Médecins de la Grande Guerre
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Souvenirs d’Allemagne Ce que fut en général
la vie réelle des Prisonniers de Guerre 1914-18. Ceux restés au pays. La réception d’une lettre de soldat. PRÉFACE Monsieur Ramaekers nous présente un résumé de ses souvenirs de
captivité. Relation très
intéressante et comme le dit l'auteur, dénuée de toute prétention, sans
recherche de l'effet. Le ton y est
toujours cordial avec la pointe d’humour et de sentimentalité qui caractérise
tout vrai wallon. Ce petit livre sera lu
par tous les Anciens de la Grande Guerre et il serait désirable qu'il le fût
également par nos jeunes générations afin qu'elles mettent tout en œuvre pour
éviter le retour de pareilles misères. Général A. Jones. A mon fils Marcel Ce que fut en général
la vie réelle des Prisonniers de Guerre 1914-18. L’auteur à Steinhorst en 1916 1914 ! Année lointaine ! Pour beaucoup déjà tu n'es qu'un fugitif souvenir. Cependant hélas ! Ils sont nombreux ceux qui ne peuvent l'oublier ! le voudraient-ils que les souffrances endurées avec toutes les misères qui en découlent les forcent inévitablement à toujours y penser. D'un côté ce sont les prisonniers qui ont eu la chance (si l'on peut dire), de pouvoir sortir de l'enfer de la captivité, de l'autre, ce sont les parents de nos camarades qui, en plus de leur liberté laissant en captivité leur vie, sont morts loin de leurs chers bien-aimés. Les premiers, ceux qui sont revenus, continuent chaque jour à payer un bien cher tribut en récompense de leur abnégation de 1914. Lisez L'Invalide Belge, chacun de ses numéros contient la liste, si longue, hélas, des combattants qui passent dans un monde d'où on ne revient pas. Lisez les chroniques de nécrologie de toute la presse. Vous constaterez, comme nous ; que les 6/10 des décès sont ceux d'anciens combattants et que de ces 6/10 la moitié sont d'anciens prisonniers. Combien aussi parmi ceux-ci y a-t-il d'invalides qui ne touchent rien en fait de pensions ? Ne pouvant « naturellement » produire les attestations devant venir d'Allemagne, nos ennemis ayant tout intérêt de ne pas les délivrer. Si je me suis décidé à, reparler de ce triste passé, c'est tout simplement à la suite d'une conversation avec mon ami Lucien et ayant trait à la question à l'ordre du jour : « Le Chevron du Prisonnier ». J’ai lu plusieurs livres d'anciens, prisonniers, leur narration est sincère, mais aucun n'a écrit avec assez d'ampleur les souffrances subies dans les geôles allemandes. Je m'empresse de vous prévenir, je ne suis pas un écrivain, ma narration vous sera donc faite dans un style d'écolier. Toutefois elle sera sincère, elle vous égayera parfois, mais souvent aussi vous fera frémir. Les faits que je signalerai auront été vécus, enfin les personnes évoquées seront mentionnées par des initiales, sauf pour quelques-unes dont je me ferai un devoir d'inscrire le nom, ce sera pour celles-là un témoignage de reconnaissance pour le bien qu'elles auront fait durant leur triste séjour en captivité. Mes souvenirs s'élèveront vers nos parlementaires pour qu'ils se souviennent, et ce, avec la certitude que lorsqu'ils m'auront lu, ce seront eux qui défendront la cause de ceux oubliés jusqu'à ce jour.
Premier
chapitre SUR LA ROUTE D’EXIL Sur la route de l’exil. Un groupe de la triste cohorte de prisonniers s’acheminant vers l’Allemagne 7 août 1914 ! La guerre est déjà de
quelques jours. Malgré l'héroïque défense de notre armée, les intervalles sont
franchis. Liège, hélas ! est
investi. Nous comptons déjà de nombreux morts et
blessés. Les premiers convois de belges prisonniers arrivent en ville, sont
dirigés vers la Citadelle, une partie est placée en otage sur les ponts de la
Meuse afin d'en empêcher la destruction par nos forts tenant toujours. Nos prisonniers redescendent en ville,
franchissent le pont Neuf escortés d'un fort contingent des gris-vermine. Rue Grétry, les habitants d'un geste
unanime, distribuent forces douceurs à nos braves victimes du devoir. L'acheminement de cette triste cohorte se continue vers la
Chartreuse, où, dans les écuries, n'ayant que le fumier comme
litière, nos braves pioupious vont passer la nuit. J'oubliais de dire que les repas furent pris
par cœur, et si ce n'étaient les
douceurs reçues en cours de route, c'est le ventre vide qu'ils auraient dû attendre le lendemain. AUFSTEKEN ! HERAUS ! LOS Tel est le réveil des pensionnaires de
la Chartreuse, en route par quatre, marche vers l'Allemagne, fut la nouvelle
direction ; Beyne, Micheroux, Herve, tel est le premier
chemin parcouru, malheur aux retardataires ! Les coups de crosse des
gardes-chiourmes avaient vite redonné de la vigueur aux pauvres éreintés. Arrivés au château de Soiron, une halte
fut enfin accordée, on y passera la nuit. Sur le gazon des pelouses ou sous les
arbustes, se collant les uns autres, afin d'avoir moins froid, nos gars
éreintés, à bout de forces, se couchent et s'endorment d'un sommeil de plomb. Le lendemain, une vache dépecée sur
place, lès Allemands préparent le fricot, nous reçûmes enfin un peu de soupe,
un morceau de lard ou de viande. Le triste cortège se remit en route pour
Andrimont, Ensival fut traversé et, mille fois hélas ! un
de nos gars le fut aussi ! le malheureux était
sorti un peu trop des rangs, le Boche, près de lui, d'un coup de baïonnette le
coucha à terre pour toujours ! Ce soudard paya de sa vie ce geste d'un lâche,
car à la prochaine halte, son chef, un des rares hommes de cette armée le fit
coller au poteau. Inutile de vous dire qu'aucun de nous ne se risqua encore de
franchir le cordon des chiourmes flanqués à nos
flancs. Verviers nous accueilli avec les pleurs
des habitants, comme ceux de Liège, ils nous réconfortèrent et nous accablèrent
de douceurs et de boisson. Sur tout notre parcours nous pûmes
remarquer les incendies. De toutes parts, ce n'était que ruine sur ruine et
pour nous encourager, nous vîmes, avec regret, défiler l'armée de l'envahisseur
avec son charroi innombrable. Dolhain franchi ! Voici le poteau
frontière ; nos cœurs saignaient ; le vide se faisait en nous et c'est tout à
fait démoralisés que la foule des insulteurs d'Eupen nous accueillit : (Il est
très probable que cette foule pour la plupart des femmes et des enfants,
étaient des Prussiens venus accompagner le départ des troupes en marche vers
nos régions.) Ici ce ne fut ni Liège ni Verviers ; les
douceurs nous données furent de la boue, des pierres, des injures... On alla
même jusque nous cracher à la figure. Pour nous soustraire à cette meute, on
nous fit pénétrer dans une église, là, nous, reçûmes un gros morceau de lard
pour casser la croûte... SUR LA ROUTE D'EXIL ! Un train de luxe était en voie de formation
pour nous... dans des wagons à bestiaux, sur des bancs sommaires, nous fûmes
embarqués, entassés, et, en route pour PADERBON... notre premier camp en Allemagne. Notre voyage se fit avec tout le confort
imaginable ; tantôt un arrêt subit suivit d'une mise en route aussi brusque,
nous lançait les uns contre les autres. A peine pouvions-nous élever la voix
entre nous, le Boche dans son argot aussitôt nous faisait taire. Nous devions nous borner à regarder
défiler le paysage entrevu par la portière laissée ouverte. Le plus dur pour nous fut de voir notre
chiourme installer son sac sur le banc en face de lui, l'ouvrir, en retirer
pain, viande, etc., se mettre à manger avec le soin de bien tout installer pour
exciter notre convoitise, ce qu'aucun de nous n'aurait pu faire, n'ayant pas
même le plus petit croûton en poche, car vous comprenez aisément que le frugal
repas nous donné à l'église avait été par nous tous dévoré ,à belles dents. Cahin-caha, notre convoi s'achemine, de
temps à autre se garant pour laisser passer ceux des troupes en route vers la
Belgique. On arrive ainsi en gare de Düsseldorf. Nouvel arrêt, précisément sur
la voie voisine se trouve un train de troupe au départ. Les soldats s'y trouvant sont
ivre-morts, ils chantent, hurlent et boivent ; pour exciter leur courage, on a soin
de leur signaler notre présence, inévitablement de nouvelles injures nous sont
adressées. Les pauvres inconscients nous tendent le poing... ils se doutent
bien peu, les malheureux, où on les conduit, l'un d'eux, fût-ce bravade ou
l'influence de la boisson, grimpe sur le toit de son wagon, se met à nous
traiter de SCHOINS (cochons), fait le geste de nous couper le cou, mais pour
son malheur son train se met en branle... le soudard chancelle... bascule et
vint choir sur le rail entre deux wagons dont un lui passe sur le corps. Nous ne pûmes que frémir devant ce
malheur qui, pourtant, n'était qu'une juste punition. Notre train repartit, le voyage se
continua sans histoires pour nous, s'appuyant les uns sur les autres chacun
essayait de dormir. Nous fûmes réveillés par de grands cris ; le train était
arrêté en gare de Cologne. Des femmes, des jeunes filles munies de paniers remplis
de victuailles accourent vers nos wagons... nous étions déjà tous contents de
l'aubaine, pensant enfin pouvoir nous régaler, nous dûmes déchanter... ces
gâteries n'étaient pas pour nous, ce fut nos chiourmes qui remplirent à nouveau
leur sac garde-manger !! Tout de même quelques dames arborant l'insigne de
la Croix-Rouge nous apportèrent quelques sandwichs, la quantité n'étant pas
suffisante pour que chacun de nous en puisse profiter, nous dûmes partager...
