Médecins de la Grande Guerre
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L’abbé Louis Reyntens remarquable officier
d’infanterie durant les deux guerres mondiales[1] Tous ceux qui l'ont approché quelque peu ont au moins soupçonné la valeur particulière de cet homme et désirent connaître d'une manière plus complète ce prêtre silencieux et modeste. Pour l'instruction de ceux qui ne l'ont connu que de loin ou seulement sous un des aspects de son activité, pour la joie aussi, de ceux qui ont vécu avec lui, nous essayerons de dessiner brièvement les aspects multiples de sa personnalité si riche et d'une telle unité. * * * Voici d’abord son curriculum vitæ, cadre extérieur de sa vie si remplie. Il est né à Bruxelles, le 22 février 1895, d’une famille profondément chrétienne : il a deux frères prêtres et une sœur religieuse. Il fit ses études à Saint-Louis, où déjà on remarque son intelligence d’étudiant et son souci d’aider les moins doués que lui. Il est étudiant à Louvain en 1913-1914. De 1914 à 1918, il fait la guerre, d'abord comme soldat, ensuite comme officier. Démobilisé en 1919, il continue ses études à Louvain et entre au Séminaire Léon XIII. Il y conquiert ses grades de docteur en sciences physiques et mathématiques et commence sa théologie. Il entre au Séminaire de Malines le 30 septembre 1922 et est ordonné prêtre le 7 septembre 1924. De 1924 à 1939, il fut professeur au Collège Sainte-Gertrude, à Nivelles. Il est mobilisé en août 1939 et fait la campagne des dix-huit jours, puis retourne au collège. Dès 1941, il passe au maquis, entre à l'Armée secrète et commande le « Refuge Otarie », secteur Huy-Waremme. En novembre 1944, il est nommé directeur à, l'Ecole professionnelle « Auguste Lannoye » à Wavre. Mais, dès janvier 1945, il est rappelé à l'armée et fait la campagne d'Allemagne. Démobilisé en décembre 1945, il se fixe à l'école professionnelle de Wavre et meurt accidentellement dans l'après-midi du 21 juillet 1947. Ayant ainsi fixé pour le lecteur le cadre extérieur de la vie de Louis Reyntens, essayons de pénétrer sa personnalité sous différents aspects. I – Son Enseignement. Il enseigna au collège les sciences naturelles en cinquième et en quatrième, la physique dans les classes supérieures. Il était professeur titulaire de première scientifique. La première scientifique fut créée au collège grâce à sa présence et organisée par lui. Encore étudiant, n'était-il pas président du « Cercle mathématique »? Sa classe comptait peu d'élèves (excepté l'année où elle fut renforcée par un groupe d'étudiants chinois). Mais bienheureux ceux qu'il a formés. Ils furent suivis chacun en particulier et dans le détail pour leur première formation mathématique. Car leur professeur ne cherchait pas seulement à leur faire réussir l'examen, il ouvrait encore leur esprit à l'intelligence de ce que représente le raisonnement mathématique. Il les enseignait avec le dévouement qui le caractérisait, formant les meilleurs, repêchant les faibles. Il les suivait de près, il assistait à toutes les séances d'examen à Louvain. Il aimait les sciences exactes : la physique surtout. Il sut allier, dans un bel équilibre, la recherche personnelle dépassant de loin ce que son enseignement exigeait, et le souci de la méthode dans l'exposé didactique. Ses élèves parleraient mieux que moi de son enseignement. Mais j'ai pu suivre la rédaction toujours renouvelée du texte qu'il leur dictait pour les aider à graver dans leur mémoire les expériences qu'ils avaient vues et les connaissances au sujet du comportement de la matière que ces expériences révèlent. Quelques semaines avant sa mort, alors qu'il n'enseignait plus depuis cinq ans et qu'il était plongé dans la réorganisation de son école à Wavre, il présentait au Cercle pédagogique de Louvain, un rapport au sujet de la méthode dans l'enseignement de la physique dans les classes d'humanités. Il n'avait pas fini son exposé dans le temps prescrit et allait conclure, quand le professeur Dory, président, lui abandonna son temps de parole pour le laisser achever son exposé. Le rapport sera publié. Dieu a permis que l'expérience du professeur soit utile à d'autres qu'à ses propres élèves. Il suivait assidûment à Louvain les séances du Colloquium de physique : curieux de tout ce qui se faisait de nouveau. C'est avec la même conscience qu'il enseignait les sciences naturelles aux petits élèves, s'adaptant à eux. Là aussi, il renouvelait continuellement ses cours ; il fit des efforts considérables pour leur constituer des collections. Ces collections s'enrichissaient constamment : il fallait des exemplaires-types de tous les embranchements de la vie animale. L'abbé Louis Reyntens tenait à l'œil les commerçants qui pourraient à l'occasion, le servir, mais il comptait surtout sur son propre travail. Il trouvait lui-même bien des bêtes. A la campagne, il avait toujours l'œil attentif. Il n'y a pas beaucoup de vipères en Belgique. Au cours d'une excursion scolaire dans le sud du pays, il en remarque une dans un sous-bois. Il sait comment la prendre, mais c'est la première fois : il est mordu à la main, mais n'en lâche pas pour cela l'animal : il le met en poche, suce sa plaie et s'en va au plus vite à l'Institut Pasteur à Bruxelles. Là on lui refuse le contrepoison, parce qu'il n'y a pas de vipères en Belgique. Il faut qu'il montre la bête pour obtenir qu'on le soigne. Nous citons l'anecdote parce qu'elle caractérise l'homme. Les animaux ainsi obtenus, il les empaillait ou dressait leur squelette. Dans ce travail, une nuée d'élèves l'entouraient et l' « aidaient » pendant les récréations –occupation formatrice. – Que de fois j'ai contemplé ce groupe d'enfants et de jeunes gens affairés et intéressés. Le voici travaillant un flamant qu'on lui a envoyé. L'oiseau sentait déjà. Il parvint cependant à le dresser dans la splendeur de son plumage empaillé et aussi à monter le squelette. Mais il manquait nécessairement à l'un des deux objets le bec et les pattes. Il sacrifia le plumage. C'est symbolique. Je l'ai vu monter avec la même adresse les squelettes d'une vache et d'un cheval dont il avait été déterrer les os avec ses jeunes gens, et les squelettes d'une chauve-souris et d'une musaraigne. Et que dire du petit phoque à qui échut la gloire de perdre lentement ses chairs sur le territoire du collège pour enrichir le musée de ses os ? Il avait les doigts agiles, forts et intelligents comme certains chirurgiens. Parlons de ces promenades où, avec ses jeunes gens, il allait « casser des