Médecins de la Grande Guerre
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L’hôpital militaire belge dans
les murs de l’abbaye normande de Mondaye[1] Les premiers temps de l’abbaye Saint-Martin de Mondaye A quelques kilomètres de Bayeux, l’abbaye normande de Mondaye peut se prévaloir de posséder des liens indéfectibles avec la petite Belgique ! Au cours des deux derniers siècles de sa longue existence, par trois fois, les tribulations de l’histoire lièrent le sort de l’abbaye avec notre pays. L’abbaye de Mondaye fut fondée au XIIIème siècle par une petite colonie de frères prémontrés. Le premier abbé connu fut Roger de Juaye qui gouverna l’abbaye jusqu’en 1215. Pillée maintes fois pendant la guerre de Cent Ans et durant les guerres de religion, elle faillit disparaître à jamais par la suppression à la révolution française des 90 abbayes prémontrées. A Mondaye cependant si les moines furent chassés de leur abbaye, celle-ci ne fut pas détruite ! En mai 1815, les trappistines rachètent la propriété et sept d’entre elles, venues de Valenton près de Paris, s’y installent sous la direction de Mère Marie Séraphin[2], cousine germaine de Chateaubriand. Leur vie est austère : les sœurs n’ont pas de feu, d’infirmerie, de couvertures et ne possède qu’un seul habit ! Les conditions d’existence de ces sœurs ne s’améliorent guère avec le temps car, en trente ans, de 1815 à 1845, 74 trappistines, jeunes pour la plupart, décèdent dans les murs de l’abbaye. Elles reposent encore aujourd’hui sous la pelouse qui borde la sacristie actuelle. Décimées, la communauté des trappistines quitte définitivement Mondaye en 1845 et cela malgré la grande estime que leur porte la population. Le domaine de l’abbaye est sauvé de justesse par l’abbé Truffaut qui achète le domaine. Ce personnage haut en couleurs est un ancien trappiste de Bricquebec (voir mon article sur cette abbaye du Cotentin qui hébergea des réfugiés belges en 1914) qui rêve de rétablir l’ordre de Prémontré en France ! La refondation de l’abbaye par les prémontrés belges L’abbé Truffaut sollicite alors les abbayes belges de l’Ordre. Il parvient à convaincre les prémontrés de l’abbaye de Grimbergen de reprendre Mondaye. Le 4 octobre 1858, le supérieur de Grimbergen, le P. Overstraeten rachète les bâtiments de l’abbaye normande à l’abbé Truffaut et envoie deux frères belges, les Pères Gommaire Bouwen et Evermore Casteleyns. Les pionniers sont bien vite est bien vite renforcés par le P. Joseph Willekens et le P. Engelbert de Keersmaeckers. Le lundi de Pentecôte 1859, le retour officiel des prémontrés est fêté en grande pompe lors d’une imposante procession en présence de l’évêque. L’avenir paraît sous d’heureux auspices car des novices français viennent renforcer l’abbaye et les prémontrés s’attèlent alors à rénover et à agrandir le monastère. En 1869, Pie IX redonne au monastère son titre d’Abbaye couronnant ainsi 14 années d’efforts. Le Belge Joseph Willekens devient alors le 38ème abbé de Mondaye et prend la devise « Caritas aedificat » (« c’est l’amour qui construit »). Au printemps de 1880 les choses se gâtent pour les congrégations religieuses en France. Les Républicains sont au pouvoir depuis 1876 et Jules Ferry fait fermer les couvents. Le 4 décembre le sous-préfet fait expulser manu militari les prémontrés de Mondaye. Le Père Willekens qui est belge reçoit de plus son ordre d’expulsion du territoire français et fait ses adieux dans l’abbatial comble de fidèles! Les pères sont placés par l’évêque dans les paroisses tandis qu’à l’abbaye seuls sont autorisés de rester les deux pères prémontrés en charge de la paroisse. Pour éviter la confiscation de leur domaine, les pères décident de vendre l’abbaye à un de leur protecteur, le baron Gérard. La vente sera attaquée comme fictive par l’Enregistrement mais après un procès de neuf ans l’administration fut déboutée. Il faudra attendre 1893 pour que le monde politique accepte le retour des fondations religieuses. Les prémontrés rachètent alors Mondaye au baron Gérard et se réinstallent dans leurs murs. Leur tranquillité retrouvée allait, hélas, se révéler de très brève durée ! L’exil des prémontrés en Belgique à