résultat : nos portions devinrent très réduites. Reparti à nouveau notre convoi s'en fut
vers une destination pour nous inconnue, je m'endormis dans mon c.oin et m'éveillai
à destination PADERBORN ! EN CAPTIVITE ! En captivité. Une distribution de soupe sous la garde bienveillante de nos gardiens désarmés ! Paderborn ou plutôt Paderbornelager
! fut notre première prison, comme dans les wagons que
nous venions de quitter on nous entassa dans des baraquements, de tous côtés
nous étions gardés par des sentinelles armées, baïonnette au canon, c'est à
peine si nous pouvions nous rendre aux petits endroits pour satisfaire les
besoins de la nature, et encore, étions-nous chaque fois accompagnés. Nous
reçûmes chacun un croûton de pain, quelques-uns de nous eurent la chance
d'obtenir un peu de café. Le soir vint: pour nous il fut fort
triste, sans lumière, nous échangions nos premières pensées, le sommeil fut difficile
à venir... Un coup de feu éclata dans la nuit ! c'était, paraît-il, une
sentinelle qui avait tiré sur un prisonnier voulant se rendre à la cour... La nuit s'acheva lugubre... Le matin
s'amena nous trouvant tous, brisés et harassés. Les Boches nous permirent de
nous promener dans le cantonnement, enfin ! pensions-nous,
allions-nous être tranquilles ! notre déception ne se
fit pas attendre, cette permission nous avait été accordée uniquement pour
permettre à la population civile de venir nous contempler comme bêtes curieuses. Nous fûmes harcelés par cette population
en délire, qui nous criait : Luttich capout ! Anvers capout ! les gros mots ne nous furent guère ménagés. D'aucuns nous prenaient
même pour des soldats anglais ! Près de nous un groupe discutait en
français avec un de mes amis, originaire de Liège (c'était le fils d'un major
d'infanterie, par la suite après diverses tentatives, cet ami, parvint à
s'évader). Je m'approchais afin d'obtenir des
nouvelles du pays, à les entendre les Allemands avaient déjà conquis toute la
Belgique et étaient même en route pour Paris ! Je leur demandais (sérieusement) si les forts
de Bruxelles résistaient toujours ? Ils me répondirent qu'ils étaient pris déjà
depuis plus de deux jours ! (sic). Edifié, je m'éloignais narquois ; je
vis un rassemblement de Boches armés, gesticulant et criant (selon leur
habitude), craintivement, je voulu voir ce qu'il y avait. Ces brutes houspillaient
deux sous-officiers français, les maréchaux de logis M... et
B... deux dragons, qui devinrent mes amis par la suite. Ces braves Français refusaient de donner
leur parole d'honneur de ne point tenter de s'évader, roués de coups, à moitié
déshabillés, ils furent fourrés au cachot. Les civils circulant à travers notre
camp achetaient pour quelques marks, à nos camarades, des trophées, souvenirs
de notre passage chez eux, ces trophées étaient des boutons, ceinturons,
plaques de schako composant nos uniformes. Nous ne restâmes que quelques jours à ce
camp qui, paraît-il, devint un camp de passage ! Réembarqué à nouveau, vers une nouvelle
destinée, nous arrivons à MUNSTER où nous reçut le triste Sire, à l'allure de
Don Quichotte, s'appelant, je pense, ROSWALD, mais que nous appelions ROSSE-MAN. Parqués sur une des allées du camp,
toujours entourés de nos sentinelles armées, nous subîmes une fouille complète,
tout ce que nous avions à prendre, montre, bague, canif, pipe, tabac,
cigarettes ou argent, en un mot, tout ce que nous avions sur nous nous fut
enlevé... Nous fûmes ensuite partagés en groupe
d'environ cinq cents, à chaque groupe fut désigné une baraque-logement, c'est-à-dire
une écurie en planche qui n'était pas de construction récente loin de là ! De chaque côté de ces écuries ; il y
avait un compartiment réservé au logement de troupe, nos sous-officiers y
furent casés, l'écurie partagée en deux dans le sens de la longueur, fut
destinée au restant du groupe, chaque partie reçut ainsi à peu près 200 à 250
hommes. Ces
écuries n'étaient même pas nettoyées, le restant de fumier y était toujours,
chacun de nous, comme des bêtes, dûmes y chercher notre place... Après un triage sommaire entre nous,
nous nous sommes casés en nous groupant, les amis d'une ville ou d'une même
commune ensemble. Après avoir, des pieds et des mains
nettoyé le mieux possible notre nouveau logement, nous nous sommes partagés le
semblant de paille nous remis par les Boches. La nuit fut très froide, les portes ne
fermaient plus ou presque plus, le toit à moitié pourri
laissait pénétrer le vent... telle fut notre première installation à
Munster, où nous restâmes jusque vers janvier 1915. Brièvement, je vais retracer les traits
saillants de notre premier séjour en cette terre hospitalière. Après avoir procédé au recensement de
leurs nouveaux pensionnaires, les Boches nommèrent parmi les plus anciens
sous-officiers, un chef de baraque ; parmi les autres des chefs de sections. Notre vie se passa en corvées diverses,
nous dûmes subir une vaccination diphtérique, je crois, épuisés comme nous
l'étions, beaucoup de nous en furent très malades. Nous n'avions ni savon, ni linge de
rechange, tout nous ayant été enlevé, il nous fut très difficile de conserver à
notre corps l'état de propreté auquel nous étions habitués ; la vermine fit
bientôt son apparition, la barbe et les cheveux en profitèrent pour pousser
démesurément, nous fûmes bientôt méconnaissables. De la nourriture nous accordée que vous
dirais-je ? Le pain mauvais par excellence pesait à peu près 3 kg, il nous
était donné pour trois jours et pour trois hommes. Nous devions le partager
nous-mêmes, aussi cette distribution amena ; comme vous devez le penser, de nombreuses
disputes, personne n'était jamais satisfait du partage, la répartition des
trois morceaux se faisait même par tirage au sort. Ce morceau de pain était
serré précieusement dans notre mouchoir de poche et ne nous quittait jamais, la
nuit on dormait dessus. Ce qui n'empêchait pas les rats de venir nous en
enlever une bonne partie, et même parfois c'était un de nos camarades, peu scrupuleux,
poussé par la faim qui nous l'enlevait. Il était assez rare de voir le jour
d'une nouvelle distribution, un prisonnier encore possesseur d'un bout de pain,
mais on aurait également compté ceux de nous ayant toujours leur ration le
lendemain du partage, la présence d'un croûton dans une de nos poches, à
proximité d'un estomac tiraillé par la faim, était fort tentante, à chaque
moment on grignotait un petit bout et petit à petit la portion entière y était
passée. LA
SOUPE Une distribution de soupe aux prisonniers civils. Femmes ! Vieillards ! même les enfants ! Tous étaient bons pour la captivité ! Mentalité allemande ! Diverses soupes nous ont été
confectionnées, nous allions la chercher dans de vieilles boîtes à conserves trouvées
dans le camp ; certains se servaient de mangeoires à l'usage de chevaux,
