Médecins de la Grande Guerre

René Glatigny : Journal de campagne du 3 août au 10 octobre 1914.

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GLATIGNY  RENE

Caporal Brancardier

Armée Belge en Campagne

Journal de campagne du 3 août au 10 octobre 1914

Documents recueillis par :

LOODTS Patrick

1988-1991

NOTICE HISTORIQUE ( MICHEL G .)

NOTICE BIOGRAPHIQUE ( MICHEL G .)

JOURNAL DE CAMPAGNE

NOTICE HISTORIQUE

Le 2 août 1914:Ultimatum allemand ;

Le 4 août à 8 heures du matin, les forces allemandes pénètrent en Belgique.

La position fortifiée de Liège est défendue par :

- l'artillerie de forteresse

- des régiments d'infanterie de forteresse composés des plus anciennes classes de milice

- la 3e Division d'armée (3 DA) renforcée par la 15e Brigade mixte provenant de la 4 DA déployée autour de Namur

Le 6 août, la 3 DA et la 15e Brigade mixte après s'être repliées sur la rive gauche de la Meuse, rejoignent le gros de l'armée de campagne déployée sur la position Gette.

Le 7 août, les Allemands entrent dans Liège et poursuivent leur avance ralentie par les tirs des forts dont les deux derniers résisteront jusqu'au 16 août.

Défense de la position Gette.

Les I et 5 DA sont déployées sur la Gette en premier échelon de part et d'autre de Tirlemont.

Les 2,3 et 6 DA sont déployées en second échelon.

La Division de cavalerie assure la couverture de la gauche du dispositif dans la région de Halen.

Le 10 août, la cavalerie allemande se heurte aux avant-postes belges dans la région de Tirlemont.

Le 12 août, c'est la bataille de Halen. La cavalerie belge, ayant mis pied à terre pour combattre, inflige des pertes sévères à  la cavalerie allemande qui charge à  cheval.

Le 18 août, l'armée belge décide de se replier sur la Dyle et ensuite sur la position fortifiée d'Anvers, ce qui est réalisé le 20 août.

Evacuation de la position fortifiée de Namur.

Le 23 août, la 4 DA (moins la 15e Brigade mixte) qui défend la place forte de Namur décide, pour échapper à l'étreinte allemande, de se replier vers la France par 1'Entre-Sambre et Meuse. Le repli s'effectue au prix de lourdes pertes et est couvert par les tirs des forts encore capables de tirer. Les deux derniers forts résisteront jusqu'au 25 août.

La 4 DA  (-) rejoindra la position fortifiée d'Anvers en début de septembre.

La première sortie d'Anvers

Ayant constaté le 23 août que les forces allemandes faisant face à la position fortifiée d'Anvers sont relativement faibles, le commandement de 1'armée belge décide d'effectuer une sortie en vue de soulager la pression allemande sur les armées franco-britanniques.

Le 24 août a lieu la mise en place de quatre DA (5,I,6 et 2) et de la Division de cavalerie pour attaquer le 25 août entre le canal de Willebroeck et la Dyle. La 2 DA doit attaquer en direction de Haacht et de Tildonck. Le 26 août au  soir, en  raison des renforts reçus par les forces allemandes, le commandement de l'armée belge ordonne l'arrêt de cette sortie et la rentrée dans la position fortifiée d'Anvers.

La deuxième sortie d'Anvers

Ayant appris le 7 septembre le déroulement de la bataille importante en cours dans la région de la Marne, le commandement belge décide de l'exécution d'une deuxième sortie de la position fortifiée d'Anvers pour aider  les armées franco-britanniques. Le 8 septembre a lieu la mise en place. Le 9 septembre, l'attaque est déclenchée. L'ensemble de l'armée belge de campagne, sauf la 4 DA revenue de Namur, participe à  l'opération. La 2 DA attaque à  l'est de Werchter en direction de Wezemaal tandis que la Division de cavalerie renforcée par une brigade de la 2 DA débouche de l'ouest d'Aarschot vers Kortrijk-Dutsel. L'attaque belge se déroule selon les plans, obligeant les Allemands à ramener vers le front belge de nombreux renforts. Le 12 septembre, les forces allemandes lancent une contre-offensive en direction de Wezemaal et Werchter. En conséquence, le commandement de l'armée belge ordonne le repli vers la position fortifiée d'Anvers, repli qui est exécuté le I3 septembre.

La défense d'Anvers et la retraite vers la côte belge.

Le 27 septembre, les Allemands attaquent la position fortifiée d'Anvers entre Malines et Lierre. Les forces belges appuyées à partir du 3 octobre par des fusiliers marins britanniques résistent de leur mieux. Cependant, le 6 octobre est donné l'ordre de repli vers la côte de  1'ensemble de 1'armée belge de campagne sauf pour la 2 DA et la Division navale anglaise qui devaient rester sur place avec les troupes de forteresse et les garnisons des forts.

Dans la soirée du 8 octobre, la 2 DA et la Division navale anglaise franchissent l'Escaut sur deux ponts de bateaux, échappant ainsi de justesse à l'encerclement.

Le 9 octobre au soir, l'armée belge de campagne est ralliée sur la rive ouest du canal Gand-Terneuzen et entreprend un vaste mouvement de repli vers la côte belge sous la protection de la Division belge de cavalerie et d'unités anglaises. Le 10 octobre, toute résistance cesse dans la position fortifiée d'Anvers. Environ 34.000 hommes, surtout des troupes de forteresse, se replieront vers les Pays-Bas où ils seront internés jusqu'en 1918.

La bataille  de l'Yser.

Après la retraite d'Anvers, les troupes belges épuisées sont repliées à l'ouest de l'Yser. Le 14 octobre, une nouvelle armée allemande est constituée dans la région de Gand. Cette armée a pour mission de marcher en direction de Dunkerque - Calais, son aile droite appuyée, à la mer.

