Médecins de la Grande Guerre
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Le rendez-vous funeste du légionnaire
Alan Seeger Alan
Seeger est tombé amoureux de la France
mais cet amour finira hélas dans la tragédie.
Comme toutes les histoires d’amour, l’histoire d’Alan est passionnante et
mérite de ne jamais être oubliée, c’est allons vous la raconter. Alan est né à New-York en 1888. Issu
d’un milieu bourgeois, il passa une partie de sa jeunesse au Mexique et à Cuba
où il découvre les beautés de la nature qui vont nourrir sa grande sensibilité.
Puis vinrent ses années d’étudiant à l’université d’Harvard où il se passionna
pour la littérature romantique. Alan composa
alors
ses premières poésies, traduisit Dante et devint le rédacteur du
« Harvard Monthly ».Epris de la culture française du
« siècle des lumières », il décida en 1912 de découvrir Paris et
s’inscrivit comme étudiant à l’université de la Sorbonne. Le jeune poète se
passionne de Paris et de ses habitants d’une façon profonde. Paris achève de façonner
le caractère d’Alan et des liens amoureux avec la terre de France se créent
pour toute une vie. La guerre malheureusement interrompt le séjour idyllique de cet étudiant fortuné :
Alan voit ses nombreux amis français rejoindre l’armée. Le poète a vite fait
son choix, il ne « lâchera » pas ses camarades d’université ni cette terre de France, berceau des droits de l’homme. Rapidement,
vers le 20 août 1914,il s’engage alors
dans la Légion étrangère avec une cinquantaine de ses concitoyens. Alan comme beaucoup d’autres soldats
entretient une correspondance soutenue avec sa mère. « J'espère que tu éprouves les
mêmes sentiments et je pense que j'ai bien fait, n'ayant pas de responsabilités
et personne ne devant souffrir matériellement de ma décision, de prendre sur
mes épaules une partie du fardeau de l'humanité. Et plutôt que d'être un
spectateur sans gloire, quand l'occasion m'en fut don née, de m'engager du côté
de ceux qui, je crois, sont dans le droit chemin. »
Alan tombera mortellement blessé au début de l’offensive de la Somme le
4 juillet 1916, soit 276 jours avant que son pays ne rentre lui-même en guerre
contre l’Allemagne. Ces jeunes Américains engagés dans l’armée française bien avant
l’entrée de leur pays en guerre sont de véritables héros. Mais Alan, héros
américain est aussi un merveilleux poète. Un poète dont la signature, la
caractéristique, est de continuer à chanter la beauté de la nature et de la vie
malgré les calamités de la guerre. Il s’en explique
ici à sa mère. « Mais la Nature, pour moi, ce
n'est pas seulement les collines, le ciel bleu, les fleurs, c'est aussi
l'Univers, la totalité des choses, la réalité telle qu'elle se présente à nous ;
et dans cet univers, la haine et la souffrance jouent un aussi grand rôle que
l'amour et la tendresse et ne peuvent être écartées par celui dont la volonté
est de régler sa vie, de l'accorder avec les forces cosmiques qu'il voit autour
de lui. »
Alan veut continuer à voir le beau malgré les atrocités de la guerre. Il
ne veut pas être envahi, paralysé,
écrasé, détruit par le mal. Ce serait lui donner la victoire. Ses poèmes
reflètent un monde qui reste beau malgré la tragédie guerrière. Cette manière
de voir la réalité est semblable à celle d’Etty Hillesum, cette jeune femme juive dont on retrouva dans les
années quatre-vingt le diary et qui continuait à voir
le beau, dans le sinistre camp de Westerbork où les
nazis regroupaient les Juifs hollandais avant de les expédier en Allemagne. Une similitude que l’on souhaite
pouvant être un jour approfondie dans un mémoire d’étudiant ! Alan, engagé dès le début de la guerre, est
pourtant épargné du front pendant de nombreux mois car son régiment sera
longtemps cantonné à l’arrière. En avril 1915, il se trouve non loin de l’Aisne. La vie
militaire lui fait découvrir une récompense à ses sacrifices : la
camaraderie devant les difficultés et le danger. The Aisne (extrait) Craonne, before the cannon-swep plateau, For that
higt fellowship was our then « Craonne, devant ton plateau balayé par le feu, Car cette magnifique camaraderie était maintenant la nôtre,
En septembre 1915, il se trouve en
Alsace et découvre un paysage qui l’émeut profondément. Une brume de-chaleur couvre la haute
plaine d'Alsace. Deux ballons captifs sont les seuls signes de guerre visibles.