Bois-Seigneur-Isaac Huit ans après, en 1901,
L’un des aspects les points marquants de l’exil fut la passion qu’eurent les pères pour relancer le pèlerinage du Saint-Sang à Bois-Seigneur. Dès 1905, le 500ème anniversaire du miracle est l’occasion rêvée d’organiser de grandes festivités mais, au quotidien, ce sont des centaines puis des milliers de pèlerins annuels, qui viennent entre mai et octobre à Bois-Seigneur-Isaac. La communauté religieuse a fort à faire avec cette présence de pèlerins qui doit être accompagnée, instruite, confessée! Pendant l’exil de ses occupants en Belgique, le
monastère vide de Mondaye est occupé par l’hôpital militaire belge L’armée belge crée un centre d’instruction à Bayeux et le séminaire de Villiers-le-sec est aménagé en hôpital militaire. Au moins de juin 1915, les autorités belges organisent un second hôpital à l’abbaye de Mondaye qui était inoccupée (dont le propriétaire, M. Robyns de Schneidauer était belge). L’hôpital militaire de Mondaye soigne les soldats atteints d’affections nerveuses. 917 soldats y furent hospitalisés jusqu’à sa fermeture le 3 janvier 1919. Trois seulement y décédèrent. Le 30 avril 1917,
Mgr Lemonnier est venu visiter l’hôpital ce qui nous vaut ce compte-rendu paru
dans Le lundi 30 avril denier, Monseigneur Lemonnier, ayant
avec lui M. l’abbé Labutte, vicaire général, et M. l’abbé Kuhnen, aumônier
belge bien connu à Bayeux, arrivait à 2 heures et demie juste devant la grande
porte de l’hôpital de neurologie. Il rencontrait là notamment, l’attendant pour
une première réception, MM. les officiers attachés à l’établissement,
savoir : le major Holemans, médecin directeur, le comte de Hemricourt,
capitaine, commandant gestionnaire ; MM. Hallez, Glorieux, Gillis,
médecins adjoints ; le chanoine
Boschmans, aumônier ; M. l’abbé Quesnot, curé de la paroisse(…).
Monseigneur l’évêque et les personnes qui viennent d’être indiquées entrent
dans la chapelle abbatiale servant aujourd’hui d’église paroissiale. Pendant
que tout le monde adore le Saint-Sacrement, aux grandes orgues un soldat belge
joue l’hymne national français ; un autre soldat belge, en cette veille du
mois de Marie, chante l’Ave Maria ; l’organiste, quand le cortège sort de
la chapelle, fait entendre 150 malades sont réunis dans l’ancien réfectoire
conventuel où doit se faire la réception officielle. Les larges murailles de
cette salle sont couvertes de drapeaux aux couleurs des nations alliées ;
une toile de fond, peinte par un des malades, représente le Lion de Belgique
bravant les serres de l’Aigle Impérial allemand. Devant cette toile, un
magnifique buste du roi Albert. Dans un angle de la salle, un orchestre composé
d’amateurs pris parmi les malades et qui joue avec entrain une marche d’ H. Jégu :
Lutetia. Alors, c’est le discours de bienvenue ; M. le Major
Holemans salue en Monseigneur Lemonnier, l’évêque, le Français, et l’ami des
soldats belges : discours d’un homme également fidèle à son dieu, à son
roi, souvent et justement interrompu par les applaudissements de l’assistance. Dans
une simple et touchante improvisation, Monseigneur l’évêque répond à M. le
Major. Il le remercie, il remercie le Corps des Officiers et tous les soldats
belges du chaleureux accueil qui lui est fait ; il rappelle la nuit
tragique où le roi Albert, prêt à tous les sacrifices excepté à celui de l’honneur,