L'armée belge, renforcée par quelques troupes françaises, est déployée sur la ligne de l'Yser, l'aile gauche appuyée à la mer.  Le choc a lieu le 18 octobre. Au prix de lourdes pertes, l'armée belge, aidée de nouveaux renforts français, parvient à maintenir la majorité de ses positions. Le 25 octobre, dans l'après-midi, le commandement de l 'armée belge décide d'inonder le terrain entre 1'Yser et le chemin de fer Nieuport-Dixmude. A partir du 28 octobre, l'eau de la mer envahit la plaine de l'Yser. Dans la nuit du 30 au 31 octobre l'inondation est telle que le commandement allemand replie ses troupes sur la rive droite de 1'Yser. Il était temps car les troupes belges étaient exténuées.

La stabilisation du front sur l’Yser ;

Pour l'armée belge, la guerre de tranchées commence. Elle va durer quatre  longues années.

Les Alliés vont constituer pendant cette période un front continu de la mer du Nord à la frontière suisse. Ce front va être le théâtre de nombreuses offensives et contre-offensives et cela jusqu'à la fin de la guerre.

L'offensive libératrice

Fin septembre 19I8 est déclenchée l'offensive libératrice. Les opérations suivantes sont prévues :

26 septembre : attaque franco-américaine entre Meuse et Suippes en direction du nord.

28 septembre : attaque belgo-franco-britannique vers Bruges et Gand. (Groupe d'armées aux ordres du roi Albert)[1]

27 septembre : attaque franco-britannique entre Douai et Saint-Quentin en direction du nord-est.

Le 17 octobre, la Division de cavalerie belge atteint les lisières de Bruges.

Le 2 novembre, l'armée belge atteint la Lys à l'ouest de Gand.

Le 11 novembre, tout est prêt pour forcer le passage de l'Escaut dans la région de Gand, mais la signature de 1'armistice interrompt les opérations.

Du 28 septembre au 11 novembre 1918, 30.000 Belges tombèrent, tués ou blessés, soit le quart des effectifs engagés.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

RENE GLATIGNY

       René Glatigny est né à Tarcienne le 28 juillet I892.

Il était le fils de Constant Glatigny et d'Odile Famenne.

       Tarcienne est un village de la Province de Namur, à la limite de la Province de Hainaut. Il est situé à 12 kilomètres au sud de Charleroi, à l'ouest de la route reliant Gerpinnes (Hainaut) à Somzée (Namur) et à l'est de la grand' route Charleroi-Philippeville (N5), à hauteur de Nalinnes, village situé à l'ouest de cette dernière grand' route.

       Au début de ce siècle, Tarcienne comptait environ 500 habitants. Il fait actuellement partie de l'entité de Walcourt, ville distante d'une dizaine de kilomètres.                      

       Constant Glatigny était l'instituteur à l'école communale des garçons, école à classe unique pour les six années primaires. Il avait succédé dans         cette fonction à son père, Charles Glatigny. L'instruction des filles du village était confiée à une école tenue par des religieuses. Constant Glatigny était en outre secrétaire communal, géomètre-arpenteur et trésorier de la mutuelle locale. Homme très jovial et très populaire. il était connu à plus de cent lieues à la ronde. Il aimait rendre service... et faire plaisir !

       Odile Famenne était institutrice diplômée et douée d'une culture quelque peu raffinée pour son époque, mais depuis son mariage, elle s'occupait uniquement de l'éducation de ses enfants, éducation profondément chrétienne, respectueuse des grands principes. Signalons que son père Olivier Famenne était aussi instituteur.

       René Glatigny fit donc ses six années d'école primaire dans la classe unique de son père. Il fut ensuite envoyé par ses parents d'abord au petit séminaire de Floreffe et ensuite à l'institut Saint Berthuin de Malonne, tenu par les Frères des Ecoles Chrétiennes pour y recevoir la formation d'instituteur. Il obtint son diplôme d'instituteur à I9 ans, soit en 1911. Il fit ensuite plusieurs intérims dans divers établissements scolaires de l'Entre-Sambre et Meuse. En I9I4,toujours célibataire, il était Maître d'études à l'école normale de Couvin.

       En 1909, le service militaire personnel fut adopté par le Parlement belge à raison d'un fils par famille, en remplacement du tirage au sort. En I9I3, fut adopté le service général obligatoire. Malgré cela, René Glatigny n'effectua pas de service militaire.

En effet, à 1'époque, les instituteurs de même que les jeunes gens qui se destinaient au ministère ecclésiastique ou aux missions étaient exemptés du service militaire en temps de paix mais étaient affectés à un service sanitaire en cas de mobilisation. Pour obtenir cette exemption, ils étaient tenus de suivre pendant trois mois un enseignement d'infirmier-ambulancier ou de justifier par un examen qu'ils possédaient les connaissances nécessaires pour remplir cette fonction.

       En  I9I4, la  famille Glatigny  comptait  quatre  enfants dont  un  garçon, René  et  trois  filles, Marthe, Ghislaine et Irma. En 1911, la famille avait perdu, suite à une maladie,... un  petit garçon âgé de cinq ans qui se prénommait Hector.

       Le quatre août I9I4, obéissant à l'ordre de mobilisation générale, René Glatigny rejoignit Anvers où il fut affecté à la colonne d'ambulances de la Deuxième Division d'armée (2DA).

       Avec la 2 DA, il participa à la défense de la position Gette, aux  deux sorties d'Anvers effectuées par l'armée belge, à la défense d'Anvers, au repli vers l'Yser et à la défense de la position Yser. C'est au cours de cette période qu'il écrivit son  journal de campagne. Il s'agit d'un carnet à couverture noire d'un format de 15 sur 9,5 cm dans lequel il inscrivit au jour le jour les événements qu'il vécut du trois août au dix octobre 1914. Au cours de la période de stabilisation sur l'Yser, il fit la connaissance d'une marraine de guerre, mademoiselle Blanche Sarcey, institutrice française, habitant à Montjoire (région de Toulouse). Il échangea avec elle de nombreuses lettres. Ont été retrouvés trois cahiers d'écolier de l'époque dans lesquels il gardait copie des lettres qu'il écrivait à sa marraine de guerre, du 03 juillet 1916 au 25 septembre 1918.