baquets trouvés dans nos écuries et qui servaient également de bassin pour
procéder à la toilette matinale ou autre. Nous devions faire la file aux
cuisines et cela durait des heures entières, nous étions encore très heureux
lorsqu'une bousculade ne nous faisait pas renverser la mixture que nous venions
d'obtenir. Quelques variétés de bonnes soupes
prises au hasard ! Soupe aux rutabagas, soupe « à la panse de vache », soupe
aux poissons, etc., chaque variété avec quelques pommes de terre qu'il n'était
pas difficile de compter. Le café était, je pense une mixture de
grains et de glands. Cette nourriture était à peu près commune à tous les
camps, aussi je n'en parlerai plus. A Munster, nous eûmes le triste honneur
d'être les collègues des braves prisonniers civils de Visé, Boncelles et
Louvain... Braves déportés qui furent maltraités pis que nous. Pour un oui, ou
pour un non, les coups de feu des Boches faisaient le silence parmi eux. Je me
rappelle l'enterrement d'une de ces victimes, je vois encore le petit bois...
un trou... et... l'enfouissement comme une bête... sans cercueil, un peu de
feuilles, de la terre, c'est tout... Ces braves civils encore plus mal lotis
que nous, n'avaient pas la nourriture nous accordée, pourtant parmi eux il y
avait bon nombre de vieux que la faim clouait sur leurs grabats. Nous les
aidions de notre mieux quoique nous ne pouvions leur rendre visite, pour eux,
nous fûmes voleurs, nous étions parvenus à dérober quelques pommes de terre aux
cuisines et ce non sans risque. Il fallait voir avec quelle allégresse nous recevaient
ces braves vieux. Je me rappelle une belle chasse aux poules que nous avons
faite avec Louis D. des Biens-Communaux, chasse effectuée dans une écurie non
occupée et qui nous rapporta trois belles victimes, dont deux allèrent régaler
nos braves civils de Visé et de Boncelles, sur un feu de scout, dans de
vieilles boîtes à conserves, elles furent converties en frigo. Le rapt des
pommes de terre récidivé par le prénommé L.D... valut à son auteur
les premiers honneurs du poteau, à Munster, si vous ne connaissez pas cet
honneur, en voici les détails un poteau téléphonique, on y adosse l'honoré,
puis avec des cordes, en commençant par les jambes, on le, ligote au poteau en ayant
bien soin de serrer à chaque tour. Lorsque le ligotage est terminé, les pieds
du patient ont quitté le sol, pendant une heure ou deux, il restera ainsi
exposé à toutes les intempéries. Le
supplice terminé, nous sommes obligés de ramasser et de transporter dans sa
baraque le malheureux camarade, tout meurtri. Il nous était également interdit de
fumer, malgré que tout nous avait été enlevé, nous pûmes toujours trouver de
quoi sacrifier à Nicot ne fût-ce que du thé salé ou de la tourbe. Mais gare
lorsque la fumée nous-ayant dénoncé nous étions aperçus par le feldgraw chargé de notre surveillance. Aussitôt il était à
nos trousses armé d'une cravache, nous étions poursuivis, c'était alors un
frénétique galop autour des écuries et malheur à celui qui se laissait
rejoindre. Lorsque nous n'étions pas de corvée, nous passions notre temps en
flânant ou groupés dans un coin nous nous racontions des histoires et de temps
à autre quelques-uns d'entre nous y allait de sa petite chanson. Ces quelques
amusements étaient toujours suivis d'une nostalgie violente qui, parait-Il,
s'appelle le cafard. Pour compléter l'ordinaire de nos repas,
nous étions toujours à l'affût d'une aubaine quelconque, tantôt nous avions la
chance de dérober soit un chou, soit une betterave, c'était alors toute, une
affaire. Certains d'entre nous se contentaient des épluchures qu'ils
ramassaient dans les ordures près des cuisines. Entretemps de nouvelles écuries
furent mises en construction, ce Fut
évidemment les prisonniers qui fournirent la main-d’œuvre avec comme
rémunération quelques tranches de pain parfois accompagnées de wortz (saucisson), seulement cette rémunération n'étant pas
suffisante pour compenser la perte des forces occasionnée par ce travail, les
volontaires devinrent rares, on fut obligé de les payer avec quelque argent. Ce
fut l'ère de l'ouverture des cantines tenues par des Boches, ce que nous
pouvions y obtenir nous était fait payer largement et tourna même à
exploitation. Quelques amis eurent le bonheur de recevoir la visite de parents
venus de Belgique, ce bonheur leur fut mesuré, car ils ne furent en présence de
leurs proches que pour un temps déterminé et très court. Deux jeunes enfants russes prisonniers. Arrivés mutilés en captivité… l’âge non plus ne comptait pas ! Les nouvelles écuries terminées, nous
allâmes les occuper, nous étions tout de même un peu mieux que dans celles que
nous venions de quitter, là, au moins, le vent et la pluie ne venaient plus
nous trouver, des poêles même furent installés. Nos distractions commençaient à
se multiplier, les concours de jeu de dames, d'échecs, etc., furent à l'ordre
du jour pendant tout un temps, ils contribuèrent ainsi à l'oubli de nos peines
et à l'éloignement momentané du cafard. Grâce en soit rendue à notre
sympathique liégeois, Désiré Cruis, qui en fut un des
principaux animateurs. Des séances de café-concert, de prestidigitation, même
de magnétisme purent être mises sur pied, c'était mieux, mais cela ne valait
tout de même pas la liberté. Notre premier Noël de guerre se passa
ainsi moitié dans la peine, moitié dans la joie. Notre séjour à Munster touchait à sa
fin, nous étions destinés à voyager telle juif errant. Nous reprîmes place dans
la colonne et en route pour une nouvelle destination, cette fois pour Soltau, dit camp des Belges. SOLTAU ! Avec la pluie et l'hiver, nous sommes
arrivés à Soltau déjà occupé par de nombreux
compatriotes ayant contribué à l'installation du Camp. Tout comme à Munster, nous fûmes
répartis par groupes et par baraques, celles-ci toutefois étaient de récente
construction ; .mais les literies n'étaient pas encore à l'ordre du jour. La
vie de camp se partageait entre les corvées et l'ennui. Plus heureux qu'à
Munster il nous fut loisible d'aller nous récréer au théâtre « Le Bois
Sacré », dont la direction était assurée par deux sous-officiers des forts
de Liège. Un orchestre d’élite dirigé par M. Jos. Van Heers permettait de nous
faire entendre de la musique de chez nous. Les artistes étaient fournis par les
prisonniers, artistes de métier ou de bons amateurs. Que tous ces anciens
collègues reçoivent ici, en mon nom et sans nul doute en celui de tous ceux
ayant passé, par Soltau, les meilleurs remerciements
pour les bonnes heures qu'ils nous ont fait passer en exil, grâce à eux combien
de morals ont été relevés et de neurasthénies évitées. Je citerai hors-pair le
camarade liégeois Jean Marc, comique désopilant, qui, à lui seul tenait la scène
une bonne demi-heure et nous donnait dû bon sang pour finir la semaine.