pierres ». Les carrières des environs de Nivelles sont riches de roches à fossiles variés. Il en revenait chargé. On dégrossissait cela au burin. Louis Reyntens entretenait des relations avec un conservateur du Musée de sciences naturelles de Bruxelles, faisait contrôler ses découvertes, et les classait dans des armoires judicieusement construites sur ses indications. Il était parvenu aussi à rassembler une belle collection minéralogique. Il rassemblait encore des documents de la préhistoire : silex et restes d'animaux préhistoriques ; ceux-ci récoltés surtout dans ses excursions à la grotte de Spy. Il a doté le laboratoire de physique de tous les appareils permettant d'illustrer ses cours : balance de précision, bobine de Rhumkorff, un groupe de dynamos qui lui permettait de se servir de toutes les espèces de courants, les appareils de mesure électrique, une pompe à vide, un magnifique tube à décharge, des ampoules à rayons X, spectroscope et spectrographes, saccharimètre à nicols, microscope, télescope, appareils de projections, collections de coupes microscopiques. Pour la chimie, il avait acquis de nombreux produits chimiques et surtout un magnifique attirail pour les manipulations. Il jouait de tous ces appareils pour faire « voir » aux élèves les expériences fondamentales, pour leur faire comprendre comment la physique contemporaine mesure les phénomènes, établit des lois et permet d'arriver aux connaissances actuelles sur la constitution de la matière. Comme dotation, le laboratoire vivait uniquement sur les revenus de Louis Reyntens. Le plus clair de ceux-ci y passait : ses maigres ressources de professeur ecclésiastique, ce que lui rapportaient ses chevrons de front et ses vingt pour cent d'invalidité. Invalidité qu'il n'a jamais voulu demander, mais qu'on lui a comme imposée en lui déclarant qu'ayant eu le foie traversé par une balle, cette blessure ne pouvait pas ne pas laisser de conséquences. Minces ressources, pour un laboratoire. Cependant, il avait l'art de réaliser beaucoup avec peu d'argent. Il avait son imagination et ses doigts et ne comptait pas sa peine. II. – L'INTELLECTUEL. Par ce que nous avons dit du professeur, on aura deviné que Louis Reyntens n'était pas un marchand de connaissances variées. C'était un universitaire et un intellectuel de classe. S'il visait à enseigner, la recherche elle-même l'intéressait prodigieusement : elle avait pour lui une valeur propre. Par tempérament, par goût et par son enseignement, il était plutôt porté vers la science expérimentale dans laquelle il pouvait développer une vraie maîtrise. Et cependant, la physique générale, les vastes synthèses scientifiques contemporaines attiraient sa large curiosité. Il étudiait les publications scientifiques de la collection Hermann de Paris : de Broglie et Eddington, Einstein et Lemaître avec lequel il entretenait un commerce amical et scientifique. Cette curiosité de bon aloi s'étendait à tout le savoir humain. Il n'avait aucune des déformations du spécialiste ; contre celles-ci, il avait le rempart non seulement de son dévouement sacerdotal, mais aussi celui de la largeur de son intelligence. Il y avait au collège de Nivelles un petit cercle d'intellectuels exigeants : ils étaient de spécialités différentes et s'entendaient bien. Chaque mardi, ils se réunissaient et l'un d'eux traitait un sujet qui relevait de sa compétence. Ce n'étaient pas des réunions exclusives ; tous les confrères étaient invités : le sujet était annoncé au réfectoire, et on venait volontiers écouter un exposé scientifique et le discuter fraternellement devant une tasse de thé. Louis Reyntens y tint son auditoire au courant du développement des sciences modernes. Mais il s'intéressait aussi à la récitation, dans leur langue et avec un commentaire des plus pénétrants, des principaux poètes anglais et du Dante, qui y passa tout entier. Il goûtait et il saisissait admirablement le sens et la portée d'un exposé philosophique et théologique. Ceci nous amène à parler de son esprit de confraternité. III. – SON ESPRIT DE
CONFRATERNITE La communauté que constituent, dans une petite ville, les membres d'un collège ecclésiastique, vit en grande partie sur elle-même, parce que le milieu extérieur ne peut donner beaucoup. Il faut qu'elle trouve dans son sein la richesse de sa vie de connaissance et de charité. Dans une telle société, un Louis Reyntens constitue une véritable richesse. Intelligent et sociable, tourné vers les autres et ne pensant pas à lui-même, il est ouvert à toute collaboration, il est serviable sans y mettre lui-même de limites et aussi sans naïveté. Il constitue ainsi un élément d'unité, par l'exemple qu'il donne, par ses paroles et ses démarches toujours tendues vers le bien, dans l’abnégation de lui-même. C'est à l'heure de la détente que l'on remarque le mieux cet esprit de confraternité. A table, dans les moments de délassement, Louis ne dédaignait nullement l'humour, la taquinerie et la farce. Un jour qu'on voulut forcer un collègue à recevoir, celui-ci répondit : « Eh bien, venez ce soir à dix heures ». Il comptait bien être au lit, toutes portes verrouillées. Le soir, à 10 heures, Louis bondissait par la fenêtre du premier étage dans le bureau de l'intéressé. Et, criant à ses confrères un victorieux : « L'objectif est atteint ! », il leur ouvrait la porte sur l'escalier. Ce fut un quart d'heure de franche fête, le maître de céans étant retenu dans sa chambre à coucher contiguë, parce qu'il avait laissé ses vêtements dans son bureau. Venant de lui, ces plaisanteries n'ont jamais froissé : c’était toujours fait dans un esprit de claire fraternité, avec dignité et finesse. A propos de cette dignité, je me souviens d'avoir mangé un jour un petit pain au jambon, debout dans la boutique d'un petit charcutier, à Genappe ou à Braine. La clientèle entrait et sortait respectueuse... Je ne serais pas entré seul, ni avec beaucoup d'autres que lui. Mais dans ces circonstances, malgré sa soutane usée et un chapeau qui servait aussi de corbeille à pierres, il en imposait par sa dignité simple et modeste. Je cite ce trait parce qu'il peut donner une idée du comportement de Louis dans les milieux militaires, dans la promiscuité des campements. Il était si profondément prêtre qu'il ne devait plus se le rappeler à lui-même pour que d'autres le remarquent. IV. – LE SOLDAT. L'armée occupa une grande place dans la vie de l'abbé Reyntens, et marqua profondément sa personnalité. Engagé volontaire en 1914, l'armée fut, pour le jeune