       En juillet 1917, René Glatigny sollicita et obtint son passage à l'infanterie. Le premier octobre 1917, il fut envoyé à BAYEUX (Calvados) pour y suivre les cours du C.l.S.O.l. (Centre d'instruction des sous-officiers d'infanterie) de l'armée belge. Le 24 février I9I8, il fut nommé sous-officier et, au vu de ses résultats à Bayeux, fut envoyé au C.I.S.L.A. (Centre d'instruction des sous-lieutenants auxiliaires) à Gaillon, dans l'Eure. La session de Gaillon se termina le 31 juillet.

       Breveté du  C.I.S.L.A., René  Glatigny retourna au front où il fut affecté au 16e Régiment de Ligne, 8e Division d'infanterie, 2e Division d'armée.

       Le 28 septembre I9I8, à la tête de son peloton d'infanterie, il participa à l'offensive libératrice qui venait d'être déclenchée. Au cours de ce premier jour d'offensive de l'armée belge, il fut grièvement blessé à l'ennemi et décéda à la suite de ses blessures à l'hôpital d'Hoogstade.

       Après l'armistice, sa dépouille mortelle fut ramenée des Flandres et inhumée au  cimetière de Tarcienne sous la dalle du monument élevé en hommage aux morts de la guerre 14 -18. Une plaque commémorative fut également apposée dans l'église de Tarcienne, à l'arrière, du côté gauche. Elle y est toujours visible aujourd'hui.

       Ce qu'il faut encore savoir de la famille Glatigny pour comprendre  certains  passages des cahiers, c'est que Marthe,  l'aînée des  sœurs  de René  Glatigny, avait, avant le mois d'août 1914, été pensionnaire chez les religieuses Ursulines de Wavre-Notre-Dame.

       Les trois sœurs de René Glatigny obtinrent leur diplôme d'institutrice primaire pour Marthe et Irma, gardienne pour Ghislaine. Marthe Glatigny épousa un instituteur de Morialmé et ils eurent quatre enfants. L'un d'eux fut naturellement prénommé René. Irma Glatigny épousa un régent scientifique originaire de Tarcienne ;  ils eurent  cinq enfants dont une fille prénommée Renée tandis qu'une autre fille porte parmi ses prénoms celui de Blanche qui était le prénom de la marraine de guerre de René Glatigny. Ghislaine Glatigny resta célibataire.

       Autre point intéressant à connaître. A l'instar de nombreux  villages  et  villes  de  l'Entre Sambre et Meuse, Tarcienne a sa marche militaire composée de divers pelotons portant chacun différents uniformes de l'époque napoléonienne. Le saint qui y  est honoré est Saint  Fiacre. Traditionnellement, Tarcienne ouvre la saison des marches le premier dimanche de mai.

       Cette notice biographique se base sur le contenu même des cahiers de René Glatigny mais également et principalement sur la tradition orale qui s'est perpétuée dans la famille.

 

JOURNAL DE CAMPAGNE

DU 03 AOUT AU 1O OCTOBRE 1914

 

V I VE LA BELGIQUE LIBRE

CAMPAGNE 1914 - 1915

GLATIGNY RENE

INSTITUTEUR - TARCIENNE (NAMUR )

BRANCARDIER AMBULANCIER

COLONNE D'AMBULANCE 2 D.A.



Note au lecteur,

       Ce journal a été fait dans le but de conserver les souvenirs de guerre et de me remémorer mes aventures.

       Visant la fidélité, je n'ai guère soigné l'orthographe et le style. C'est la guerre et beaucoup de licences sont permises.

Signé René Glatigny




       Lundi, 03 AOUT : Etant retourné à Couvin, je lis dans un journal que les classes 1913-12-11  exemptées de service doivent se diriger sur Anvers hôpital. Je rentre à la cage pour prendre mon service mais les oiseaux sont partis. Je remise toutes mes affaires  dans  mes armoires,  je ferme à clef. Après avoir dit adieu à mes col lègues, je m'endors dans le dortoir solitaire rêvant de bataille, de victoire, d'Allemands défaits.

       Mardi, 04 AOUT : quatre heures sont marquées à ma montre, impossible de rester au lit, une force invisible vous empêche de dormir. Cinq heures cinq, le train m'envoie à Berzée. Dernier voyage en temps de paix. Il est 6h45 lorsque je remonte vers Tarcienne. Le départ est vite fait. Je fais mes adieux, bien courts, mais bons. Mon sourire et mon enthousiasme font cacher les larmes qui après mon départ ont certes coulé. Je n'eus aucun pleur avant de partir. La patrie menacée doit attendre de ses enfants beaucoup de cœur et de courage et mourir pour elle est non une peine, mais une joie car la gloire entoure cette mort.

       Donc adieu Tarcienne, famille, amis. Pour combien de temps, Dieu sait : pour toujours ou pour un an ou deux ?

       Trêve à  ces pensées, l a  voiture Blaimont me fait avoir le train de 8h20 et en avant pour Anvers…

       Les trains militaires se dirigent vers  nos frontières déjà envahies avec un enthousiasme qui laisse prévoir des succès sans nombre. Les autres trains sont en retard, et ce n'est que vers midi que j'arrive à Bruxelles midi. Le tram et je  suis au Nord. Un train bloc m'amène à   Anvers à 3 heures. Je me dirige vers l'hôpital militaire qui m'expédie avec 60 autres collègues vers le fort 5. Parmi eux se trouvaient Noël et Borgniet. En deux heures  nous arrivons au fort 5. Il est cinq heures.