Avait-il le tour notre Jean de « charrier » les Boches par les jeux de mots de
ses bonnes chansons. Depuis notre retour, j'ai vu décerner pas mal de
récompenses de reconnaissance, médailles du ravitaillement ou autre, mais je
n'ai jamais eu à ma connaissance une seule décernée à des dévoués camarades
semblables à notre Jean. Pourtant quel travail ardu pour tous les artistes de
falloir apprendre leur rôle, ou faire de nombreuses répétitions pour mener à
bien le spectacle à l'affiche. D'un autre côté, il est vrai, le théâtre
exonérait de toutes corvées ceux qui y étaient occupés. Les buts du théâtre, car
ils en avaient plusieurs, étaient : 1) d'agrémenter notre séjour dans les camps ;
2) d'alimenter la caisse du Comité de secours installée au camp et ayant pour
mission de soulager les malades et de donner à nos morts une sépulture décente
avec cercueil et ornements d'une tombe garnie ; 3) le personnel occupé au
théâtre était autant de main-d’œuvre en moins disponible pour les Boches. Munster-Lager (Allemagne), un groupe de serésiens. Grâce à mon ami J. D. de Seraing, ancien
condisciple, ancien frère d'armes, je pus avoir le bonheur d'être occupé à ce
Théâtre du Bois Sacré. Cette période fut pour moi une période d'accalmie qui me
permit d'assister, en spectateur, aux souffrances endurées par les autres prisonniers
non incorporés au Bois Sacré. Chaque jour voyait de nombreux déportés
pour les commodes ou fabriques, inévitablement le camp se vidait, les hommes
nécessaires aux corvées devenaient rares et ceux disponibles tâchaient toujours
de les éviter. Afin de se procurer les effectifs requis les Boches usèrent d'un
moyen qui leur réussit. Le matin on voyait arriver les sentinelles accompagnées
de chiens, les baraques étaient cernées, les chiens lâchés et bientôt les
prisonniers traqués étaient bien obligés de se mettre dans les rangs, mais,
hélas, cette façon de procéder amenait dans les rangs, de pauvres gars malades,
exténués, qui malgré tout devaient écoper. Gare aux récalcitrants, le cachot sans
feu, sans nourriture les attendait, quand ce n'était pas le poteau surmonté de
l'inscription : « Refus d'obéissance», inscription qui honorait grandement le
malheureux attaché en dessous. L'évasion du camp était quasi impossible, pour en
décrire les lieux je ne pourrai mieux que de vous dire de vous représenter un
quartier de baraquements de nos contrées entouré d'une clôture en fil de fer
barbelé haute de trois mètres et gardé par des sentinelles armées, postées tout
autour. L'hôpital, car il y avait un hôpital,
était en dehors du Camp, seulement il fallait être presque mort pour y être admis
et de ceux y entrés, très peu en sont revenus. J'eus l’occasion d'assister à la
mise en cercueil d'un pauvre hère qui y était trépassé, en compagnie du soldat Collinet, corps de transport, musicien en notre théâtre,
porteurs de cercueil, nous fûmes introduits au local faisant office de morgue.
Le décédé était placé sur une espèce de table, enseveli dans un linceul blanc.
Le Boche préposé à ce service, nous dîs de le mettre
en bière, avec mon collègue, lui par la tête moi par les pieds, nous voulûmes soulever le
cadavre, par suite de la manœuvre le linceul s'étant écarté, nous vîmes avec
horreur, que le malheureux avait été ouvert dans le dos et n'était même pas
recousu, nous voulûmes protester et refusions de continuer, alors le Boche nous
fit sortir. L'enterrement se fit quand même. Rentrés au camp, nous avons
protesté près de l‘adjudant V... du fort de Pontisse et du sergent-major
préposé au service funèbre. Ceux-ci immédiatement allèrent à la kommandantur et
l'adjudant fut puni de cachot. (Inutile de penser si j'assistais encore à un
seul enterrement. (Pour cette affaire l'adjudant cité plus haut prononça même
lors de l'enterrement suivant un discours dans lequel il flétrissait l’attitude
des Boches, discours qui lui valu son expulsion du camp de Soltau.
Je me rappelle encore au camp 2, la présence de notre coureur cycliste jemeppien Victor Dethier qui, en
mai 1914, avait gagné le championnat de Belgique (professionnels), il était
venu en captivité porteur du maillot tricolore, trophée du championnat. Il eut
la hardiesse de le porter toujours, malgré les horions lui décernés par les
Boches que ne pouvaient souffrir cet étalage de nos trois couleurs. Non content
de cela Dethier refusait également de travailler et
il doit encore se souvenir du 1er chef Hend...,
d'un régiment d'infanterie qui le fit punir de cachot pour avoir voulu se dérober
à une corvée. Le camp se vidait de plus en plus, les
Boches décidèrent de liquider notre camp et firent passer ceux qui restaient dans
le camp 1. Malheureusement nous ne pûmes être casés tous au théâtre de ce camp,
théâtre appelé Cosmo-Palace, nous fûmes donc répartis par-ci, par-là.
Inévitablement nous eûmes notre tour d'être désignés pour les commandos, avec
un groupe d'amis de Seraing, nous fûmes expédiés à Steinhorst... STEINHORST De ce camp, je n'ai pas grand chose à
dire, nous étions logés dans des baraquements, nos lits étaient à trois étages,
aucune des places n'étaient commodes, ceux de nous placés en dessous,
ramassaient la poussière que faisaient tomber ceux du dessus. Ceux-ci
recevaient, par contre, toutes les mauvaises vapeurs dégagées par la
transpiration. Triste souvenir de captivité ! Derniers hommages à un des nôtres qui, hélas, ne reviendra plus ! Un bon souvenir toutefois, le premier
dimanche de septembre notre groupe de Seraing fêta la fête locale, un petit
festin fut organisé, chacun de nous procurant ce qu'il pouvait. Il se termina
bien tristement, inévitablement le souvenir de chez nous ainsi rappelé nous fit
verser des larmes. Chaque jour nous allions en plaine,
armés de bêches et truelles, nous devions dessécher les marais. Envoyé pour travailler dans les fermes ;
je fis le malade, on me priva de nourriture, mais voyant que je n'allais pas
mieux et craignant... la contagion, on me ramena bien vite au camp. Les amis
m'y trouvant voulurent savoir ce que j'avais fait dans les fermes et si c'était
vrai que l'on y était bien. La vérité est que l'on y était un peu plus libre
mais on devait y trimer. Seulement chaque prisonnier occupé dans les fermes
permettait aux Boches d'envoyer aux armées autant de soldats ainsi remplacés.
