelle le silence s’étendait comma une bénédiction. Je vois encore la contrée s'étendre clans l'enchantement d'une matinée d'été et je la sens à présent avec son âme de paix majestueuse.

       Baron de Caters avait fait apporter plusieurs changements à son type de biplan.

       L'appareil était prêt et attendait son... cavalier.

       De Caters examina encore une vis, laissa aller la main blanche sur le fil d’acier, y tira violemment et quand il eut tout trouvé en ordre, il enfonça la casquette sur la tête, releva le col de sa veste et monta sur ... son Pégase.

       L'aide fit tournoyer l'hélice d'un coup violent et la machine secouée, ronfla et fuma affreusement.

       L'appareil sortit du coin de la plaine immense, sauta en une course rapide sur le sol unifié et soudain chacun se regarda ému.

       Le coup était fait, le plateau s'était levé et l'avion planait, volait doucement dans la hauteur.

       Un cri, un seul, résonna de notre groupe, puis un sentiment de frayeur nous serra la gorge. Il se passa quelque chose de joyeux en nous, quelque chose qui, avec notre frayeur, nous maîtrisa complètement et qui en même temps nous rendit fier et heureux avec la solennité du moment.

       A mi-chemin de la plaine, le biplan descendit, avança péniblement dans le sable et échoua, après un moment, avec ses patins recourbés, dans un fossé. Il craqua, sauta, se fendit, et avant que nous pouvions le soupçonner, le bel appareil  avec ses grandes ailes, s'étalait tel un canard couché dans l'eau, la queue en l'air.

       Nous courûmes aussi vite que possible vers l'endroit de l'accident. Seul le rythme accéléré de nos pas, notre respiration haletante et le cliquetis de notre argent et de nos clefs dans les poches se firent entendre. Personne ne sut parler.

       Le premier émoi passé nous pûmes féliciter le baron pour son premier vol au dessus du territoire belge, félicitations qui furent arrosées de plusieurs coupes de champagne.

       Depuis ce moment il naquit dans le cerveau toujours en éveil du baron de Caters, une succession de plans pour faire participer l'armée à son exploit hardi. Lui et Tyck, ce dernier sur un monoplan ont, après ce fait, passé encore bien des heures dans la sueur de leur front pour amener le problème de l'aviation plus près de la solution.

       Le voyage que le baron de Caters fil ensuite en France, en Allemagne, en Algérie et ailleurs, témoigne de son expérience comme aviateur et de ses connaissances comme ingénieur. Les records de distance et de hauteur restèrent longtemps en sa possession.

       De retour à St-Job, il a bouleversé la contrée. Plus d'un amateur des alentours a pesté pour tout ce bruit et toutes ces visites ; mais de Caters avait, son plan et le poursuivait avec sa force arrêtée et inébranlable.

       Les officiers Montens et Sarteel étaient les premiers qui sous sa direction obtenaient leur brevet d’aviateur. Plus lard, quand le baron de Caters, par ordre du médecin, dut abandonner l'aviation, il mit sa plaine et ses aéroplanes gratuitement au service de l'armée, et sous son impulsion l'aviation se développa comme une force nationale, qui fut pendant cette guerre d'une importance spéciale.

       Je suis heureux de pouvoir affirmer ceci, moi qui ai vu le travailleur opiniâtre à l'œuvre dès le début, et connais son grand cœur patriotique, qu'à l’heure du grand et dur devoir, il s'est mis complètement à la disposition de la patrie cruellement éprouvée.

*

*               *

       A Genck-lez-Hasselt, il fut ouvert également une école d’aviation par le chevalier de Laminne, mais celle-ci fut, plus tard réunie avec celle de Brasschaet. Son premier élève fut .le lieutenant G. Nelis, actuellement commandant qui devint un des conducteurs les plus remarquables du service technique de l'aviation belge durant la guerre.

       L'école militaire d'aviation fut fondée en 1911.

       Le lieutenant Nelis en fut le premier directeur et fut secondé dans ses fonctions par le regretté commandant Lebon et par le commandant d’Hanis.

       Les aviateurs prirent part aux manœuvres pour la première fois en 1913. La première expérience réussit de façon brillante. C'était un enthousiasme universel qui encouragea la direction militaire à faire développer la nouvelle découverte comme moyen de défense du pays.