déclara que l’empereur d’Allemagne ne passerait pas sur le territoire
belge ; il flagelle avec émotion
les crimes féroces des armées du Kaiser ; il admire l’héroïsme de M. l’aumônier Boschemans traduit aussitôt, à l’usage des
flamands, dans leur langue particulière, les paroles que Monseigneur vient de
prononcer. Puis M. l’aumônier, cette fois en belle langue française, parle pour
son compte. Il a pour Monseigneur Lemonnier des remerciements délicats ;
il exprime les plus nobles sentiments à l’occasion de Quand M. L’aumônier a fini, l’orchestre, toujours très
goûté, exécute De la fin de la première guerre à aujourd’hui La communauté quitta
Le temps passe, quand on visite l’abbaye aujourd’hui en 2009, on est saisi dès la première vision de l’abbatiale par un sentiment de grandeur. Mais cette grandeur est inhabituelle, démunie totalement d’orgueil et de fierté. La profondeur de l’abbatiale, la chapelle de l’assomption, les multiples bâtiments que l’on devine avoir été à de nombreux moments entre « vie et anéantissement » et qui pourtant persistent, se réparent et même se renouvellent, tout cela constitue un ensemble impressionnant qui continue à clamer, je dirais même, à crier, depuis plus de 800 ans que malgré l’âpreté de la vie, la guerre, l’exil, la course du temps, seul l’amour est capable de réunir, réparer, reconstruire! Hommage donc prémontrés de Mondaye qui entre de nombreuses activités paroissiales ou diocésaines continuent aujourd’hui « à faire parler leurs murs »[4] ! Hommage particulier aux 77 frères de Mondaye décédés entre 1859 et 2009 qui consacrèrent l’entièreté de leur vie à leur idéal de paix et d’Amour ! P.S Les lecteurs qui voudraient compléter leurs informations sur l’abbaye actuelle peuvent consulter le site.
Dr Loodts
[1] Avertissement Cet article a été rédigé grâce aux informations contenues dans le numéro hors-série du Courrier de Mondaye intitulé « 150 ans d’histoire de l’abbaye ». Ce numéro de 126 pages écrit par Frère Dominique-Marie est paru en mai 2009 et est édité par l’abbaye Saint-Martin de Mondaye. (courrier.de.mondaye@mondaye.com). [2] Mère Marie des Sétraphins est née en 1760. Elle commença sa vie religieuse à Saint-Malo. Emprisonnée avec ses sœurs en 1794, ayant vu les siens poursuivis, son père mourir en prison, son frère Armand exécuté sous l’empire, elle se cacha à Saint-Malo puis à Paris .En 1804, voici qu’elle recommence une vie religieuse sous l’habit de la trappe, errant avec quelques courageuses compagnes. A leur arrivée à Mondaye, elles sont si démunies, dit-on qu’elles apportent tous leurs biens sur le dos d’un âne ! [3] A Bois-Seigneur-Isaac, dans la petite chapelle dédiée à notre Dame de
Grâce et de Consolation se produisit durant la messe du 5 juin 1405 un miracle
eucharistique. Le prêtre, voyant qu’une partie de l’hostie était restée dans le
corporal, et voulant l’enlever, constata qu’il en gouttait du sang. Le fait
miraculeux fut rapporté à l’évêque de Cambrai, Pierre d’Ailly. Ce fut avant
tout le seigneur du lieu, Jean de Huldenberg, qui s’engagea à faire reconnaître
le miracle. Le 18 octobre 1413, l’évêque déclara que le corporal tâché de sang était
sacro-saint et qu’on pouvait le vénérer comme relique. Par le même acte, il
ordonna qu’on fasse chaque année à Bois-Seigneur-Isaac, une procession du Saint
Sacrement, le dimanche après [4] En octobre 2007, grâce à quelques 900 donateurs, la communauté a pu faire l’acquisition de leur ancienne ferme abbatiale du 18ème siècle. Les bâtiments avaient été vendus en 1791. L’ensemble est magnifique mais doit être restauré pour pouvoir être sauvegardé définitivement. La communauté envisage dans la première tranche de travaux d’y créer un nouvel espace d’accueil-librairie et de créer une grande allée d’accès entre l’abbatiale et la ferme ! |