Ils sont suspendus là comme des points dans le lointain, beaucoup plus bas que
mon perchoir au sommet de la montagne. Je reste assis là une heure, absorbé par
la beauté de la vision lointaine des alpes qui me remplit d’amour et de
nostalgie pour notre planète. Un peu plus tard, en août, il se trouve
près de Belfort et c’est encore une même communion avec la nature qui réjouit
le poète. Je suis maintenant assis sous un
poirier géant sur un coteau verdoyant aux abords de la ville, profitant du beau
paysage, qui s'estompe doucement dans le soir qui tombe. De vastes champs, du plus beau vert s'étendent
devant moi, des hameaux, des bosquets vers le Sud-Est
près des montagnes plissées de Suisse qui s’élèvent crête après crête toujours
plus estompées vers les lointains roses du couchant. On entend le son du canon,
plus distant maintenant, vers l'Alsace. Deux ballons captifs apparaissent sur la
ligne de front. Un aéroplane revient vers Belfort après un vol de reconnaissance
au-delà des lignes. Un convoi de camions soulève un nuage de poussière le long
de la route blanche qui se dirige vers l'Est, Des automobiles foncent à toute
vitesse de tous côtés, Paix exquise d'un soir d'été. Le vert des forêts et des champs
n'a pas jauni mais, le soir, la fraîcheur de l'automne commence à se faire. Moments
de paix, de douce mélancolie, de résignation et d'auto satisfaction. Dans le
village un chœur de soldats chante la Brabançonne, C'est l’anniversaire de l'entrée des Allemands à
Bruxelles.
La dernière phrase de ce paragraphe mérité quelques mots d’explication. Alan signala à sa mère dans une lettre datant
du 17 février 1915 qu’il y avait beaucoup de Belges dans la Légion. La
brabançonne chantée, l’est certainement par ceux-ci. A quand une étude sur les
Belges de la Légion pendant la Grande Guerre ? En mai 1916, cette fois, c’est dans
l’Oise qu’Alan se trouve avec son régiment, exactement près du village de Bellinglise. Notre position est dominante et
depuis les postes d'observation d'artillerie ou à travers des trouées
d'observation dans le feuillage, on aperçoit très bien « le pays envahi ».
C’est un très beau paysage de forêts, de vergers, de petits villages aux toits
de tuiles rouges que l'artillerie française a soigneusement épargnés. Il y a
quelque chose de fascinant pour moi dans l'observation de ces profonds horizons
du Nord. Ce Nord de la France est devenu
dans mon imagination, une sorte de pays enchanté, si inaccessible, semble-t-il,
si mystérieux et si isolé du monde extérieur ! Dire que ces minces lignes de
terre rouge devant nous, ces « réseaux » de barbelés, et un ennemi complètement
invisible derrière, nous empêchent d'aller de l'avant pour les libérer ! Je me
suis assis longtemps pour contempler ces beaux paysages en me demandant ce qui
se passent dans ces cités et ce villages perdus du Nord où trois million et
demi de Français vivent depuis maintenant près de deux ans complètement coupés
du reste de leurs concitoyens. Ce matin de Pâques, on me dit que les artilleurs
ont vu, grâce à leurs télescopes, des civils allant à la messe sur une route de
campagne à sept ou huit kilomètres derrière les lignes. Une patrouille qui
s'est approchée tout près d'un village, situé sur la droite des lignes allemandes,
raconte qu'elle a entendu un rire de femme dans la nuit. Tout ce que moi, j'ai
entendu d'ici, c'est l'éternel « Français kaput! » que les Allemands crient à l'aube
tout le long du front. C’est dans ce paysage qu’Alan écrira ce
merveilleux poème sur l’incompréhensible générosité de la nature française
du temps de guerre : Bellinglise Au cœur de la
forêt qui couvre les collines Au travers des bosquets ombreux et des champs en friches,
Oh ! Si demain je tombais, mettez-moi en terre ici, Les fleurs des bois puissent fleurir et les colombes
chanter. En passant,
puissent s'arrêter un instant et s'enlacer, Maintenant, sans cesse, tonne le canon, nuit et jour, Même pendant la fusillade, l'aube est délicieuse. Et dans les nuits sombres quand l'ennemi furtif se glisse, Alan Seeger Alan parle de sa mort dans ce poème.