universitaire, la première expérience pratique de sa vie d'homme. Il fit son école de soldat au camp d'Auvour, et rejoignit le front déjà stabilisé sur l'Yser. Rapidement promu sous-officier, il fut envoyé à Gaillon pour recevoir sa formation d'officier. Tout le reste du temps de la guerre, il le passa au front. Il fut blessé et sérieusement : une balle lui traversa le foie de part en part. Il termina la campagne avec le grade de lieutenant ; il s'est vu décerner la croix du feu, la croix de guerre avec palmes : il fut nommé chevalier de l'Ordre de la Couronne avec palmes. Conduite humainement glorieuse : cependant, pour comprendre la vie de l'homme à cette époque, il faut tenir compte avant tout que c'est dans cette ambiance militaire que par une vie d'amour pour Dieu et pour le prochain, mûrissait sa vocation sacerdotale. Par instinct de soldat, autant que par raisonnement politique, Louis Reyntens n'a jamais cru à une paix durable avec l'Allemagne. Dans la montée du nazisme, il discerna un mouvement incoercible de revanche. Aussi suivait-il avec beaucoup d'attention l’évolution de l'instrument militaire. Gardant le contact constant avec l'armée, il devint capitaine-commandant de réserve. En 1939, il est chargé d'organiser la transformation d'une compagnie de son régiment de Chasseurs ardennais en Chasseurs motorisés. « C'est un commandement pour célibataire, lui dit le colonel, les mariés perdent cinquante pour cent de leur combativité. » Dans le domaine militaire, comme dans les autres, son esprit scrutait les réalités en dehors de toute routine. Dès les premiers mois de mobilisation, il avait fait venir d'Allemagne, par la poste, les dernières publications militaires traitant de la « Blitzkrieg ». Il essaya la valeur de la tactique allemande en manœuvrant avec les ressources de sa compagnie motorisée. Je me souviens d’une visite qu'il me fit quelques jours avant le 10 mai 1940, où il me donnait les résultats de ses manœuvres : « Aucune fortification ne tiendra devant les chars, me dit-il. Je n'enterre pas mes hommes comme nous étions enterrés en 1918. Je les fais rouler sur leurs motos. C'est la rapidité de déplacement qui importe avant tout à une unité comme la mienne. » De son rôle propre dans la campagne des dix-huit jours, Louis oubliait totalement de parler. Me trouvant avec lui sur le terrain à Perwez, il m'expliquait là la tragédie de l'évacuation de la ville, comme s'il y avait assisté en simple témoin. Le long de la ligne de défense anti-char – du « mur d'acier » –, il contrôlait minutieusement les dires de certains de ses soldats qui demandaient une distinction. Force nous est donc de reproduire le témoignage de soldats témoins oculaires. * * * Le discours que prononça, lors de ses funérailles, le lieutenant-colonel Kremer, commandant de son régiment pendant la guerre, est hautement significatif. Nous le citons : « Tout ceux qui ont approché l'abbé Louis Reyntens dans l'une des multiples activités de sa vie, sont atterrés par sa disparition tragique, inopinée, prématurée. » La douleur des anciens du Bataillon motocycliste de Chasseurs ardennais est particulièrement vive et profonde. » C'est en leur nom, comme chef de cette unité, que je m'incline avec émotion, devant le commandant Louis Reyntens et que je lui apporte l'hommage de notre admiration, de notre gratitude, de notre regret. » L'abbé Louis Reyntens était un apôtre, il avait su concilier son sacerdoce et ses devoirs de citoyen, avec une abnégation et un courage admirables ; il avait fait, au 20e de Ligne, toute la campagne de 1914-1918 ; le grade d'officier qu'il y conquiert et les distinctions les plus élogieuses témoignent de sa brillante conduite, de ses mérites. » Dans la période entre les deux guerres, le commandant Reyntens reprend ses fonctions ecclésiastiques et se consacre spécialement à l'enseignement. Mais il ne manqua pas une occasion de prendre contact avec l'armée, en sa qualité d'officier de réserve, et il se tient au courant des évolutions, des innovations. Aussi, quand en août 1939, l'Allemand menace l'Europe et que notre armée passe à la mobilisation générale, il regagne son poste aux Chasseurs ardennais et y est immédiatement à la hauteur de sa lourde tâche de commandant de compagnie. » Lorsque la création du Bataillon motocycliste de Chasseurs ardennais est décidée, il sollicite et obtient d'y passer. Tout est à faire dans cette unité, seule de l'espèce dans notre armée, il y donne toute sa mesure, y déploie une activité de tous les instants dans le cadre de ses attributions, il crée une compagnie modèle. » Le 10 avril 1940, le Bataillon, incomplètement constitué et dressé, est dirigé vers la frontière : il a mission de défendre les nœuds routiers de La Roche et d'Erzée. Le commandement de ce dernier est assumé par le commandant Reyntens. Il organise sa position impeccablement et quand, le 10 mai, notre territoire est de nouveau envahi, il est prêt à recevoir l’ennemi, à lui opposer ses forces. Il remplit intégralement les missions qui lui sont imparties, mais il doit se résoudre, comme tous les Chasseurs ardennais exécutant des ordres impérieux, à abandonner l'Ardenne sans avoir épuisé ses moyens. » Et puis, avec le Bataillon motocycliste des Chasseurs ardennais, il participe successivement aux opérations souvent sanglantes de Pont-de-Bonne, à Perwez, sur l'Escaut, au canal de Gand-Terneuzen, à Gothem, à Courtrai, à Ypres, à la bataille de la Lys et enfin en avant de l'Yser. Partout, il étonna par son allant extraordinaire, son activité débordante, son courage dont il ne se départit jamais, même lorsque blessé, il obtient que je le laisse à la tête de sa compagnie. A la capitulation de l'armée, son état s'est empiré, il souffre beaucoup et il doit entrer dans une formation sanitaire. A peine rétabli, il se met immédiatement au service des anciens du Bataillon et de leur famille, il les visite, les aide, les réconforte et répand la foi dans la victoire des Alliés et la libération du pays. » Il est parmi les premiers à entrer dans la Résistance, à passer dans le maquis, à y être un chef ; sa volonté de nuire à l'ennemi par tous les moyens faisant fi des risques, des dangers. » Après la libération, il continue à servir dans l'armée en Belgique et en Allemagne, jusqu'au jour où, démobilisé, il reprend sa vie religieuse. » Trop bref exposé de la carrière militaire du commandant Reyntens, il dit suffisamment sa valeur, les rôles qu'il a remplis ; mais la confiance, la sympathie dont il jouissait tant auprès de