Notre lieutenant Witackers nous attend et en un mauvais français, néanmoins enthousiaste, nous souhaite la bienvenue. La porte du fort est close à 8 heures :  nous voilà casernés.

       Mercredi, 05 AOUT : Le lendemain, on se relève dans une espèce de cave qui avait nom chambrée. Des sacs à paille comme matelas, que c'est doux, de quoi avoir les reins en compote !

       Le lendemain matin, tous les Wallons étaient dans la chambrée : Magotteaux, Ramet,  Bastin, Dormont, Noêl, Borgni et, Lazare,  Blondeau.  La veille, on s'était connu et déjà on était camarade. Aussi, ce n'est pas en pays inconnu que la trompette nous éveil1a…

       A 6 h1/2 le café, à 12 h soupe et viande, pommes de terre le soir, tel fut notre ravitaillement journalier avec notre petit gris. Dès le début on fut embarrassé d'avoir des ustensiles. A la fin on eut chacun son bol de faïence et sa cuillère. On ne pouvait pas sortir sinon qu'au café du coin. Nous étions prisonniers. Ce régime n'était que provisoire. Il devait durer jusqu’au mardi 17 août.

       Du 05 AOUT au 17 AOUT : Vie très monotone quant aux sorties mais occupations variées. Un jour on va décharger des canons à Vieux-Dieu, d'autres jours on va abattre un bois pour la ligne de tir, on place des fils barbelés. On visite le fort, les redoutes. Le commandant André, dit Christine, dans le soir était très bon pour nous. Le vieux Sommelette sergent trompette du temps de Napoléon venait avec nous travailler. Combien de fois l'a-t-on carotté ?

       On allait à Edeghem dans les fermes avoisinantes du fort, dans le fortin. Du travail, on en faisait et beaucoup ! On cassait 10 maillets pour enfoncer quelques pieux ! C'était le beau temps et cependant on ne l'aimait pas. La vie de compagnon ou d'aventures était notre désir. On lisait les journaux et l'on sentait que notre savoir de brancard n'était pas fait pour une telle besogne.

       Pendant quelques jours, le docteur du fort vint nous donner quelques théories dans les dépendances du fort. Le 13 août, mon père vint me voir. C'était la dernière fois que je voyais l'un des miens. Outre le commandant, notre  lieutenant et le chef trompette,  il est encore un type à  retenir.  Demoulin, cousin de notre ami Gustave.

       Ainsi, j'appris ce que c'était d un fort et d'un fortin. Je fis connaissance avec les engins de destructions : canons, révolvers, mortiers, obusiers, canons à tir rapide, etc coupole, boite à balles, obus brisant, obus fusant, ce qui m'aidera facilement à lire avec fruit les livres stratégiques dans la suite.

       Le temps passe vite : 15 jours et nous arrivons au 17 août

       Lundi 17 AOUT : Depuis ce matin, nous étions occupés è faire des tranchées pour amener le courant électrique au fort. La chaleur nous faisait couler d'énormes gouttes. On aimai mieux s'amuser au café près du chemin de fer que de travailler. Je ne sais mais un pressentiment nous faisait prévoir que le fort ne nous abriterait plus long temps. En effet à 2h, un télégramme nous annonce notre départ qui est fixé au soir. La vie de cénobite était donc finie. Le sergent trompette a beau nous exciter au travail, rien n'y fait. Le départ est dans la boule. Une chose nous préoccupe : ne rien oublier et n'oublier personne. On était déjà en pays de connaissance et c'est à la cantine qu'on se fit ses adieux touchants car les liaisons dans la misère sont souvent les plus durables et entre deux "fles bier", on se quitta. Sept heures et demie, le commandant du fort nous fit ses adieux, nous dit au revoir et souhaita bon courage. La Brabançonne retentit et diverses marches patriotiques nous amenèrent à Vieux-Dieu. Louvain devait être notre point terminus. Nous y arrivâmes en passant par Malines, Schaerbeek.

       A Schaerbeek, nous vîmes les trains de blessés arrivant de Tirlemont où la bataille faisait rage. Enfin Louvain apparut. A la gare, la Croix-Rouge avait installé une buvette de coco et de petits pains. C'était minuit. Quelques cafés de la gare étaient ouverts, mais nous dûmes rester une heure couchés sur la place ornée de fleurs. Le tram arriva et nous prîmes place pour nous diriger vers Winghe-St-Georges. Que de lenteurs ! ; il nous fallut deux heures pour atteindre ce bourg très hospitalier qui nous refusa le coucher ! La lenteur provenait des barricades qui empêchaient la circulation. Le tram nous servait de dortoir afin de ne pas nous aventurer en pays inconnu.[2]

       Mardi 18 AOUT  :  Le tram nous ramena à la route de " Cortryck-Dutzel ". Il était cinq heures du matin. En une heure nous atteignîmes la ferme où nos nouveaux chefs logeaient. Notre lieutenant eut alors un beau geste. Il refusa de manger avant que ses hommes fussent  ravitaillés. J'étais ravitaillé avant que la ferme nous eut servi un mauvais café. C’est chez les pauvres gens que le bon cœur et la charité sont les mieux compris. Les nouveaux chefs nous parurent indifférents. Notre mission était de renforcer la colonne d'ambulance de la 2 D.A.  parmi  laquelle se trouvait Guyaux.

       A sept heures, on donna l'ordre de départ pour la direction de Winghe-St-Georges. Il faisait chaud, la chaleur était accablante. Après un chemin terreux, nous arrivons sur la grand route poudreuse. La sueur coule sur nos visages et devient boue avec la poussière. Malgré la fatigue et l'exténuation, le Major Hollemans nous force à marcher au pas de charge. On essaie de le suivre. Tout à coup, dans les airs un moteur se met à ronfler, c'est un taubes ! Les mitrailleurs lui envoient quelques pruneaux mais en vain. Au loin le canon tonne.