Pour que je me taise et n'empêche pas les départs, je fus réexpédié à Soltau. Toutefois avant de quitter Steinhorst,
permettez- moi de vous signaler la date du 15 novembre, ce soir pour fêter la
fête patronale de notre Roi Léopold, toute la chambrée entonna une vibrante «
Brabançonne », qui se termina avec les cris de fureur de nos chiourmes. Je rentrai donc à Soltau fin novembre 1915. SOLTAU 1916 De nouveau j'eus la chance d'être
réoccupé au Cosmo-Palace, section wallonne. Les faits saillants sont rares, les
souffrances sont les mêmes. Le ravitaillement est meilleur, les colis envoyés
par nos familles viennent varier l'ordinaire... Nos jours, s'écoulent dans
l'attente. Pour nous diviser, les Boches décidèrent la création d'un camp flamand,
un recensement fut fait, personne ou à peu près personne ne voulant se déclarer
flamand. Steinhorst en 1915. Commando de travail. Un groupe où figure Jules Dumoulin, l’actif et dévoué secrétaire des Fédérations de Combattants et Invalides de Seraing. On vit alors des Wallons, des Français
même, venus au monde à la plage, soit à Ostende ou à Knocke,
être désignés comme Flamands. Nous reçûmes même la visite d'un professeur de
Louvain, activiste notoire, qui fut reçu à Soltau
sous les huées des prisonniers. Je rappellerai encore l'évasion des
Français André, athlète complet (champion de France), et son ami sous-officier aviateur,
qui purent pendant plusieurs jours se dérober aux recherches des Boches en se
cachant sous le théâtre, après avoir semé tout autour de leur cachette du
poivre afin de dépister les chiens mis à leurs trousses. Pour terminer mon séjour à Soltau, je me fais un honneur de signaler la soirée de gala
du 29 juillet 1916. Spectacle wallon extraordinaire. Notre troupe wallonne
donna ce soir un spectacle qui, je pense, ne se donnera plus en Allemagne,
soirée entièrement en wallon, soirée qui fit verser bien des larmes. Une
comédie en 3 actes Li Bâbô, de M. Georges Ista et Djôsèf, rapwertez l' fauteuye, composaient le programme, entre les
actes l'orchestre nous donna les marches des régiments casernés en Wallonie... Voici d'ailleurs, le programme tel qu'il
fut donné : Ordre du
spectacle : 1. Marche du 14ème
régiment de ligne (F. Cuyvers) 2. « Les Dragons
de Villars », duo (R. Maillart}. « DJOSEF,
RAPWERTEZ L' FAUTEUY ! Entr'acte 3. Toujours ou
jamais, suite de valse (Waldfeutel). « LI BABO», 1er
acte. 4. Marche du 13ème
régiment de ligne (Wéber). « LI BABO »,
2ème acte. 5. Doux Souvenir,
suite de valse (R. Vlatour). « LI BABO »,
3ème acte. 6. Marche du 10ème régiment de ligne. Etant en possession de la critique de
cette soirée, critique de M. Georges Henuisdaels, je
me fais un devoir de la reproduire en son entier, et ce pour l'amour que j'éprouve
pour notre bonne Wallonie. Je résumerai mon impression générale en
disant que je me suis cru plusieurs fois non pas au Cosmo, mais dans un vrai
théâtre wallon de chez nous. J'ai retrouvé, en effet, ici la même verve, le même
entrain, le même sens précis du jeu de scène naturel qui donne la sensation complète
et l'illusion de la réalité la plus vive et la plus colorée. Il y a plus que le fait de la naissance
wallonne ou des influences locales subies à relever pour expliquer, le triomphe
que les acteurs ont remporté, car ce n'était pas seulement un succès complet,
les ovations chaleureuses qui ont interrompu et terminé la représentation m'ont
paru parfaitement renforcer cette opinion toute personnelle. Je fais intervenir
en plus comme élément justificateur et facteur et autre fait plus important que
les acteurs manœuvrent ici dans un cadre qui leur est mieux adapté et où ils se
sentent mieux à leur aise. C'est le triomphe du réalisme bien entendu. Le geste
et l'attitude ne sont jamais compliqués, ils vont de pair si harmonieusement avec
les paroles prononcées que leur apparition est pour ainsi dire fatale. Montana (Sierre) Suisse. Un groupe de rescapés d’Allemagne internés en Suisse faisant la cure obligatoire On objectera peut-être que c'est du
théâtre bien simpliste puisque c'est, en somme, toute la transplantation et
l'adaptation des scènes de la vie vécue. Je répondrais simplement que l'ancien
directeur de l'Odéon Antoine a mené la longue campagne que l'on sait pour
essayer de renouveler par ce même idéal théâtral, les traditions de la scène
française. C'est donc une tâche louable et une initiative à apprécier que celle
de la Section wallonne. C'est
le courant d'air frais qui repose un peu des fadeurs morbides et des prétendus
problèmes psychologiques délayés en 4 actes de comédie. L'interprétation ne
pouvait être meilleure. Les acteurs laissaient parler leurs souvenirs, faisaient
revivre leurs premières visions d'enfance ou de jeunesse. On sentait bien que
leurs efforts se bornaient à montrer des personnages vrais, sans outrer, sans exagérer. Ce qui aurait été le seul blâme à faire
valoir et à redouter. (s.) Georges
HENIERSDAELS, Critique théâtral. Voici la critique de M. Batonnier, critique théâtral français : « La jolie, la rafraîchissante soirée !
Comme nous voilà loin des pièces modernes françaises aux psychologies
alambiquées et équivoques enfantées légitimement ou naturellement par la
névrose juive et la muflerie contemporaine. Les entr'actes (voir les actes), se
passant dans les lits, l'inévitable adultère à deux, trois ou quatre comparses,
le chassé-croisé d'amants et de maîtresses, de père incestueux et des mères
proxénètes. Voilà, au contraire, un théâtre qui ne veut être que la vie, de la
vie de tous les jours et qui réussit par là à unir une ligne simple à une fraîcheur
incomparable. Occupé jusqu'ici de la critique française pour laquelle certains
veulent bien me reconnaître quelque compétence. Je n'ai pas cru pouvoir
m'abstenir d'apporter aux artistes wallons d'hier soir le tribut de
mes félicitations. Sous ma culture française vit et palpite une âme
wallonne et c'est elle qui s'émut, hier soir, devant cette tranche de vie de
chez nous, si vraie, si puissamment évocatrice. (signé) BATONNIER. Cette belle soirée fit verser des larmes
à tous ceux qui comprenaient tant soit peu notre beau wallon. Pour nous les
acteurs, hélas ! elle fut la dernière à Soltau, un chambardement, un exode général du camp nous
firent reprendre notre bâton de Juifs Errants. Et en route ! Les Jean
Marc, Masuier, Deleval,
Lenoir et moi-même, d'acteurs on nous fit fermiers... arrivés au village nous désigné,
Jean Marc fut choisi par le bourgmestre comme étant le plus costaud de nous
tous. Vous imaginez-vous un Jean Marc
domestique de ferme ! le choisir entre tous, vraiment
le bourgmestre teuton s'était fourré le doigt dans l'œil, notre Jean était superbe
à voir armé d'une fourche qu'il manipulait comme sa badine de chanteur comique,
il s'aidait au travail en débitant ses chansons les plus drôles qu'il accompagnait
ne ses plus belles grimaces, cela faisait rire les filles de ferme qui en
écoutant notre chanteur s'occupaient de la besogne à accomplir. Le boche chef de
groupe n'avait pu trouver d'embaucheur pour moi, j'avais vraiment l'air trop
malade, il est vrai que je ne manquais jamais de me plaindre d'un mal ou