ses chefs que chez ses subordonnés, comme aussi les nouvelles distinctions dont il a été honoré montrent qu'il fut un serviteur exceptionnel de la Patrie. » Au sein du Bataillon motocycliste des Chasseurs ardennais, le nom du commandant Louis Reyntens restera gravé et symbolisera le patriotisme, la bravoure, l'abnégation et la modestie. » Nous lui adressons un suprême adieu ! » * * * Un lieutenant du bataillon auquel il appartenait, Raymond Leblanc, a fait le récit de sa campagne pendant les dix-huit jours dans un livre intitulé Les dés pipés. Dans le chassé-croisé de ces compagnies motorisées, il a vu le commandant Reyntens (dont il parle en lui donnant le nom de « Berdens ») à l'œuvre : Dès les premiers moments de l'invasion : « Sa présence réconforte tout le monde. Ce diable d'homme connaît les mots qu'il faut dire en de pareilles circonstances, et ses boutades à l'adresse de chacun suffisent à remonter un moral défaillant. Nous lui savons gré de s'intéresser à nous. Il est vrai que c'est son rôle essentiel et qu'il se fait un peu l'effet de rassurer ses ouailles ». Le voici arrivant à Perwez avec des troupes épuisées qui depuis près d'une semaine, font face à l'ennemi le jour et changent de positions la nuit : « La nuit se passe dans la surveillance des positions. Le commandant ne dort pas non plus. Je crois qu'il n'aura pas dormi trois heures pendant les dix-huit nuits. C'est un homme d'une résistance physique exceptionnelle. Il se promène avec son pilote d'un peloton à l'autre, d'un épaulement à l'autre, d'un homme à l'autre... C'est un vrai chien de garde. Et avec cela toujours de bonne humeur et connaissant des mots justes pour retaper quelqu'un ». A Perwez, encore une scène sacerdotale « Le commandant Reyntens accourt donner au blessé les derniers sacrements. J'entends Mazière qui articule faiblement comme dans un souffle : « C'est fini... mon commandant... je le sens... » au revoir ... mon com...mandant ». Peu après, il passe de l'extrême droite à l’extrême gauche du front belge : en Hollande, à Sluiskil : « La nuit tombe et avec elle le froid brumeux qui s'étend sur les plaines marécageuses. » Pas de ravitaillement en perspective. Pas de repos non plus, car le commandant Reyntens, infatigable, surveille son monde avec une constance prodigieuse. » Quel diable d'homme que ce commandant ! Il se complaît dans cette atmosphère de dangers et d'embûches comme un poisson dans l'eau ». Quatre jours avant la capitulation, le commandant Reyntens s'est cassé le pied dans un accident de side-car : « Il continue cependant à commander ses hommes. Il est transporté en side-car, mais toujours infatigable il inspecte son secteur en clopinant. Cet homme, ajoute le lieutenant, est l'incarnation même de la résistance physique et morale à toute épreuve ». Nous voici au marin du 21 mai : « il est hors de doute que les Allemands vont nous tomber sur le paletot dans un instant; ... le tir de l’artillerie adverse se rapproche impitoyablement... Le commandant Reyntens envisage une solution désespérée. Il réunit à la hâte quelques hommes du peloton hors rang qu'il pourvoit de grenades et se prépare à aller au-devant de l'ennemi, payant de sa personne, dans le but de tenter un ultime effort de résistance. » Les hommes désignés pour ce sacrifice essaient vainement de faire admettre par leur chef l'inanité de semblable détermination. » Mais le brave commandant demeure inflexible dans sa détermination. On va voir ce qu'on va voir. On en a bien fait autant il y a vingt-cinq ans. » Heureusement, une diversion opportune par l'intervention soudaine de notre artillerie...» Nous voici dans la nuit du 27 au 28 mai « Le commandant Reyntens revient à la charge : « Lobet et Leblanc, vous allez m'aider ; je dois inspecter les positions et j'ai peine à marcher seul... » Nous partons à l'aveuglette, à travers champs et clôtures… un bon demi kilomètre. Le pauvre homme marche péniblement, s'appuyant sur nos épaules et gémissant à chaque faux-pas produit par une ornière invisible. ». C'est un spectacle sublime que nous offre cet homme, blessé depuis trois jours – il a le pied cassé – et refusant de se laisser évacuer pour demeurer à son poste, avec ses hommes. » Nous éprouvons une admiration sans bornes pour ce soldat héroïque, qui accomplit son devoir généreusement, jusqu'au bout. » * * * Le major comte de Looz-Corswarern, commandant de la place de Wavre, a déposé devant la dépouille de Louis Reyntens l'hommage de l’armée. Nous citons la fin de son discours : « Par votre formation sacerdotale, vous vous trouviez à même de nous apprendre entre autres ce qu’est l’homme. Vous avez appris à ceux qui devaient commander à comprendre l'homme ; à tous, officiers, sous-officiers et soldats, vous avez voulu apprendre à être des hommes. Tous vous en sont reconnaissants. » Publiquement aussi nous vous disons du plus profond de notre cœur que jamais nous ne vous oublierons. » Parmi les héros et les saints, dont vous êtes pour nous la plus pure expression, que votre âme repose en paix ! » * * * Le 28 mai, la jambe du commandant était déjà toute charbonneuse. Il entre dans une formation sanitaire, ce qui lui évite la captivité. Dès qu'il peut marcher sur son plâtre, il hèle une auto passant devant la porte de l'hôpital et rentre à Bruxelles. Il n'y reste que quelques jours. Puisque son plâtre lui permet de se déplacer, il retourne au collège de Nivelles où les cours ont repris. Pendant les mois qui suivent, il n'oublie pas ses hommes. Il se met en rapport avec la Croix-Rouge allemande pour aider les prisonniers. A chaque congé, à toutes les vacances, il s'empresse de courir les Ardennes, pour voir ses anciens soldats et consoler les familles des prisonniers et des morts. V. – A L’ARMEE SECRETE. Les anciens chasseurs ardennais restaient donc en contact. Progressivement, ils se réorganisèrent en formation armée. Louis Reyntens y travailla d'abord dans le pays d'Havelange, tout en étant vacher dans une ferme. En août 1942, 1'« Armée secrète » est officiellement constituée. C'est la première organisation de résistants : organisation toute militaire, commandée par d'anciens officiers, reconnue par le gouvernement, qui avait promis de ne pas reconnaître d'autre groupement. Le commandant Reyntens considéra que servir dans la nouvelle armée était la continuation de son devoir militaire. Il se vit confier l'organisation et le commandement d'un groupe du secteur de « Huy-Waremme », qui prit nom de « refuge Otarie ». Il comptait 400 hommes. L'un d'eux vient