       Enfin,  un champ de blé à gauche va nous servir de bivouac. Les voitures s'alignent dans le champ, la section de Malines fait l'exercice par punition avec le sergent-major Peeters ; quant aux Anversois, ils se couchent dans le champ de pommes de terre. Ils se reposent mais  pas pour longtemps, car on nous classe par voiture.  A la troisième voiture, à laquelle je suis attaché, je fais la connaissance du Dr Doutrebande de  Gougnies qui m'annonce que les Anglais sont à Beverloo (camp). Illusion… On revoit un peu de théorie, on porte le brancard sous le soleil de midi qui darde ses plus chauds rayons. On a soif, impossible de trouver à boire, à la brasserie, les pompes à eau sont cassées. A travers champs, dans une maison abandonnée, on peut avoir de quoi manger. Vers 2h, la colonne part pour  Winghe-St-Georges et s’arrête près de l'église. Les fugitifs arrivent nombreux de Diest où le canon tonne depuis le  matin. La description des armées allemandes envahissant la Belgique est triste  à écouter.  Bientôt, un régiment de Guides arrive en désordre. Ils viennent d'échapper à une surprise  à   Schaffen. Un nouveau bruit de moteur : les mitrailleuses, la fusillade, le garde-champêtre avec un fusil de chasse se fait entendre… Les balles perdues tombent sur le sol.  Le prince de Ligne s'écroule sur le marchepied d'une auto, la carotide transpercée par une balle. Son cadavre est conduit quelques minutes plus tard au nouvel hôpital qu'on  approvisionne en matelas. Le  soir commence à tomber, nous faisons demi-tour vers le champ de blé qui sera notre dortoir et notre réfectoire. Le canon tonne au loin, les incendies sont des veilleuses. Dix heures sonnent au clocher du  village, la trompette annonce la retraite.



       On gagne la chaussée ou la circulation est intense. C’est un va et vient continuel : des autos s’en vont, d’autres viennent… C’est la nuit, au loin se sont les incendies, les phares des autos percent en vain le nuage de poussières soulevé par ce mouvement intense. Aussi c’est en nègres qu’on entre dans Louvain. Quelle soif ! Quel supplice ! A Louvain, tout est fermé et c’est à peine si quelques rares personnes viennent s’informer de la situation. Enfin, un peu de fraîcheur nous parvient du canal mais maintenant c’est la faim qui se fait sentir. Le jour commence à luire et les campagnards viennent avec un œil compatissant nous voir défiler. Les uns apportent des tartines, des poires, des fruits, de l’eau pure… Comme déjeuner et souper, une bonne femme me donne une tranche de pain destinée aux cochons et recouverte de « Kip Kap ». C’était bon, on avait faim et c’était la guerre. Une pinte de mauvaise bière réquisitionnée acheva ce plantureux repas.

       Mercredi 19 AOUT : Enfin, après mille détours, on arrive à Haecht (croquis annexes), bourg assez important qui jouera un grand rôle par la suite. Nous stationnons près du château où les gens nous donnent café et pain. Quel beau jardin, il excite nos convoitises, mais les gens sont trop bons pour nous ;  on se lave et on se couche à l'ombre dans un champ de maïs. Impossible de dormir ; l'énervement de la nuit, la canonnade d'Aerschot en sont la cause. Vers midi arrivent les débris héroïques d'une compagnie du 9ème de Ligne, décimée à Aerschot.



       L'Etat-Major de la 2 D A qui se trouvait sur la place de Haecht reçoit vers l h l'ordre de retraite et apprend l'approche des Allemands venant d'Aerschot. On achète un petit bidon pour y mettre de la boisson. Nous descendons vers la route de Louvain et le calvaire recommence, moins douloureux que la nuit, vu que c'était le jour et qu'on nous permit de grimper sur les fourgons et voitures d'ambulance.

       Nous faisons Haecht-Malines. En route, je rencontre Henry. En face de Hever, avant de  pouvoir prendre la chaussée Louvain-Malines, nous dûmes attendre un certain laps de temps au croisement des routes près d'un jardin rempli de fruits (!). Nous eûmes là quelques blessés par accident en déchargeant un fusil. Un tram rempli de gardes civiques, de blessés et de fugitifs attendait là aussi.

       Le soir tombe quand Malines nous tend ses bras bien veillant. Ce n'est pas connaître Malines que de nier son bon cœur ! Aussi les douceurs qu'on nous apporte nous font oublier la fatigue. L'encombrement des troupes nous fait attendre 3h avant d'obtenir un cantonnement. Enfin, l'ordre arrive de nous rendre à Bonheyden. Nous stationnons encore près d'un passage à niveau     couchés dans la poussière... Enfin, on part vers Bonheyden. On dirait un convoi funèbre. Au sortir de Malines, les incendies s'allument. On se figure les Allemands déjà là. On est vanné. N'en pouvant plus, et ne pouvant attraper une auto, je me laisse traîner avec Jef jusque Bonheyden où nous couchons dans un corridor menant à une étable. Le café était plein d'artilleurs, une chambre y attenant pleine d'enfants et de femmes anxieuses. Tous les soldats étaient exténués, fatigués. Malgré la rusticité du logement, on dort quelques heures.

       Jeudi 20 AOUT : Le sommeil fut très agité, c’était les premiers effets de la guerre ! L’aurore n’était pas encore annoncée que la colonne se remettait en marche. Ce n’était plus la nuit, ce n’était pas encore le jour. Nous retournons sur nos pas au milieu des incendies, des beuglements des bestiaux en pâture, beuglements sinistre précurseurs des grand malheurs au dire des sorcières du Moyen-âge. La tristesse et le découragement de la nuit reviennent. On est fatigué. Un docteur avec complaisance me cède sa place sur le devant d’une voiture. On dort en marchant, on dort assis, on est fatigué.



