Médecins de la Grande Guerre
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Antoine Dupaix[1] Dans la légende, sous la fleur de lis qui orne, au côté, le chapeau de nos Boy- Scouts, on lit deux mots anglais : Be Prepared, Sois prêt ! Jean Corbisier Lorsque M. l'abbé Petit, le promoteur des Baden Powell belges, et M. Jean Corbisier, chef scout général de Belgique, organisèrent si brillamment, dans tous les pays, le scouting, ils adoptèrent logiquement les règles que Sir Baden Powell avait imposées, en Angleterre, à son institution. De plus, cherchant dans les résultats magnifiques obtenus par le chef anglais, des leçons sérieuses, ils imprimèrent à leur mouvement un caractère moral nettement accentué. La formation du cœur des jeunes gens les préoccupa tout autant, si pas plus, que la formation physique, qui n'est, en somme, qu'un accessoire, nécessaire, sans doute, dans la formation générale de l'homme. Les résultats dépassèrent les espérances. Ces deux grandes figures du scouting belge sont connues de tous ; des phalanges de scouts existent partout. Les jeunes gens soumis volontairement à une règle de formation physique et morale s'y préparent à devenir des hommes, des viri inter viros, comme disaient les Romains ; en entrant dans cette association, ils jurent, sur leur honneur, de faire en toute circonstance leur devoir ; aussi, afin de pouvoir répondre toujours à cette voix quand elle se ferait entendre, afin d'être toujours munis d'énergies suffisantes pour s'y soumettre, inscrivent-ils, en tête de leurs règles, ces mots : Be Prepared, à quoi répondent des obligations quotidiennes et sérieuses. Loyalement observé, le programme de vie synthétisé dans ces deux mots doit former des héros. La guerre le prouva péremptoirement. Le scouting s'enorgueillit légitimement de tous les serviteurs, de tous les héros, de tous les martyrs donnés à la Patrie. Dès le début de la tourmente, nous vîmes ces vaillants petits scouts aider les autorités militaires comme estafettes, brancardiers, télégraphistes, etc., puis, dans la merveilleuse retraite sur l'Yser, d'aucuns de ces braves suivirent les régiments comme enfants de troupe, comme soldats même... Il en est parmi eux qui trouvèrent une mort si belle que la Renommée les a emportés sur ses ailes claires. Des noms, des noms, peuvent être alignés ; et si je m'arrête avec plus de piété à Antoine Dupaix, c'est que ce nom est devenu populaire dans la grande famille du scouting, et qu'il synthétise l'admirable abnégation de toute la jeunesse scout pendant la guerre. L'histoire de cet enfant est brève : Il avait seize ans et demi à peine lorsqu'il s'engagea au service de l'Armée ; on s'efforce de distraire son projet enthousiaste, étant donné son jeune âge ; il répond énergiquement : – Si tout le monde agissait comme vous me le conseillez, la patrie serait bien défendue ! A la Croix-Rouge où on l'a commis, il se dévoue avec une ardeur juvénile qui émerveille tous ses chefs ; estafette, s'il y a des ordres urgents et compromettants à transmettre, c'est à lui qu’on les confie, certain qu'ils seront méticuleusement remis. Déchaîné de devoir, il sert son pays avec une fougue toute patriotique et ne se sent heureux que lorsqu'il a pu se rendre utile, et contribuer ainsi à la victoire finale dont il n'a jamais douté. Un jour, il est envoyé au 6e Régiment de ligne ; mais, à l'instant qu'il eut pris contact avec les glorieux soldats de ce régiment, il devina toute la beauté de pareille servitude ; et poussé vers les cimes les plus élevées de l'abnégation, il résolut de devenir soldat dans ce régiment. Après de multiples et ferventes prières, on l'accepta. Soldat, il se bat, s'offre, à toutes les missions périlleuses, recherche les postes dangereux et ne craint pas la mort. Rien ne le trouble. Pourtant, après les quelques semaines de séparation d'avec les siens, il éprouve le lancinant désir de revoir ceux- là qu'il a si brusquement quittés. La séparation le fait souffrir. Peut-il espérer un retour prochain ? Bruxelles occupée par les Allemands est sévèrement encerclée. Personne ne peut pénétrer dans la ville ni en sortir. Il voudrait cependant tant revoir ses bons parents !... Un soir, il arrive chez lui, à Bruxelles, sous un déguisement de paysan, pour chercher un baiser, un seul et repartir aussitôt. Mais la douleur de sa famille, écrasée déjà sous le deuil de l'occupation allemande, s'aiguise à cette heure où, pour une seconde fois, il faut le laisser partir, sans espoir de retour peut-être, pour longtemps, à coup sûr ! Mais l'enfant répond avec simplicité et conviction: – Je dois rejoindre mon régiment. On m'attend. Mes chefs ont confiance en moi. Mes compagnons, s'ils ne me voyaient pas revenir, me prendraient pour un lâche. A cet appel du devoir, les parents se résignent. Antoine repart... Anvers, le 9 septembre 1914. L'Etat-Major belge, décidé à ralentir la marche sur la France des armées impériales, a ordonné une vigoureuse sortie vers Louvain : l'ennemi, dix fois supérieur en nombre, ignore le projet d'incursion ; l'armée belge pourrait peut-être causer de cruels ravages, contrarier les places de l'adversaire et mériter ainsi, une fois de plus, l'admiration des Alliés. Les régiments désignés, parmi lesquels le 6e de ligne, se portent donc en avant et prennent position. Dans les tranchées hâtivement creusées par les avant-postes, les « lignards » attendent l'heure de l'assaut décisif pour prendre en flanc l'adversaire. Et l'attente est longue, qui ronge les troupiers, les angoisse, verse dans leur cœur une certaine appréhension, une hésitation... Ils n'ont pas peur. Mais les heures mornes et froides égrènent les visions des luttes passées, de leurs horreurs ; instinctivement, ils ont arrêté en leurs yeux le trouble et la lassitude. C'était à Wilsele, le 12 septembre Près d'eux, le commandant, accompagné d'un jeune soldat qu'il estime entre tous, Antoine Dupaix. Ce chef, habitué à sonder les regards, à deviner les états d’âme de ses hommes, a compris... Il n'a, hélas ! plus le temps de leur parler, de les encourager... Près de lui, le petit scout, l'œil perdu dans l'horizon qui bouge, observe l'ennemi ; la joie passe sur ses lèvres ; la fierté agite son corps ; le courage dore son front. Son chef l'observe à la dérobée... Soudain, mû par la voix de la Patrie, désignant à ses troupiers cet enfant chétif et si jeune, d'une voix chaude et fraternelle, il s'écrie : – Prenez exemple sur lui, mes amis ! Un frisson secoue la tranchée. Les hommes se redressent ; ils sont prêts, ils iront ! Tout à coup, le clairon sonne l'assaut... Le petit Dupaix surgit. Brandissant dans son poing fébrile son revolver, le premier sur le parapet, il paraît ; et, le sourire aux lèvres, les yeux tournés vers ses camarades, il bondit en clamant : « En avant ! » Une balle au cœur le renversa dans la tranchée. (photo Léa De Vos de Bassilly) La charge est loin... Rien ne l'arrête. Elle taille farouchement les bataillons prussiens ; il est un mort qu'il faut qu'on venge ! L'âme de ce petit martyr avait créé des héros. |