de publier quelque chose comme un journal du groupe (imp. Degrace, Huy:). Cette publication décrit l'organisation progressive du secteur, les parachutages, les escarmouches avec les Allemands, les destructions opérées. Citons-en quelques extraits : Voici Louis Reyntens vu par ses hommes : « Il était grand et très mince. » La figure fine, les traits bien réguliers, il avait le front très haut et une intelligence remarquable que révélaient deux yeux noirs très vifs, et parfois si doux. » Son regard direct creusait un moment votre pensée, eût-on dit, et vous transmettait étonnamment ensuite les sentiments de ce chef, tant ses yeux parlaient. » C'est d'eux que tous ont appris la volonté, l'énergie, l'opiniâtreté du Commandant... et surtout son affection pour les siens, ses amis et ses hommes dont toute peine était sienne. » Il était la modestie en personne, et cependant... * * * Pour la question argent : « C'est un titre d'honneur du commandant Reyntens et des siens que d'être parvenus à réaliser leurs desseins sans avoir jamais « emprunté de force », selon le terme du moment. » Les chefs ont préféré vivre dans la difficulté ... » On aminé le pont de Borloo : » Les veilleurs ont attendu-dix-sept heures dans leur trou. » Accuria a signalé un train de mitraille et de minerai. » Le voici, ce long convoi, et il va mourir ! » Seulement, il y a le machiniste et le chauffeur qui sont Belges. » Georges (le commandant Reyntens) veut qu'ils soient saufs, il a calculé, soyez certains, l'instant de la mise à feu. » Le train arrive, aborde, touche ; la locomotive passe, un wagon ensuite, un second, un troisième et puis pan! » Près de la gare de Waremme, les Allemands ont amené une grue ; elle est prête à enlever des voies une locomotive qui a sauté. C'est encore le plein jour, mais la grue pourrait faire sa besogne et partir. Il y a de nombreux Allemands au travail, commandés par leurs officiers. Une petite formation de l'Armée secrète, après avoir détruit une camionnette et pris les Allemands qui pourraient les poursuivre, marche vers les voies. Les Allemands tirent. Les autres aussi. « Des bras se lèvent pendant que Georges (L. Reyntens) commande aux ennemis de se rendre. » Les Fritz obéissent. » Trois d’entre eux sont par terre, et Georges (L. Reyntens), la main sur la grue, sans aucune arme, regarde calmement la troupe nazie stupéfaite... « Pour la mise à feu, Raoul, passez-moi votre colis !... » Il y eut un blessé qui fut sauvé. Un témoignage sur la valeur éducative du chef : « Otarie n'était plus seulement un groupe, c'était une famille. Une famille serrée, unie, qui n'a qu'un but : faire son devoir. Ces jeunes gens n'étaient pas des cerveaux brûlés qu'il fallait gronder à tout instant... » Au début de septembre 1944, quand les Américains approchaient, le commandant Reyntens « réunit sous sa seule autorité les pouvoirs d'administration civile et de police ». Ses hommes prennent l'uniforme et organisent immédiatement la région de Waremme en Unité parfaitement constituée. Il leur est donné de faire quelques jours de guérillas. Ils font les premiers, et en bon ordre, une entrée triomphale à Waremme. Ils espéraient pouvoir être incorporés en tant qu'unité dans une armée en marche sur l'Allemagne... L'autorité à Bruxelles en décida autrement – sagement, car nous nous rappelons comment certaines organisations de résistance, malencontreusement reconnues sur le tard par le gouvernement de Londres, étaient truffées d'éléments communistes révolutionnaires –. Elle décida que tous les groupes remettraient leurs armes et que l'on constituerait, par des engagements individuels, des compagnies de fusiliers. Les hommes du « refuge Otarie » remirent ces armes, et se séparèrent dans la tristesse, mais sans aucun écart de discipline. Le commandant Reyntens avait conseillé les engagements dans les nouvelles formations. Il quittait, avec l'abnégation sacerdotale que nous lui connaissons, des hommes qui étaient devenus les siens, des soldats qu'il avait formés, pour en former d'autres avec lesquels il fera la campagne d'Allemagne. * * * Son adjoint, le lieutenant Renson, qui le seconda de 1942 à 1944, lui a rendu le dernier hommage au nom de ses hommes. Voici des extraits de son témoignage devant la dépouille du Commandant : « Comment pourrais-je évoquer simplement toute l'affection et l'insigne reconnaissance de cette phalange que vous avez pétrie de votre valeur et de votre attachement ? » Me sera-t-il possible de déchirer aujourd'hui le voile de votre immense modestie ?... » Nous savions que l'officier d'élite, l'entraineur merveilleux qui nous commandait était prêtre... et nous nous demandions parfois si notre chef n'était pas plus officier que prêtre ? » Nous ne comprenions pas cette juxtaposition de deux états. » Aujourd'hui, mon commandant, nous avons compris. » Vous saviez, mieux que nous, plus que nous, combien la vie peut être source d'actions fécondes. » Vous saviez que la charité est la plus grande des vertus, et que le don de soi-même est la plus belle offrande qu'un homme puisse faire à son prochain et à Dieu. » Prêtre, vous étiez l'intermédiaire entre Dieu ct nous ; vous lui offriez nos souffrances et vous nous en rapportiez les grâces et le pardon. » Vous étiez tout à Dieu, en nous servant, vous Le serviez. » Officier, vous portiez en avant des nôtres, votre poitrine, votre valeur, votre abnégation, votre intrépidité pour défendre notre peuple et nos couleurs... » A la face de tous, je dois déclarer aujourd'hui, mon commandant, que nul mieux que vous ne fut chef, et que nul, mieux que vous, ne fut un entraîneur de braves. » Aux sabotages, aux parachutages, au combat, partout, vous étiez le premier, le plus grand, le plus brave. » Commandant, tous
nous sommes près de vous, et ceux qui manquent sont de cœur avec nous dans ces
moments douloureux. » Ils pensent au chef
qu'ils perdent. » Ils pensent au
prêtre incomparable qui s'en va vivre auprès de son Dieu. » Ils savent, vos
hommes, vos amis, que vous leur avez laissé l'exemple, l'exemple du devoir en
action, et vous resterez dans leur souvenir comme le modèle vivant de l'homme
de bien. » Ils savent aussi
que vous ne les quittez pas, et que dans votre ciel, vous veillez sur eux... » Chef aimé, au nom
de nous tous, vos gars d'« Otarie ». » Adieu ! » VI. – A L’ECOLE PROFESSIONNELLE DE WAVRE. Quand
Louis Reyntens revint du maquis, un de ses anciens
élèves avait repris ses cours à Nivelles. Son Eminence le Cardinal lui confia
la direction de l'Ecole professionnelle de Wavre. L'Ecole