       Quand la guerre éclata l'armée possédait quatre escadrilles. Une à Liège, une à Namur et deux à Anvers, Chaque escadrille possédait quatre avions.

       Quelques civils tels Jean Olieslagers, A. Tyck, Hanciau, Vertongen, se mirent immédiatement au service de la patrie.

       Les escadrilles se bornèrent au début aux reconnaissances, et virent les puissantes légions allemandes étendre leurs ailes grises sur le pays et tinrent, d’heure en heure le grand quartier général à la hauteur des événements.

       L'escadrille de Liège fit la première connaissance avec l'ennemi, un appareil fut contraint de descendre et les occupants tombèrent aux mains des Allemands. Les trois autres purent fuir après la chute de la ville et rejoignirent leurs camarades à Anvers.

       La deuxième escadrille fut éprouvée plus fortement à Namur. A l'assaut de la ville trois officiers furent blessés dangereusement. A la retraite vers la France un autre appareil fut descendu au dessus de Maubeuge.

       Arrivés en France, les survivants reçurent de nouveaux appareils, le commandant de l'escadrille perdit la vie dans un accident, les autres purent atteindre Anvers où ils formèrent avec les restants de Liège une nouvelle escadrille.

       Toute l'école d'aviation belge était donc réunie à Anvers. Ceux qui avaient déjà été au combat mirent les autres au courant.

       Les aviateurs furent divisés en plusieurs sections. Les jours se passèrent en reconnaissances parfois jusque loin dans le pays, jusqu'à la Meuse, pour observer les mouvements des troupes.

       Petit à petit les aviateurs furent armés. Au début avec des revolvers, plus tard avec des mitrailleuses pour abattre les avions allemands. Des flèches en acier furent projetées sur les troupes. La guerre aérienne prit sa première apparence.

       C'est en tremblant qu'on vit partir un camarade en reconnaissance, car il n'avait pas seulement à compter avec une défection de moteur, mais aussi avec les balles allemandes ; en effet l'ennemi était armé pour la conquête de l'air.

       Le premier taube allemand fut descendu par un Belge en 1914 au-dessus de Berchem-Ste Agathe.

       Avec quelles difficultés les aviateurs n'avaient-ils pas à lutter ? Les premiers appareils, n'avaient pas seulement pour ennemi les éléments déchainés mais aussi les Allemands mieux armés. D'un autre côté, la direction militaire considérait la nouvelle arme d'une façon douteuse ; elle n'était pas prévue dans le « Règlement en Campagne ».

       Les aviateurs étaient combattus par toutes sortes de préjugés. Les autres armes jalousaient les aviateurs qu'ils considéraient comme des embusqués, qui ne devaient jamais faire le service des tranchées et « s'amusaient » loin derrière la ligne de combat.

       Plus tard, quand l'aviation reçut surtout pour mission de diriger le feu d'artillerie, les canonniers ne pouvaient admettre, que quelqu'un qui n'appartenait pas à leur arme put se mêler de leur spécialité même au moyen de télégraphie sans fil.

       Et nos troupiers, quelle amertume ne nourrissaient-ils pas envers ces « artistes » qui ne devaient jamais se trainer à travers la boue et la saleté pour atteindre leur but.

       Qu'il a fallu du temps avant que tous purent se rendre compte du travail parfois inhumain que durent accomplir les aviateurs. Seulement plus tard les préjugés disparurent quand on remit au Grand Quartier Général les photos où les lignes allemandes étaient indiquées dans leur plus petites particularités. Les troupiers eux-mêmes étaient devenus nos amis parce qu'ils comprirent maintenant qu'ils pouvaient toujours compter sur les aviateurs. Ils combattirent d'ailleurs les bombardeurs ennemis, ils les soutinrent dans leurs attaques, et nettoyaient les airs, d'où il y a quelque temps ils furent assaillis si souvent. Ils n'hésitèrent jamais à se porter à leur secours au moment dangereux.

       Plus tard encore, pendant la bataille en Flandre, quand notre armée tenta son attaque et traversa des marais et des fossés, où il était impossible de les ravitailler par des chemins impraticables ; c'étaient encore les aviateurs qui au moyen de parachutes leur apportèrent de la nourriture et des munitions.

       Après la retraite d’Anvers, les aviateurs se fixeront à Ostende, puis à Furnes et à Dunkerque.