Cette éventualité le fait réfléchir. Malgré son immense amour pour les beautés
de la terre, le poète consent pleinement à l’ultime sacrifice qu’il ressent de
plus en plus comme devenant inéluctable.
C’est alors qu’il rédige son poème le
plus tragique, celui qui le fera connaître dans toutes les armées alliées. I have a rendez-vous with
Death Quand le
printemps reviendra bruissant d'ombres Peut-être prendra-t-elle ma main J'ai rendez-vous avec la mort Et pourtant
Dieu sait si l'on est bien, blotti dans la soie parfumée, Mais j'ai rendez-vous avec la Mort, Alan Seeger Les deux dernières lettres à sa maman
contiennent des phrases qui reflètent sa grandeur d’âme : A sa mère le 4 juin
1916 « A ce moment, ayez confiance en
ce grand dieu nommé destinée qui parsème notre vie pas seulement de malheurs
mais de grandes joies. Pensez à tant d’autres qui sont frappés sans gloire, par
accident, en temps de paix. La guerre est comme une assurance sur la vie.
Tandis que la vie normale assure à l’homme que sa mort apportera de l’argent à
quelqu’un, la guerre lui vaudra l’honneur pour lui-même, ce qui d’un certain
point de vue, est beaucoup plus satisfaisant. » A sa mère le 15
juin 1916 « Les mots sont parfaitement
futiles en ce moment et n’ont plus aucun sens sur cette terre. J’ai déjà dit
tout ce que j’avais à dire, combien je suis heureux d’être ici, sans aucun
regret et que je ne souhaiterais être ailleurs. Nous devons, tous les deux,
être forts et vous, en plus, patiente. » Le 4 juillet 1916, lors de la bataille
de la Somme, la compagnie d’Alan forme l’aile droite de l’avant-garde de la
compagnie pour attaquer la partie sud du village de Belloy. Les hommes
s’élancent pour les trois cent mètres qui restent à franchir quand tout à coup
les mitrailleuses allemandes cachées dans un chemin creux (celui d’Estrées à
Belloy) surprennent les légionnaires. Des cris jaillissent du blé en herbe. Les
légionnaires s’abattent en nombre tandis que les rescapés poursuivent en
rampant. Alan a reçu cinq ou six balles et arrive à se traîner dans un trou
d’obus. Tandis que la clameur s’éloigne, il tente d’arrêter son hémorragie et ôte sa capote et sa chemise. Il couche
ensuite ayant eu soin de signaler sa position en fichant en terre le canon de
son arme dont il a noué à la crosse son mouchoir. Alan meurt exsangue dans son
rendez-vous avec la mort, peut-être en ayant entendu, comme suprême
consolation, le cri de victoire des légionnaires qui finalement conquièrent
Belloy. Des témoins disent qu’Alan aurait crié « Maman » en tombant.
Rien d’étonnant à cela ! Quelques
18 mois plus tard, un autre grand poète de la Grande Guerre, l’officier anglais
Wilfred Owen connut le même sort qu’Alan et cela, une semaine avant la fin de
la guerre ! Tout comme ce dernier, il entretenait une correspondance soutenue avec
sa chère mère. On lui doit ce poème dramatique évoquant, en même temps que le dernier mot des
jeunes soldats blessés à mort, l’absurdité de la guerre. Le dernier rire « Oh ! Jésus ! Je suis touché », dit-il, et il mourut. Un autre soupira : « Oh ! Maman, - Maman, - Papa ! » « Mon amour ! » gémit un autre, tel un amant transi.