« Auguste Lannoye » (c'est le nom de l'industriel
chrétien qui l'a fondée, il y a vingt-cinq ans) groupe quelques cent cinquante à
deux cents jeunes gens venant de Wavre et des villages environnants avec leurs
professeurs. Elle possède une section de mécanique, de menuiserie et
d'électricité. L’école avait été bien menée jusque-là. Cependant
c’est la pauvreté. Le directeur campe dans un coin de l'école, n'ayant pas de chambre,
et se met au travail. Il faut bâtir. Il construit un
hall pour ses apprentis menuisiers et leurs machines, un bâtiment à la façade
avec bureaux et une future petite chapelle. Dans ce travail, il fut très
généreusement soutenu par M. Jean Lannoye, successeur
d'Auguste Lannoye. Cependant, malgré cet appui, il lui fallut faire bien des
démarches chez les autres industriels de la région. Il
prit immédiatement en mains les intérêts de ses professeurs, dont il voulait
augmenter les ressources. Il parvint à leur allouer un supplément relativement
important : important, surtout si l'on se rend compte que dans l'école le
minerval est quasi inexistant. Il
gardait, pour lui-même la pauvreté qui rend tout fatigant. L'école
pouvait difficilement payer une femme d'ouvrage, à côté du vieux Charles qui ne
suffit pas à la besogne et qui est fréquemment malade. C'est alors le Directeur
qui, dans le froid de l’hiver passé, allume les quelques douze feux de l'établissement,
en donnant en plus les soins physiques au vieil homme de peine. Les
élèves surtout n'étaient pas négligés. Tout son temps libre était consacré à
rendre visite à leurs parents, aux curés des villages environnants et aux familles
que ces curés lui désignaient. C'est pour faire ces courses multiples qu'il se
procura, quelques semaines avant sa mort, un vélomoteur de 150 cc. « Vous en avez besoin, lui avait dit le doyen de Wavre, mais
je vous préviens, je ferai votre enterrement.» A cinquante-deux ans, il est des
réflexes que l'on n'acquiert plus, mais on ne peut non plus, à cet âge,
parcourir à vélo, les routes montueuses du Brabant wallon. Il accepta le risque
par devoir, non sans pressentiment. C'est
sur cette machine qu'il devait trouver la mort l'après-midi du 21 juillet 1947,
alors qu'il 'profitait du congé pour aller voir des élèves. Son
séjour de quelques mois à Wavre a montré que le nouveau directeur aurait pu
être, dans sa modeste école, par la beauté de sa personnalité, un centre de
rayonnement chrétien pour la région religieusement si appauvrie. Il en imposait
par la largeur de ses vues, par son dévouement, par la manière dont l'ancien
commandant prenait consciencieusement les avis de tous ceux qui pouvaient le
conseiller, par son désintéressement et sa modestie. Il atteignait ainsi et les
industriels et les familles ouvrières, les croyants et aussi les autres. M. Leurquin, bourgmestre de Wavre, a voulu, le jour de ses
funérailles, tenir un des cordons du poêle. Voici
une partie du discours prononcé par M. Jean Lannoye,
chef du Conseil d'administration de l'école : «
Monsieur le Doyen, veuillez redire à Son Eminence le Cardinal que si notre
douleur est si grande et notre inquiétude si profonde, c'est parce que celui
qu'il nous avait donné est digne des plus grandes amitiés et des plus grands espoirs. »
Messieurs les Professeurs de l'Ecole, »
Mieux que moi vous pourriez célébrer votre Chef disparu. Vous diriez avec plus
de cœur encore la profonde bonté de cet homme, car pour lui le droit de
commander, c'était le devoir d'aimer. De cet amour pour ses collaborateurs vous
avez eu des preuves manifestes, et de son commandement ferme et sûr, vous avez
apprécié l'efficience. Considérez-le toujours comme votre Chef et suivez la
voie qu'il vous a tracée. »
Messieurs les Elèves et anciens Elèves, » Vous
qui avez le plus profité de cette énergie brisée, vous pouvez peut-être le
moins l'apprécier. Il faut l'expérience de la vie et des hommes, pour mesurer à
sa valeur un homme comme celui-ci... C’est
à la longue que vous auriez bénéficié de son action ; c'est à, la longue que notre
région tout entière aurait été soulevée par la puissance de foi, de justice, de
progrès dont il fut l'humble et infatigable instrument. »
Jeunes ouvriers, il est tombé à votre service, il est mort en allant à votre
recherche, comme le bon pasteur, le Christ, son Maître, qui risquait aussi pour
ramener dans sa bergerie les brebis errantes ou menacées. Il avait appréhendé qu'il
se fracasse un jour sur la route en allant vers vous. C'est donc de plein gré qu'il
s'exposait pour vous comme, soldat et maquisard, il s'exposait pour son pays.
Il est donc bien juste de redire : jeunes ouvriers, il est mort pour vous !
Puissiez-vous ne jamais l’oublier, et ne jamais oublier la leçon de sa vie et
de sa mort. » VII. – L’HOMME DE DIEU. .Nous
avons regardé sommairement différents aspects de la vie de Louis Reyntens. Nous avons constaté qu'a était doté d'un
tempérament spécialement heureux, de belles facultés d'intelligence et de
volonté, d'un remarquable équilibre, d'une résistance physique et d'une
puissance de travail exceptionnelles. Mais le
lecteur, comme d'ailleurs les témoins de sa vie, se sera rendu compte que la
valeur de la vie de Louis Reyntens relève d’un
élément supra humain. Partout où il a passé, les hommes se sont rendu compte
que Louis Reyntens était avant tout prêtre. Ils ont
remarqué que l’achèvement humain de son activité relevait d’un contrat avec
Dieu, et même plus spécialement, de sa grâce sacerdotale. * * * C’est en 1919, à l’âge de vingt-quatre ans, après
avoir fait la première guerre, qu'il entra au séminaire. Vocation tardive ? Nullement, si l'on
comprenait par là que Louis Reyntens aurait d'abord
été attiré par le monde et aurait dû rompre avec lui. Vocation «
retardée » plutôt. Retardée sans doute par une certaine indécision
sur la manière de se donner à Dieu et aussi par les événements. Car nous
avons des témoignages très nets : dès sa première jeunesse, Dieu l'avait
prévenu de sa grâce et attiré à Lui ; durant la première guerre, sa foi et sa
charité ont grandi harmonieusement, dans la difficulté favorable
aux forts comme elle est néfaste aux faibles. C'est sans heurt et avec
l'avantage d'une plus grande maturité, qu'il a pu se présenter à
Dieu et à l'Eglise pour les servir dans le sacerdoce. Il fut un modèle de renoncement à lui-même
dans la vie assez monotone du séminaire. Déjà alors, il exerçait sa charité
envers ses compagnons plus jeunes d'âge et surtout d'expérience humaine et