       A la bataille de l'Yser leur matériel était en mauvais était. Il n 'y avait pas de tente pour les abriter, pas d'atelier pour faire les réparations nécessaires et panser les blessures des grands oiseaux. Tous furent mis ici à une rude épreuve. On dut faire flèche de tout bois, et cependant le personnel technique sut se tirer d'affaire et conserver les machines en bon état.

       Avec quelle émotion ne doivent pas penser nos plus anciens camarades qui ont participé à la bataille de l'Yser, à ce temps tragique, quand les soldats allemands arrivèrent par mille et centaines de mille et foulèrent de leurs bottes, le pays entre Nieuport et Dixmude, et quand ils regardèrent de l'autre coté, la pauvre poignée de Belges, qui se dressaient contre eux sur la dernière bande du territoire sacré.

       Eux seuls avaient un coup d'œil clair et juste sur les événements, d'un côté mouvement immense de canons et d'hommes, de l'autre silence complet. Sur les grands chemins uniquement le triste cortège de fuyards qui abandonnaient leurs maisons en flammes. Là au loin les préparatifs à la grande bataille qui devait enserrer le dernier morceau de la patrie, la préparation de ponts innombrables, qui seraient jetés sur le fleuve ; le fleuve qui, dans l'histoire des peuples, a conquis un nom fameux !

       Le cœur des aviateurs se remplit de douleur amère, et tous, bien qu'ils ne le laissèrent jamais apparaitre, eurent pu pleurer de colère, de tristesse.

       A présent ce serait fini de la malheureuse Patrie ! A présent l'ennemi verrait réussir son plan, et avalait la Belgique. Maintenant... mais voyez, voyez comment la petite, armée se défend contre les masses dangereuses des Barbares. Voyez comment chaque parcelle de terre est disputée avec un courage surhumain ! Voyez comment les braves se maintiennent, des semaines entières et luttent comme des héros ! Voyez, comment l'eau déborde sur la terre, et lentement, lentement inonde tout, noyant misérablement les Allemands. Le miracle avait eu lieu ! Ils en étaient les témoins oculaires tous les jours. Leurs cris de joie retentissent dans les airs !

       Les aviateurs le voyaient ! Ils le voyaient et ils vécurent et souffrirent la grande épopée.

*

*               *

       Au début de 1915 se développèrent les différents services de l'aviation : Photographie, Télégraphie-sans-fils, Chasse, Reconnaissances, et Bombardement s'étendaient de jour en jour.

       Des ateliers de réparation furent établis à Calais. Dans la banlieue de Paris fut établie une école pour jeunes gens Belges. Là on forma cette phalange de jeunes héros dont on a trop peu parlé et qui ne furent pas estimés par le public, surtout par ignorance.

       Et cette école fit honneur au directeur qui en conçut le plan, l'étudia et l'exécuta.

       Pendant les trois années suivantes la lutte sévissait dans toute son intensité, 1918 apporta la victoire, le corps d'aviateurs se montra à la hauteur de sa tâche.

       Dans un ordre du jour à l'armée il fut communiqué par le chef d'état-major ce qui suit :

Au Commandant de l’Aviation,

       J'ai l'honneur de vous prier d'adresser au personnel de l'aviation militaire le témoignage de toute ma gratitude ; ainsi que rires vives félicitations pour les services signalés qu'elle a rendus à l'armée au cours de la dernière offensives des Flandres.

       Par l'endurance et le courage dont tous, pilotes, passagers, observateurs n'ont cessé de faire preuve au plus fort de la bataille, comme au milieu des intempéries, l'aviation a contribué dans une large mesure à la victoire finale.

       Soixante-cinq des nôtres ont laissé leur vie pendant la guerre. Nous les commémorons avec fierté. Nous les avons bien vengés car 125 victoires furent remportées par les avions de chasse sur les avions de chasse allemands.

       Parmi ce grand nombre de chasseurs je veux choisir les plus remarquables pour les présenter aux lecteurs :

Commandant Jacquet qui forma équipe avec les lieutenants Robin, Willy Coppens, Thieffry, De Meulemeester et notre ami Jan Olieslagers.

       Nous voulons d'abord citer quelques mots de G. Raal, consacrés à la mémoire du capitaine Deschamps, une des premières victimes du corps des aviateurs.



[1] La Grande Guerre (deuxième)



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