l'autre, on me laissa tranquille trois jours, bouclé dans notre chambre
dortoir, j'aurais voulu finir ainsi ma captivité... mais les bonnes choses ont
toujours une fin. Notre sentinelle, déclarée apte pour le front, dû rentrer au
camp, un remplaçant vint et je retournai avec le remplacé. Je pensais rentrer à
Soltau et ce fut à Muggenburg
camp de représailles des sous-officiers français. Ce camp était semblable aux
autres, la discipline un peu plus forte et la surveillance plus dure. Comme
interprète nous avions un sous-officier d'artillerie de Liège, j'en parle ici
afin que ce mauvais frère s'il vient à me lire puisse avoir le remord de ses
mauvaises actions. Jamais il n'a voulu intervenir favorablement aux vœux de ses
collègues de captivité. Nous étions constamment fouillés, pour empêcher les
évasions possibles, ce qui ne nous empêcha de permettre l'évasion de plusieurs
Français. Voici, entre les autres, un moyen qui nous réussit. Le pain nécessaire à notre
ravitaillement était emmagasiné dans les locaux des Boches, locaux situés hors
du camp. Pour la distribution on se servait d'une petite voiture à bras,
employée par les postes allemandes, cette voiture était fermée par un couvercle
à charnière s'ouvrant par le dessus. On allait la remplir au magasin accompagné
chaque fois d'une sentinelle, puis l'amenant devant nos baraques, la
distribution se faisait. Celle-ci terminée la voiture était remisée sous un
hangar en dehors du camp. De concert avec les deux sous-officiers français
(dont un aviateur), nous eûmes vite mûris un projet. Une après-midi, lors de la
dernière distribution, des complices distrayèrent la surveillance de la
sentinelle, nos deux sous-officiers s'engouffrèrent dans la voiture, le
couvercle fut fermé et le tout fut remise sous le hangar. J'étais à ce moment occupé aux cuisines
des Boches, cela me permit (étant de connivence avec nos évadés), d'aller
chercher du charbon sous le hangar et d'entrouvrir le couvercle de la voiture
afin de donner de l'air à ses occupants qui la nuit venue n'eurent plus qu'à
mettre les voiles... l'avenir nous apprit qu'ils avaient réussi à rentrer dans
la France si chère. Les Boches ne purent jamais déchiffrer l'énigme de cette
évasion. Une autre tentative, de plus grande envergure fut essayée. Un tunnel
fut creusé sous les baraques et devait aboutir hors du camp, l'orifice était
masqué par le sac à paille de l'un de nous, on travaillait sous terre, une
véritable mine fut creusée, le sable extrait était répandu parmi le camp. Les Boches ne se doutaient de rien,
trente-trois mètres furent creusés, il en restait à peine trois pour triompher. La dernière nuit fixée pour
l'achèvement, cent trente cinq Français s'apprêtaient à s'éclipser ! Hélas la
trahison se trouve partout. Vers trois heures du matin les Boches accompagnés
des chiens firent irruption dans les baraquements, sans nous donner le temps de
nous vêtir on nous mit dehors ! Sans hésiter le commandant du camp se dirigea
vers la couchette portière et de la galerie découverte on fit sortir les deux
travailleurs, pris en plein travail, qui achevèrent la nuit au cachot. Nous avions été vendus. Celui que nous
soupçonnions avait déjà évacué le camp avec tout son bagage. De nouveau on voulut m'essayer à la
ferme, avec Jos. G..., de Nandrin, j'entrepris la culture des asperges. Seulement
je ne pus l'achever et rentrai au camp. Cette année fut terrible pour nous,
l'hiver trop rigoureux nous gelait dans nos baraques. Nous rouspétions toujours
pour obtenir du chauffage, il nous fut trop mesuré. Aussi étions-nous heureux
de voir se terminer les longues nuits pendant lesquelles il nous était
impossible de dormir. Nous n'avons durant toute notre
captivité jamais été au travail de si bon cœur, au moins de cette façon pouvions-nous
nous réchauffer. Des ouvriers pour diverses usines
étaient demandés, on fit appel à des volontaires, très peu, se présentèrent, les
Boches en désignèrent d'office... Je fus du nombre, jouant le malade, je
restais couché, le matin la sentinelle devant accompagner notre groupe vint
nous appeler, je ne bougeais pas. Notre fameux interprète m'interpelant me dit
: « Allez R.., il n'y a rien à faire, il faut partir, je répondis que je ne
pouvais me lever et alors il m'arracha de ma couchette, le Boche alors me passa
à tabac, me traîna et je fus fourre au cachot. Je pus éviter le travail à
l'usine, mais les représailles ne tardèrent guère. Quelques jours plus tard
avec Chayez, facteur à Bruxelles, et cinq autres
camarades, dont un ambulancier français, deux sentinelles nous conduisirent à Clinaetz, près de l'aérodrome de Hanovre. CLINAETZ, BAGNE ALLEMAND Je ne pourrais mieux nommer ce commando
où dans une seule baraque ; nous étions, logés plus de cinq cents, renfermés la
nuit avec défense formelle de sortir. Pour satisfaire les besoins de la nature,
deux cuves étaient placées au milieu de la chambre. La majorité de notre commodo était des Russes et des Serbes qui étaient affligés
du besoin d'uriner trop souvent. Les cuves chaque nuit remplies débordaient et
le liquide venait parfumer notre sommeil, ce n'était, certes, pas la rose. Comme nourriture, nous avions le matin
un bout de pain, un peu de café aux glands, à midi de la soupe soi-disant aux
choux ou aux betteraves, le soir une soupe de grains de maïs. Malades ou pas malades, nous devions
tous aller au travail qui consistait à l'extraction de minerai. On formait des
équipes de deux hommes, on avait à dégazonner la plaine, tamiser la terre, pour
obtenir le minerai que l'on chargeait sur des wagons. Chaque équipe devait
charger un wagon de 2 m³ le matin et un autre l'après-midi. Comme chef de
chantier, nous avions un civil mutilé, soldat réformé, qui nous conduisait à
coup de canne. Comme
il connaissait un peu de français, j'usais de ruse et chaque fois arrivé au
travail, j'entamais une polémique avec lui, tout en faisant semblant de
travailler et mes wagons s'en allaient toujours presque vides. Avec la nourriture
nous accordée, le bon aménagement de notre logement et le travail forcé nous
imposé, nous devenions tous comme des squelettes... Non contents de cela, les Boches
se servaient encore de notre présence sur les chantiers pour nous faire servir
de champ d'expérience à leur école d'aviation. Les élèves pilotes venant nous survoler nous prenaient comme des objectifs pour apprendre à
lancer des objets ; que de pierres sont venues nous assaillir de cette façon.
J'en eus vite assez, je résolus de quitter ces lieux, coûte que coûte. Je
parvins à entrer à l'infirmerie et gagnant enfin la pitié de l'infirmier, je
fus évacué sur l'hôpital de Hanovre. Ayant donc gagné la confiance de l'infirmier,
je fus envoyé à l'hôpital de Hanovre. Celui-ci hébergeait par moitié les
soldats allemands et les prisonniers. Ce fut la première fois depuis la
captivité que nous reçûmes un logement convenable. L'hôpital était bien tenu,
nous étions bien nourris et pour les soins médicaux je dois dire que les
médecins faisaient consciencieusement leur métier. Seulement, par contre, les
infirmiers allemands en service n'accomplissaient celui-ci que pendant le jour.