spirituelle, cherchant à leur rendre les plus menus services. Le 7 septembre 1924, il offrit pour la
première fois le Saint Sacrifice : voulant, avec Dieu, que sa vie fût tout
entière ordonnée à ce sacrifice d'adoration et de louange qu'il offrirait
chaque matin dans la personne du Christ. Jusqu'à sa mort, il fut fidèle à Dieu ;
il a toujours cherché à avoir, dans son esprit et dans son cœur, les sentiments
du Christ Jésus envers Dieu et envers les hommes. De ce ressort d'activité intérieur,
surnaturel et nettement sacerdotal, il ne parlait qu'à ceux dont il se sentait
deviné et compris. Il en parlait alors sans analyser les sentiments de son âme,
mais en causant objectivement de Dieu et de la manière de l'atteindre dans la
foi et dans la charité. Il n'était pas nécessaire qu'il
découvrît plus explicitement les tendances profondes de son être. Elles
transpiraient discrètement dans toutes ses démarches. Ceux qui l'ont approché
ont tous soupçonné ces tendances, et ils les ont comprises dans la mesure même
où ils partageaient sa foi. * * * On a loué sa force tranquille et son
courage. Et nous nous sommes réjouis des occasions que la guerre lui a fournies
de multiplier les actes héroïques. Mais on a senti que ce courage avait une
source plus profonde que la valeur militaire dont les hommes sont fiers. On se
rendait compte qu'il accomplissait alors simplement « son devoir » ; exactement
comme il l'accomplissait dans les circonstances les plus ordinaires de la vie
courante et, semblait-il, avec la même facilité. Certes, ces actes lui ont
permis d'exprimer plus pleinement sa donation à Dieu et au prochain, mais on
peut croire que, sans ces occasions, il eût été intérieurement le même,
agissant avec le même esprit de donation de soi. * * * On a loué l'homme qui accomplit son
devoir. Mais la manière dont il entendait faire son devoir dépasse de loin ce
que les humains entendent habituellement par là. Il ne l'accomplissait ni pour
être estimé des autres, ni pour pouvoir s'estimer lui-même. Il s'agissait pour
lui d'accomplir le devoir suprême : faire la volonté de Dieu, par amour pour
lui, pour que Dieu soit glorifié dans ses créatures. Il se mettait à la
disposition de Dieu ; il voulait être son humble instrument pour réaliser les
desseins cachés de sa Providence. « Ego sum sub potestate constitutus,
habens sub me milites », disait le centurion de
l'Evangile (MATTH., VIII, 9). Cette image militaire traduirait bien l'attitude intérieure
de Louis Reyntens faisant son devoir : il se mettait
sous la dépendance de Dieu pour travailler à son règne. Cette attitude intérieure explique le
désintéressement qui caractérisait toute son activité. Dans l'obscurité du
collège de Nivelles, il a travaillé avec goût à ses cours et à son laboratoire.
En quittant Nivelles, il a laissé le fruit de son travail à d'autres avec la
plus grande simplicité, pour recommencer lui-même ailleurs dans des conditions
plus pénibles. Et partir à la guerre était pour lui, une manière de tout quitter
; il m'a dit un jour : « Quand on s’engage, on ne pense pas a revenir, encore
moins à ce qu'on aurait perdu ou gagné au retour ». Qu'on tienne compte qu'il avait l'esprit très
posé, sans aucun besoin
d'aventure, qu'il jugeait et agissait ainsi à quarante-cinq ans, ayant acquis, lors
de sa première campagne, l'expérience de la guerre et de l'après-guerre. S'il faisait son devoir sans tenir
compte de lui-même, ce n'est pas qu'il n'en souffrait jamais. Quelques jours
avant sa mort, il disait à un ami : « Je me sens vieillir... Dans peu d'années
je ne serai plus apte à assumer la tâche que l'on m'a confiée. Je ne sais ce
que l'on fera de moi alors... Peut-être la place que j'ai quittée à Nivelles
sera-t-elle libre ? Cela me démange parfois tellement de redevenir professeur !
» Qu'on nous permette de citer une
application peut-être inattendue, de l'esprit dans lequel Louis Reyntens faisait son devoir. Quand on lui disait, « pour le
tenter » : « Mais, Louis, tu n'as pas peur de tuer des Allemands qui ne sont pas
toujours prêts à paraître devant Dieu ? » Il répondait : « La Providence a
prévu cela ». Sous-entendu : « Moi je ne suis qu'un instrument entre ses mains ;
je ne compromettrai rien si j'agis, comme je dois, à ma place ». Il se livrait d'ailleurs lui-même à ce
jeu de Dieu gouvernant le monde. Il se comptait lui-même pour rien, et nous
pouvons soupçonner qu'il aimait, en acceptant le danger, offrir à Dieu
l'occasion de disposer de lui. C'était cependant sans tenter Dieu ; il était la
prudence même et ne prenait que les risques qu'il fallait. * * * La louange de sa modestie revient comme
un refrain dans les quatre discours qui furent prononcés devant sa dépouille.
Si cette modestie a frappé ceux qui l'ont connu, ce n'est pas avant tout parce
qu'il disposait de tant de moyens de se mettre en avant, ni parce qu'il
admettait volontiers chez les autres « une légitime ambition » c’était
surtout parce qu'on sentait en lui une volonté d'effacement. C'est que sa
modestie jaillissait d'une source infiniment plus profonde que la vertu humaine
qui porte ce nom. Louis Reyntens travaillait pour
Dieu, devant Dieu, dans l’état d’humilité de la créature devant son Créateur. Il
faisait ses grandes ou menues actions pour que Dieu soit glorifié. Et on
sentait qu’il était arrivé à vivre comme naturellement dans cette
attitude : Dieu seul comptait pour lui, et sa réalité invisible avait pris
toute la place dans le champ de ses pensées et de ses volontés. * * * C’est dans le même esprit qu’il a voulu vivre pauvre à l’exemple de son Maître. A cette pauvreté il s’était librement engagé par vœu public. Il ne retenait pour sa subsistance que le strict nécessaire. Il voyageait « quart de place » comme invalide et tout de même en troisième. Il ne se servait pas de restaurant, toujours quand cela ne gênait pas les autres. Pendant tout son séjour à Nivelles, il s'est chauffé – au minimum indispensable – à l'aide d'un curieux poêle hérité de son grand-père. Le reste de sa chambre, avec ses meubles pauvres et dépareillés, avait un aspect hétéroclite mi-classe, mi-campement. Ce n'était pas manque de goût, car il avait le sens de la ligne et du dessin: il le montrait quand il s'agissait de son laboratoire. Et quand, à l'école professionnelle, il put s'installer, après un an de campement dans les conditions de pénible incommodité que nous avons laissé entrevoir, il le fit plus pauvrement encore qu'à Nivelles. Son bureau est au niveau de la rue ; le pavement est en carreaux de pierre ; le long des trois murs, une quinzaine