       Aux abords de Wavre-Notre-Dame, un  magnifique  lever de soleil  nous  réveille et  nous  réjouit. C’était réellement le tableau de Conscience inconnu dans  nos contrées baiseuses de la Wallonie.

       Bientôt les clochers gothiques de Wavre-Notre-Dame amènent sur leur porte des paysans au cœur d'or. On se repose quelques instants, le temps de donner l'avoine aux chevaux et de les faire boire. Nous en profitons pour déjeuner. Bientôt les champs d'asperges et de tomates, les serres nous amènent sur la grand route Lierre-Aerschot à Koningshoyckt. Nous arrivons à Lierre, second Malines où les gens accourent vers nous avec des pistolets, poires, boîtes à sardines. Je parviens à me glisser chez un marchand de souliers, bonnes gens qui me font déjeuner copieusement. Lentement on avance dans Lierre. Où va-t-on ?  On l’ignore. A la caserne des Lanciers !  Après avoir laissé passer un régiment d'artillerie, on nous campe sur la chaussée d’Anvers.

       Les réfugiés d'Aerschot et environs se dirigent vers la place forte d’Anvers. Spectacle toujours écœurant mais on s’y habitue et le cœur se durcit. Nous disposons de quelques heures. On se met au frais avec un seau d'eau. Que c’est bon l'eau !

       Vers 1 heure, nous partons pour une  ferme  entre  Lierre et Bouchout  (voir croquis). L'après-midi se passe à soigner ses pieds qui pour moi ne sont pas endoloris mais qui pour d'autres ne sont que d'immenses cloques. Le soir, on se prépare pour dormir en plein air. Le foin vient d'être coupé et est à demi séché. Une meulette nous sert d'oreiller et comme couverture mon imperméable et quelques  bottes  de paille.  Couchés l’un contre l'autre, on  aura chaud. La nuit, un ronflement de moteur nous réveille, mais la fainéantise et la douceur du lit me tiennent immobile et je ne m’inquiète pas du bruit. Le matin, j'apprends qu'un  Zeppelin a été lancer des bombes sur Anvers.

       Vendredi 21 AOUT : Le garde-barrière nous fournit un frugal déjeuner que nous voulûmes payer, cet homme était pauvre. Vers 1 heure, nous ,recevons 1'ordre de nous mettre en route pour Ranst. En chemin, un accident provoque une déchirure à  ma culotte. On me fournit deux pantalons de toile. C'était ma première métamorphose. On commençait à devenir piottes.                      



       A Ranst, j'arrive en retard, les logements sont distribués. Nous sommes avec Bastin, logés chez les enfants Corremans où nous sommes très bien logés et bien nourris.

       Samedi et Dimanche 22, 23 AOUT : Nous restons à Ranst en repos bien mérité. Le lendemain, au milieu des copains, nous apprenons que nous sommes les mieux lotis. On fait 1’appel et la solde.  Les premiers gains à l’armée :  0,45 par jour. Le dimanche, nous allons à la messe dans 1’allée du château. Sur un autel en bois ; le prêtre fait le sacrifice ; la messe est poétique sous les ogives de l’église formées par les branches supérieures des arbres qui égouttent la pluie sur nos têtes. Symbole touchant des grâces du ciel descendant sur nous…

       A  Ranst,  la colonne se repose, prend des forces pour la lutte à venir. J’ai bon souvenir du secrétaire de Ranst qui fut très bon pour moi. On eut là une distribution d’effets : capote et pantalon pour les plus malheureux.

       Lundi 24 AOUT : Vers quatre heures, ordre fut donné de partir. On se dirigeait à la ferme où nous avions couché après la retraite de Louvain. Je préférai dormir couché en plein air plutôt que dans le poulailler infesté de poux. Le lendemain à 5 heures, le départ sonna à la ferme.

       Mardi 25 AOUT : Bataille de Haecht. Nous prenons la route de Lierre vers Wavre-Notre- Dame où nous arrivons à 10 h et nous restons jusqu’à14h. Alors nous avançons  vers  Malines mais à quelques centaines de mètres de Wavre, nous prenons la direction de Peulis où les paysans furent très bons pour nous. On mange pommes et poires pour satisfaire son appétit.  On est sale, plein de poussières et de sueurs. Vers 3h, nous étions en stationnement dans les  champs entre Peulis et Boort-Meerbeek quand arriva l'ordre de nous tenir prêts.

       L’aumônier nous fait alors en termes vibrants et d’une voix juvénile cette allocution :

       "Mes amis, la Patrie va avoir besoin de vous, sachez faire votre devoir jusqu’au bout" (Note : les 25 et 26 août c'est la première sortie d'Anvers. La 2 DA attaque vers Haecht et Tîldonck).

On avance de quelques mètres dans la direction de Rymenam. Tout à coup une panique, la retraite crie-t-on. Le canon depuis le matin tonne. Le génie veut retourner avec son matériel. Un chariot reste en plan. On demande des hommes pour bouger les chariots. Tous les jurons et énervements deviennent aussitôt inutiles : c'était une fausse alerte. Au lieu d'aller en arrière, cent brancardiers sont demandés : 50 pour Haecht, 50 pour Boort-Meerbeek. Je suis de la partie pour Haecht. Nous avons comme chefs les docteurs Philippart et Coemans. Les autres sont Charlier et Doutrebande. Nous arrivons au milieu du bois où le régiment qui venait de passer il y a quelques heures près de nous bivouaquait. Une panique se produit dans les brancardiers, un coup de fusil ou de révolver venait de partir. Néanmoins nous sommes vite rassemblés et après deux heures de marche nous sommes à Haecht. De temps en temps, on entend le canon qui tonne où une mitrailleuse qui crépite. Des incendies éclairent l'horizon. Le village est plein de soldats qui cherchent un repos ou qui trouvent dans une bouteille de vin réquisitionnée l'oubli des privations et des souffrances fournies dans la journée. Nous allons dans un café sur la place pour y attendre les ordres. Un sous-lieutenant y payait à boire à ses soldats.