La nuit nous devions tirer notre plan, comme j'étais ambulancier et que comme
tel je portais le brassard, le médecin-chef pour la section des prisonniers me pria de vouloir bien aider
mes camarades. Quoique malade moi-même, je fis tout mon possible pour
alléger les souffrances de mes compagnons d'infortune. Avec Louis Dries, de Seraing, nous organisâmes un roulement de garde
pour les nuits. Cela nous permit d'assister plus d'un moribond, remplaçant
près d'eux la famille qui manquait. Je vois encore mourir un soldat
français empoisonné par des conserves, ce pauvre gars est mort, nous caressant
la tête, croyant avoir près de lui sa jeune épouse et son enfant. Pauvre
Paul, ton souvenir ne nous quittera pas. Un malade était-il condamné ! notre infirmier boche, à son arrivée le matin nous
adressait le bonjour par ces mots! : « Nocht nut toed » (pas encore mort)
et avec Louis nous étions bien heureux lorsque nous parvenions à
arracher à la mort un de ces malheureux. Le service administratif tenu par un
boche parlant le français était mal tenu. Les actes de décès n'ont jamais mentionné
le motif exact de la mort. La tuberculose avait bon dos, aussi sur les
registres obtint-elle le palmarès. Pourtant la faim et les mauvais sévices y
étaient pour une bonne part. Les colis envoyés par nos parents nous
étaient distribués par partie. Nous devions les remiser au bureau administratif
où nous allions chaque jour en quémander une partie. Il y avait toujours des
erreurs sur nos fiches d'emmagasinage et notre liste personnelle renseignait bien
souvent des marchandises qui n'étaient plus en magasin. Aussi nos amis
incapables de se rendre eux-mêmes à la distribution pouvaient toujours croire
être trompés ou volés par nous-mêmes. Je rends hommage à un certain
médecin-professeur qui nous soignait, ce brave praticien ne ménageait rien pour
aider à notre guérison, il faisait même conduire certains malades chez lui pour
un traitement mécanique. J'eus aussi l'occasion de soigner le
major R…, du 7ème de ligne et le capitaine H..., du 14ème
qui peuvent dire que nos soins ont largement contribué à leur retour. Je restais à cet hôpital environ six
mois, nous y fîmes le réveillon de Noël, triste réveillon, entre quatre murs, tenus
sur pied, d'un côté par les cris de souffrances de nos amis, de l'autre celui
des joyeux carillons de la ville en folie. La Noël passée, on me fit savoir que mon
délai de séjour d'hospitalisation était expiré, je ne pouvais plus rester...
avec un groupe dans le même cas, je dus rentrer au camp... c'est avec des
regrets bien sincères que nous nous séparâmes des amis cloués sur un lit de
douleurs... HAMELN 1918 Arrivés dans ce camp nous subîmes un
visite médicale afin de déterminer à chacun de nous la capacité de travail, je
fus déclaré inapte et comme tel, je n'eus qu'à me reposer et à me promener au
camp. Je retrouvais à Hameln, notre coureur cycliste Dethier,
qui tenait la gérance d'une cantine. Groupe de prisonniers belges de Jemeppe s/Meuse. Au centre, porteur du « maillot tricolore » notre sympathique coureur cycliste Victor Dethier Mon temps se passa à soigner les
camarades, je me procurai .les médicaments nécessaires grâce au chocolat et au
savon que je recevais dans mes colis et que je troquais avec les Boches. Le
fait le plus curieux à Hameln était de voir l'espèce de marché... à hommes qui s'y
tenait. Chaque jour l'on pouvait voir le long du camp, défiler les dames de la
ville ou de la campagne, venues choisir un « gefangen
» à leur goût. Lorsque l'un de nous était satisfait d'être embauché de la
sorte, il lui suffisait de crier à la dame le numéro matricule sous lequel il
était inscrit sur les registres de notre camp. Le lendemain il était appelé à
la kommandantur, faisait ses paquets et était emmené par l'acquéreur, cela nous
fit rire et bien souvent nous donna l'occasion de nous payer la tête de ces
dames en leur donnant de faux numéros. Entretemps, une commission sanitaire
pour l'internement en Suisse vint nous rendre visite, je m'y présentais et fus
désigné dans les partants. La mauvaise grippe fit son apparition, beaucoup de
nous en furent victimes, chaque jour voyait la mort ravir ses nombreuses
proies. Juillet arriva et avec lui, notre départ
pour la Suisse, nous fîmes nos paquets qui furent censurés, le contenu de nos
bagages fut limité et en route pour Mannheim, dernier camp. Arrivés à ce camp entouré d'usines,
principalement celles à produit chimiques, nous fûmes de nouveau fouillés, à
peine pouvions-nous emporter les photographies et lettres de nos aimés. En
simulant un faux pansement à la jambe, je parvins à emporter ce que je désirais
avoir avec moi. Nous sommes restés quelques jours dans
ce camp, la grippe sévissant toujours nous menaçait de la quarantaine. Le soir
nous ne pouvions sortir des baraques, défense absolue de fumer sous menace de
fusillades. Le
motif était assez sérieux notre camp était signalé aux armées alliées, on
savait que les usines nous entouraient. L'endroit avait été choisi par les
Boches pour que les avions alliés ne viennent pas bombarder les usines...
seulement ils en furent pour leurs frais la deuxième nuit les usines firent
entendre le cri d'alarme, l'extinction de toutes les lumières se fit chez les
Boches, nous entendîmes bientôt le ronronnement des moteurs des avions, curieux,
nous sortîmes des baraques, plus aucun boche en vue, ils étaient rentrés sous
terre, lorsque des coups de canon se firent entendre, des obus tombèrent même près
de nous, c'était le tir allemand contre les avions, ceux-ci volaient tellement
bas que le tir de barrage passait et rasait le toit de nos baraques… Nous vîmes
des incendies s'allumer, le lendemain, avec grand plaisir, nous constations
trois usines détruites. Nous apprîmes par la suite que parmi les
aviateurs alliés venus bombarder Mannheim se trouvait celui évadé du camp de Muggenbourg. Enfin notre captivité touchait à sa fin,
embarqués à nouveau nous sommes en route pour Constance... nous avons failli
n'y point arriver. En effet, notre train se gara à la station de Karlsruhe, les
Boches filent vers les souterrains... penchés aux portières, nous vîmes une escadrille
d'avions, quelques détonations retentirent, la gare était bombardée… un
officier aviateur belge se trouvant avec nous était descendu sur le quai et
commença toute une série de signaux destinés aux aviateurs nous survolant...