de chaises ; au milieu, une planche sur tréteaux servant de table ; dans un coin, son vieux bureau démodé. On connaît sa pauvreté vestimentaire. A Wavre, m'a-t-on dit, il a conquis un industriel important parce qu'il était à la fois intelligent, distingué et qu'il portait une soutane verdâtre. * * * Que dire de sa charité envers le prochain ? Elle était inconditionnée et universelle. A l'exemple du Père Céleste, « il laissait briller le soleil de sa bienveillance sur les mauvais comme sur les bons » (MATTH., V, 45). Il étendait sa sollicitude à tous les besoins humains. Mais ce qu'il voulait pour tous et avant tout, c'était rapprocher les hommes de Dieu. Il était compatissant envers la misère humaine : il la regardait sereinement : rien ne l'étonnait, ni ne l'indignait. Il comprenait dans la douceur de sa charité, mais c'était sans sentimentalité. Sa charité envers la misère, surtout morale, s'exprimait par une, volonté tenace d'aider et de guérir. D'où sa sévérité et sa patiente exigence de justice et de rectitude. Dans tous les milieux, on a admis de sa part cette affirmation de la vérité dans la charité, parce que l'on sentait que, dans cette affirmation, il ne se cherchait pas lui-même, mais le bien des autres ; aussi parce qu'il agissait en toute humilité, qu'il le faisait pour « servir », et pour servir dans l'œuvre de Dieu : donc en « serviteur inutile.» – « servi inutiles sumus » (Luc, VII, .10). Il a gagné ses hommes, comme ses élèves, par cette bonté toute virile, à l'image de la bonté de Dieu. * * * Par ce que nous avons dit jusqu'ici, nous pouvons nous rendre compte de ce que fut son apostolat sacerdotal. Celui-ci ne s'est pas beaucoup exercé dans le ministère direct que ses différentes fonctions ne plaçaient pas au premier plan. Il ne le regrettait pas. Il a apprécié, du point de vue apostolique, l'influence que sa situation à l'armée lui permettait d'exercer. Commandant, il voulut être le père de ses hommes. Et il le fut d'une paternité pénétrée de la grâce sacerdotale. D'après les témoignages que nous avons cités plus haut, son groupe « Otarie » fut une famille dont il était le père aimé et vénéré, non seulement en tant que commandant, mais aussi en tant que prêtre. Exactement comme au collège, il était professeur-prêtre pour ses élèves. * * * Une vie comme celle de Louis Reyntens ne s'explique que si on la rapporte à Dieu. L'homme laissé à lui-même a certes la force de se consacrer à un idéal. Il est normal qu'il tienne à ses idées plus qu'à sa vie corporelle ; elles sont en effet sa vie selon l'esprit. Il y a cependant une différence totale entre l'acte du héros humain et l'acte du martyr ou du saint. Le héros meurt pour ses idées, pour des réalités qui sont ou qu'il a faites d'une certaine manière siennes. Ainsi, il s'affirme toujours d'une certaine façon lui-même. – Le martyr ou le saint ne s'affirme pas lui-même par sa vie ou par sa mort ; il affirme un autre : Dieu. Il affirme Dieu dans un acte d'amour et d'adoration. Un homme est vraiment chrétien dans la mesure où il vit et meurt par amour pour Dieu, pour que les pensées et les volontés de Dieu se réalisent, pour que Dieu soit glorifié en lui-même et en toute créature. Louis Reyntens s'est donné à Dieu et a vécu en dépendance de Lui. Et Dieu a pénétré son humanité de sa lumière et de sa force. Il lui a donné cette profondeur du sens chrétien, sacerdotal et ecclésiastique. Il lui a donné le sens de l'Absolu divin pour lequel on fait toujours trop peu, et le sens de la mesure dans tout ce qui n'est pas Dieu. De là, en cet homme, l’équilibre des vertus opposées et complémentaires : humble et effacé, il était entreprenant et audacieux ; actif par tempérament, par devoir et par dévouent, il était toujours maître de soi, calme et circonspect, nullement, comme on dit, « débordant d'activité »; ayant, par la pureté et la droiture de son amour pour Dieu, un cœur d'enfant, il n'était jamais ni naïf, ni dupe, il savait ce qu'il y a dans le cœur de l'homme. De son attitude de dépendance envers Dieu résultait aussi, par un don de Dieu, cette justesse du jugement surnaturel, et par-dessus tout cette paix et cette sérénité qui caractérisent ceux gui vivent en fils de leur Père Céleste. « Bienheureux les pacifiques, disait Notre- Seigneur, ils seront appelés les fils de Dieu » (MATTH., V). * * * Ainsi Louis Reyntens a été, par tous les aspects de sa vie, un témoin de Dieu, un témoin aussi de la puissance sanctificatrice de la grâce sacerdotale du Christ dans l'Eglise. Et ce témoignage fut reçu par beaucoup : il frappa les incroyants et consolida la foi des croyants. Car, d'une manière générale, les hommes de bonne foi comprennent la valeur du principe de discernement énoncé par Jésus en face de ses adversaires : « Celui qui ne cherche pas sa gloire, mais la gloire de Celui qui l'a envoyé, celui-là est véridique » (JOA., VII, 18). Aussi, quand, devant sa dépouille, on a proclamé ses mérites de soldat et de maquisard, c'est Dieu et sa grâce sacerdotale que l'on a surtout glorifiés en lui. C'est que Louis Reyntens a agi de telle sorte que les hommes, « voyant ses œuvres bonnes, ont glorifié, non pas avant tout sa personne, mais son Père qui est dans les cieux » (MATTH., V, 16). * * * Cher Louis, nous tes amis, nous ne voulons pas te considérer comme mort, puisque tu vis. Nous ne savons pas quand nous te reverrons. Mais il est encore arrivé que tu sois parti sans que l'on sache quand on se reverrait. Mais nous nous reverrons, quand Dieu voudra. Tout est entre ses mains. Nous ne pouvons penser que ton accident ne soit pas providentiel. Lors d'une après-midi passée sur le maigre gazon du Collège de Nivelles – avant que tu ne partes pour le maquis – je t'ai vu pour la première fois fatigué, vieilli, et tu en convenais ! Je me suis demandé alors quelle serait ta beauté quand l'âge aurait limité ton activité. Et je ne me suis pas trouvé de réponse. Et voici que tu es parti comme tu avais toujours pensé et aimé partir : par une mort violente. Rappelle-toi comme tu trouvais belle la mort du Roi Albert et comme tu approuvais largement sa volonté de maintenir (par l'alpinisme) du risque dans sa vie, pour empêcher que la volonté ne vieillisse. Toi, tu n'as risqué que pour le devoir. « Ta volonté était dans les mains de Dieu, et Il t'a pris par la droite : Il t'a conduit selon son conseil et t'a reçu dans sa gloire » (ps.72). [1] Revue Sainte-Gertrude – Numéro spécial. H. Heyters. Association des Anciens Elèves du Collège Sainte-Gertrude – Nivelles. |