       Avec les docteurs, à cinq ou six, nous allons chez les sœurs où les blessés arrivent nombreux.

Jusque minuit, on fit des pansements, mais nous n'avons aucune auto pour évacuer. Le couvent est donc plein. Mr le curé nous donne alors sa maison qui se remplit à son tour. Vers minuit une salle de danse nous sert de dortoir pour une ou deux heures.

       Mercredi 26 AOUT : Le jour à peine pointe à l'horizon que déjà nous sommes debout. Pendant que les docteurs s'informent de la situation, j'achète dans une cave deux bouteilles de Bourgogne. J'achète (?) c'est le mot en temps de guerre. Il est quatre heures, les troupes se rassemblent. Nous partons vers la gare. Là, les docteurs régimentaires avaient établi un poste de secours. Nous commençons à voir les premières horreurs de la guerre. Une patrouille était de garde près du chemin de fer. Deux blessés réclamaient des soins. Nous nous y rendons. A peine avions-nous fait quelques centaines de mètres que les mitrailleuses commençaient à nous arroser d'une salve. Dieu seul sait comment j'y ai échappé ! Nous battons en retraite vers la gare, la fusillade recommence et les Belges y répondent. Le combat est à ses débuts, les hommes tombent à côté de moi, l'un a la cuisse cassée. Bientôt, le canon vint y mêler sa sombre voix comme la grosse caisse soutient les accords d'une harmonie, ainsi le canon soutient le moral de l'infanterie. Même quand il n'y aurait pas de victimes, sa grosse voix est nécessaire dans le chœur de la bataille comme la basse dans le plus joli chœur de Rillé.



       Nous soignons les blessés qui arrivent nombreux. Je reste avec les docteurs attendant l'accalmie. Les blessés arrivent à nos postes de secours d’abord dans une grange, ensuite dans une villa. Pendant quelques minutes de repos nous regardons tirer une batterie, on essaie de suivre les projectiles avec les yeux. Le général et le Q.G. se trouvent près de l’hôpital. Vers 9 heures un régiment vient remplacer un autre. Le général est obligé de menacer la troupe avec un révolver pour empêcher la débandade. L'ordre est rétabli et la fusillade est plus nourrie. Haecht est bombardé, quatre chevaux près du moulin sautent en l’air, des obus tombent sur la brasserie et sur les convois de munitions nous obligeant de transporter notre poste de secours sur la place.

       Un obus balaie la rue d'Aerschot et finit dans une maison. Je pars avec le docteur Philippart et un autre médecin en arrière du village. Nous voyons la bataille se dérouler. Les shrapnels volent sur nos batteries. Un semblant d'accalmie nous fait quitter la métairie où tout est bouleversé et dispersé dans tous les coins de la maison. Sur la place, tout est calme. La bataille semble s'éloigner vers Malines. Les Guides traversent la place, les blessés arrivent et nous sommes obligés d'établir un nouveau poste de secours à l 'école ; un sous-lieutenant arrive blessé au pied. Impossible de soigner tout ce monde : nous ne sommes que quelques-uns, les autres se trouvent au couvent ou chez le notaire. Douze heures, près de trois cents blessés sont couchés dans les salles du bas de l'hôtel de ville.

       J'oubliais de parler de la cour où des armes brisées couvraient le sol. Nous les cachons dans un fournil après les avoir déchargées. Les circonstances m'amènent au réfectoire du couvent où l'on est en train de servir le repas aux sœurs. Je me hasarde à demander une assiette de soupe pour moi et mon ami Alphonse, ce qui nous est accordé avec plaisir. Hélas ce fut la soupe du malheur. A peine la dernière cuillère est-elle avalée qu'on annonce l'arrivée d'une patrouille de Hussards de la mort. La patrouille s'arrête à 500 m du couvent munie de son drapeau blanc. Je profite de cet arrêt pour fuir. Je prends le chemin qui longe le couvent et cours avertir mes camarades. A peine l'arrivée est-elle annoncée à l'hôpital que les blessés aux jambes cassées se relèvent et veulent quitter, malgré la douleur, les 1ieux.

       Les camarades sont partis. Il ne reste plus que trois ou quatre abbés qui ne veulent pas me suivre. Le moment n'est pas aux discussions. Je place le drapeau de la Croix-Rouge et à travers champs, je cours vers le canal. Malheureusement dans ma hâte, je change de direction et me dirige en plein vers les Allemands du côté de la gare.

       Finalement je fonce à travers un champ d'asperges et j'atteins le canal. Le pont est levé, on va le faire sauter. Je dois traverser la Dyle à la nage, j'ai de l'eau jusqu’au cou mais je suis sauvé ! Je grimpe sur une auto, mouillé comme un canard. A Putte, le froid me gagne et pour m'échauffer je me dirige à pied vers Wavre-Notre-Dame. En route, je rencontre et j'aide le brancardier Duchesne accompagné de blessés. Je frappe au couvent et j'appelle la sœur directrice de l'Ecole Normale. Je me présente et je suis chez moi. (Note : l'aînée de la famille y avait, été pensionnaire) Lavage complet à l'eau froide, changement de linge et de pantalon, souper gracieux au réfectoire. Dans une grande salle étaient couchés beaucoup de blessés. C'est un va-et-vient continuel de blessés entre la salle d'entrée, la salle d'opération et la salle de sortie. Enfin bien restauré, je grimpe sur une auto et j'arrive à Lierre. Je trouve un logement chez les frères de Lierre, mais la colonne doit repartir. On réquisitionne trois chars à bancs et nous repartons vers Wavre-Notre-Dame. Nous y passons une partie de la nuit. Il pleut, le froid me fait déserter et je trouve dans un feni1 un lit pour me reposer avec Stevens. Les fatigues du jour ferment bien vite nos paupières.