fut-il compris ? Je le pense,
car nous vîmes jaillir une fusée verte et les avions s'éloigner. Cela n'empêcha
tout de même pas le dernier wagon de notre train de recevoir un pruneau,
heureusement sans trop de dommage. Sur la voie en face de nous se trouvait un convoi
de Français civils que l'on rapatriait, nous profitâmes de l'absence des Boches
pour faire, la causette. Les Boches revinrent encore
tout peureux et l’on repartit. Le train stoppe, nous sommes à Constance, les soldats
suisses viennent nous saluer, l'appel est fait, nous changeons de gardiens et
en route vers une nouvelle destinée. Le train à peine en route, nous étions
déjà en Suisse, lorsque des cris de fureur jaillissent, poussés par les Boches
restés sur le quai... Ils n'avaient pas tout à fait tort... Malgré la fouille
minutieuse que nous firent subir les Boches... un français avait pu dissimuler un
drapeau français conservé précieusement en captivité. C'était
cet emblème flottant à la portière du wagon suivant le mien qui faisait mousser
de rage les soldats teutons. Femmes russes prisonnières De la Suisse je n'en veux point dire de
mal, si ce n' est que dans beaucoup d'endroits les hôteliers exploitaient un
peu fort les internés. De nouveau ma qualité d'ambulancier me
fit remplir les fonctions d'infirmier à la station de Montana (Sierre), cela me
permit d'avoir un peu plus de liberté car les internés en général étaient
traités sur le pied militaire. Novembre arrive bientôt amenant enfin
l'armistice, tant attendu, je me rappelle que pour avoir voulu fêter un peu
trop bruyamment cet heureux événement, je fus gratifié de deux jours de cachot
qui ne me firent pas trop de mal. Le retour au pays natal nous fut
annoncé, nos paquets furent vite bâclés, de nouveau en route, cette fois, vers Lyon
; c'était le retour par le chemin le plus court... A Lyon nous fûmes reçus à la
gare par une musique militaire qui, au son de ses beaux pas redoublés nous
conduisit dans un local nous préparé pour passer la nuit. Nous y fûmes bien restaurés ; nous nous
sentions déjà d'autres hommes. De là nous fûmes dirigés sur Paris où un bon
dîner nous attendait au Foyer du Soldat Belge. Nous ne restâmes qu'un jour en
la Ville Lumière, réembarqués, à nouveau, cette fois, pour les cantonnements d'Adinkerke
(La Panne), enfin en Belgique, nous avons à ce moment, tous éprouvé la plus
amère des désillusions, nous pensions que, enfin rentrés dans notre cher pays,
nous allions revoir nos proches, obtenir un régime meilleur et jouir d'une
considération que nous pensions avoir bien méritée. Hélas ! là
réalité fut tout autre, logés
dans de mauvais logements, recevant une nourriture pour ainsi dire nulle, nous fûmes
cantonnés, tels des pestiférés. Enfin par petit groupe, nous reçûmes l'autorisation
avec congé en règle de rentrer en nos foyers, seulement les moyens de
transports n'étaient pas encore organisés. Chacun dut tirer son plan. Je voyageais
de concert avec l'adjudant Dispas, sautant de train en train, marchandises ou autre,
après nous être renseignés de leurs destinations, nous pûmes arriver à Hasselt,
d’où en prenant un vicinal en partance, nous pûmes nous rendre à Ans. D'Ans à Liège,
nous ne fîmes qu'un bond et arrivé place du Théâtre, j'eus la chance d'avoir le
dernier tram pour Seraing, comme des voleurs, des étrangers, sans aucun accueil,
nous pûmes enfin, après 53 mois de dur exil nous blottir dans les bras de nos familles
éplorées. Les rêves élaborés en captivité concernant
le retour en notre chère Patrie, s'écroulaient devant l'indifférence de l'armée
d'abord, de la population ensuite. Il est vrai que les troupes françaises et anglaises
étaient passées avant nous, emportant avec elles l'exaltation des élans de
notre population et surtout de notre jeunesse. Le congé nous accordé fut vite expiré,
nous dûmes regagner les casernes, les C. T. A. M. nous attendaient, les uns
furent envoyés à droite, les autres à gauche dans les dépôts de munitions ou de
transports abandonnés par les Allemands. Le mot d'ordre avait déjà sans doute été
donné, nous, les prisonniers, étions devenus indésirables. Cela dura jusqu'au
licenciement des classes et chacun, petit à petit, rentra dans ses foyers. * * * Je termine ici le récit de « Mes
Souvenirs de, Captivité ». J'ai fait mon possible pour n'être ni
trop long ni trop court, mes récits ont été écrits tels que je les ai vécus, j'ai
passé sur bien des épisodes qui m'auraient obligé de mettre en cause certains
camarades dont plusieurs ne sont plus, j'ai préféré m'abstenir. Je m'excuse toutefois si par moment j'ai
été trop personnel, seul le désir de rester pans la vérité en est la cause. Puisse le récit de ces souvenirs que
j'ai dédié à mon fils Marcel, augmenter dans l'esprit de notre jeunesse l'horreur
de la guerre, cette guerre que tous les anciens combattants plus que tous les
autres redoutent et voudraient voir éviter à nos enfants, l'avenir de notre
pays. Je formule également le vœu pour que la
population toujours prête à discréditer les anciens combattants, me lise
attentivement, elle pourra, de cette façon, constater que sur tous les points
du front belge en 1914-1918 aussi bien qu'en Exil nos jass ont tous eu « Un
Chemin de la Croix» à accomplir. Monument érigé au cimetière de Seraing s/Meuse à nos Héros morts pour la Patrie. (du « Livre d’or de Seraing) F I N Le Kriesgefangenen 47049, ARMAND RAMAEKERS. LA VIE DES PRISONNIERS EN ALLEMAGNE Faisant suite à mon
reportage vécu, je suis heureux d'offrir quelques anecdotes relatives à la
captivité de nos soldats en Allemagne. A. R. Un
commodo de culture composé de quelques amis de Seraing,
du village comme homme valide, reste seul l'instituteur qui, pour exalter le
patriotisme des gosses du village, a apposé sur le mur de l'école, une grande
carte sur laquelle le front des troupes boches était tracé au moyen de petits
drapeaux allemands. A chaque victoire, les drapeaux avançaient, augmentant
ainsi le territoire occupé par les Boches, aussitôt les gosses manifestaient leur
joie par leurs chants et ils venaient nous narguer. Cela nous faisait rager. Nous
voulûmes une revanche, voici de quelle façon nous l'avons obtenue. Un soir
pendant que tout le village dormait, nous sommes allés enlever tous les
drapeaux allemands sur la carte et les replaçant sur un nouveau front bien en arrière
de l'autre… réel, nous annoncions ainsi un formidable recul allemand. Le
lendemain c'est en chantant que les copains passant devant l'école, se
rendirent au travail. Vous jugez d’ici la tête de la population accourue
contempler la catastrophe et l’instituteur enleva pour tout de bon cette carte de
malheur ! SOLTAU 1916. - COSMO-PALACE A l'affiche : « Elle est nèyèe » Donèye, partie
pour se noyer, revient en scène, s'assied au milieu de la place, déballe un
paquet, en retire « un quartier de dorèye » (tarte au
riz). Avec Hubert Radoux
nous étions parvenus à fabriquer une bonne dorèye,
une vraie... l'apparition de cette tarte en scène fit « glèter
» (baver) bien des bouches wallonnes se trouvant dans la salle. Cela fut la même chose lorsque parut à
l'affiche Li Prutche, pièce se passant à la
Noël chez nous, soirée pendant laquelle on dégustait de délicieuses
bouquettes. Il fallait voir notre Jos. Labeye, chanter son « Ninon voici le Soleil », avec en main
une bouquette saupoudrée de sucre que notre cuistot Hubert avait parfaitement réussie.
Extrait de deux chants d'une revue donnée
au camp de Munster, auteur D. C., de Liège. Air : VALEUREUX
LIEGEOIS On p'tit tier di pan Ci nè nin bècôp Po treus djous, C'est pau Et çoulà po in home, Nos n' sèrans vraimint fauré Qui qwand nos sèrans Es nos'
mohone,
Air : LE PATRE DES BATIGNOLES
J'ai des poux, Des poux la...îtou Des petits, des
gros poux Qui se fourrent
partout Jusque dans le
trou De mon cou... woi. LA DESINFECTION A SOLTAU Arme et bagages, les prisonniers sont
alignés sur un rang, priés de se déshabiller complètement et de fourrer dans un
sac tous leurs vêtements. Ces sacs sont déposés dans une chaudière pour être
passés à la vapeur. Les prisonniers, eux, défilent à tour de rôle devant des
coiffeurs d'occasion en l'occurrence des soldats russes, savonnés au savons
noir, des pieds à la tête, partout, ils sont rasés, aussi que d'écorchures, que
de corps sanglants ne vîmes-nous pas. Après le rasage, passage à la douche,
celle-ci se trouvait en dehors du camp. Par groupe de 20, ceux qui étaient nos
poilus devaient s'y rendre en tenue d'Adam. On
devait traverser la chaussée et ce avec l'honneur de défiler
devant des dames boches, venues même en auto pour nous contempler... il est
vrai que les hommes commençaient, à devenir rares en Bochie. Après la douche, nouveau défilé, nous
reprenions notre sac et les vêtements tout chauds, tout
mouillés de vapeur étaient bien vite endossés. EN COMMANDO AVEC J. GASPARD (MUGGENBOURG) Nous recevons chacun quatre colis de nos
parents, aussi étions-nous déjà tout heureux. Hélas ! la
nourriture qu'ils contenaient était couverte de vert de gris, moisie... Nous
eûmes la pensée de la distribuer au bétail... la première bête rencontrée était
un magnifique cheval brabançon, dont le propriétaire... d'occasion était si
fier... comme compatriote nous le fîmes profiter de l'aubaine... la nuit venue,
à grands cris, nous sommes réveillés, le boche nous appelant nous montra le
cheval en lutte avec des coliques violentes, nous dûmes le frictionner le
lendemain il était en route pour une fabrique de graisse. |