Wilfred Owen (Traduit de l’anglais par Xavier Hanotte) Les parents d’Alan offrirent les cloches
pour l’église de Belloy. Ils ne purent cependant jamais s’incliner sur la tombe
de leur fils car lors d’un violent bombardement allemand, toutes les tombes
furent détruites et les débris osseux transportés dans une fosse commune au
cimetière militaire de Lihons. Comme si la guerre
voulait détruire toute trace du poète qui aimait tant la France et ses paysages,
l’église et ses cloches furent à nouveau détruites en 1940. Le village de
Belloy baptisa alors la place du village de son nom. Les canons ne pourront jamais
effacer la présence d’Alan en France et
en particuliers à Belloy Dr P. Loodts N.B : Les
textes et poésies d’Alan Seeger repris dans cet article ont été traduits par
Bernard Léguiller. Sources : 1)
Les poèmes d’Alan
sont d’un accès facile.
2)
Biographie,
carnets de guerre et poèmes. Alan Seeger, traduit de l’anglais par Bernard Léguiller. Editions la Vague Verte, 80430 Inval-Boiron Champagne 1914-1915
Dans les joyeux banquets, dans les heureuses fêtes, quand les joues
seront empourprées et que les verres seront pleins des perles dorées du doux
vin de France, où se concentrent les rayons du soleil et la splendeur du monde,
Buvez quelquefois, vous dont les pas pourront encore fouler les sombres
et délicieux sentiers de la terre, buvez à la mémoire de ceux qui, pour un
pieux devoir, ont versé leur sang, sanctifiant le sol où ce même vin naquit.
Là, étendus par de dévoués camarades, ils sommeillent le long de nos
lignes, à l'endroit où ils sont tombés, à côté du cratère de la Ferme d'Alger
et en haut des coteaux sanglants de la Pompelle,
Et autour de la vine et de la cathédrale dont les ennemis de la Beauté
osèrent profaner les tours, dans le tapis de fleurs multicolores qui revêt les
champs crayeux et ensoleillés de la Champagne.
Sous chacune des petites croix érigées, repose le soldat.
Obscurément sacrifié, sa tombe sans nom, nue, sans sculpture, sans
dédicace poétique, sera empourprée par l'Eté de coquelicots en fleurs et
l'automne la jaunira de vignes mûrissantes.
Là, les vendangeurs en faisant la récolte, marcheront plus légèrement,
et en chargeant leurs plateaux d'osier, ils béniront sa mémoire tandis qu'ils
chanteront en accomplissant leur dur labeur ... sous les rayons obliques du
soleil d'octobre ...
Combien j'aime à penser que si mon sang est assez privilégié pour imprégner
cette terre où le sien pénétra, je ne disparaîtrai point entièrement, mais
quand les banquets s'animeront aux bruits des voix, quand on boira en portant
des toasts,
Et que les faces illuminées par la joie de vivre seront rendues plus
radieuses par les rires et la bonne chère, des coupes étincelantes un atome de
mon être s'élancera vers les lèvres que j'ai tant aimées.
Ainsi, un être qui n'aura pas convoité l'idéal plus haut que celui
incarné, coloré, vivifié par la nature. même, de la tombe s'élèvera pour
atteindre les rêves chéris de sa jeunesse, ces rêves qu'il ne réalisa pas et
qu'il aurait pu vivre.
Hélas ! combien périrent ici, à qui la vie réservait de délicieux présents
; combien, dans toute la vigueur et le charme de leur jeunesse couronnée de
tous les dons qui conquièrent et séduisent !
Honorez-les non pas tellement avec des larmes et des fleurs ! Mais
vous, avec qui est restée la douce réalisation de leurs rêves, vous vers qui,
dans l'angoisse des heures atroces se tournèrent leurs dernières pensées quand
leurs yeux mourants se fermaient,
Rappelez-cous quels hommes ils furent ; et quand vous êtes sous le
tendre charme de la musique ou parmi une brillante assistance animée de la joie
la plus vive, levez vos verres à leur mémoire dans un toast silencieux. Buvez à eux, – pleins d'amour pour la Terre chérie
! Ils ne demandent pas de plus éloquent témoignage de tendresse, et, dans le
jus de la vigne qui a mûri à l'endroit même où ils tombèrent, oh ! trempez vos
lèvres comme si vous leur donniez un baiser. Alan
Seeger Volontaire américain,
mort pour la France |