       Jeudi 27 AOUT : Le jour s'était levé maussade. La brume tombait sur la bruyère. Le soleil néanmoins gagna la bataille. On sort du fenil, plus de colonne, où est-elle ?  On cherche à déjeuner. Après discussion, nous partons pour Lierre, où au lieu de sermon, le major nous félicite d'être échappés de la tourmente et nous fait raconter notre épopée . Une boite de sardines et des galettes de soldats sont notre récompense.

       La colonne, on s'en fout On cherche à Lierre de quoi se restaurer convenablement et lorsque le ventre est bien soigné, on apprend que celle-ci est en marche vers Oeleghem. A mi-chemin un boulanger charitable me déposa à Emblehem. A pied d'Emblehem à Broechem en demandant sur le chemin : "Hebt g i j het Rode Kruis - gezien ? "

       Après un repos, nous arrivons à Oeleghem, fatigués et vannés. Le moulin a bien vite fermé nos paupières.

Vendredi et Samedi 28 ET 29 AOUT : Nous restons à Oeleghem. Les uns vont prendre des bains, les autres font connaissance du village. Trou pour les officiers.  Aussi le dimanche, nous partons pour Ranst.

       Du 30 AOUT au 5 SEPT, nous restons à Ranst : Nous arrivons à Ranst vers midi. Une villa abandonnée nous sert de logement. Un peu de paille sur le plancher, de quoi nous éveiller chaque jour vers 4 heures à cause des reins… C'est dimanche, 17 après-midi nous jouons une partie de cartes avec Vilain et son beau-frère. Hélas le beau temps de paix que l'on revoyait, il ne devait plus le revoir, St Georges l’attendait comme tombeau.

       Le 2 SEPT, les frères Kinet et Toutlemonde revenaient du combat d’Haecht. Moins heureux que moi, ils avaient été faits prisonniers. Leur épopée fut terrible et j’étais content de ne pas l'avoir vécue : conseil de guerre, accusation d’avoir tiré (ce qui fut prouvé faux), porteurs de vêtement militaire avec costume religieux. Enfin le retour dans nos lignes !

       Je fais connaissance d’une gentille demoiselle de Ranst nommée Bertha Cuypers. Nous en reparlerons plus tard. Comment ai-je fait sa connaissance ? Un petit fait et les cœurs parlent. Des boutons manquaient à ma culotte ! Ménage de garçon ! J'achète des boutons chez la tante de la dite demoiselle et en riant je me demande comment je vais les placer. Etant déjà devenu un peu familier de la maison, des doigts agiles placent les boutons. Et la connaissance s'accentua.

       Le jeudi 3 SEPT, la tentation d'un lever de soleil me fait devancer l'aurore. Il est 4 h 40 du matin. Tout dort sur la bruyère. De grosses taches orangées mais avec dominance rouge se dispersent sur un fond bleuâtre qui, avec le rouge solaire, donne du violet sur la terre. Le brouillard s’étend sur le sol. Il est 5 h 5… 1es nuages s'épaississent et deviennent de plus en plus couleur de sang. Le bleu du ciel est d'une couleur jaunâtre comme si un peintre avait donné de grands et larges coups de pinceaux. Le soleil bientôt apparaît comme un disque rouge surnageant les eaux d’un lac. Les chars de provisions se rendant au marché d 'Anvers me tirent de mes rêveries…

       Ce jour-là, nous recevons l’ordre des docteurs de noter le nom de l'officier, étranger au service sanitaire, qui nous donnerait des ordres sur le champ de bataille. Ceci pour prévenir les abus qui ont existé lors de la bataille de Haecht.

       Le vendredi 4 SEPT vers 11 h, nous arrive l'ordre de nous tenir prêts. Ce fut une fausse alerte. On racontait que des espions étaient entrés dans les environs d'Anvers .

       5 Septembre : Départ de Ranst pour le Kiel .

       Samedi vers midi, la division part dit-on, pour Zwyndrecht au-delà de l'Escaut. Vers 4 h nous arrivons à Anvers que l'on traverse. On peut remarquer ici que la guerre n'y est pas encore venue. Nous arrivons au Kiel où nous stationnons sur le terrain de football. Immédiatement, on nous met à la corvée patates. Les femmes toujours curieuses sont embrigadées pour la séance d'épluchement. Enfin, le soir arrive, on doit cantonner. On nous mène vers une fabrique de biscuits de la rue Basschaert. Une demoiselle trop curieuse vient voir ses voisins. Avec des amis, nous nous approchons de l'oiseau pas trop timide, et en vrais soldats, nous prenons l'offensive… pour avoir un lit. Après des formalités Mademoiselle Louise Ozeel n° 144, nous ouvrit le bon gîte de Deroulède. C'était chez un patron ouvrier que nous étions logés. Vite, on est de la famille malgré les difficultés de la langue. Je ne sais, mais une flèche avait allumé un incendie dans un cœur… On blagua un peu, le voisin qui était venu passer avec nous la soirée mais je ne sais… arrêtons et n'insistons pas.

       Dimanche 6 SEPTEMBRE : Sept heures nous fit sortir du lit hospitalier. Avec un sac plus lourd que la veille, nous rejoignîmes la colonne. Onze heures : la soupe et en rangs par quatre nous partons pour Vremde où nous campons, répartis dans trois fermes. Je me débine dans un petit ''kotje" plein de sacs vides où l'on passe la nuit bien au chaud. On est en septembre et les nuits deviennent froides. On fait connaissance avec les gens du " kotje". Famille nombreuse qui fait connaissance de la misère du soldat. Quel pays, ces environs d'Anvers ! Notre commandant est obligé de payer sa chope à l’avance .

       Mardi 8 SEPTEMBRE : Après-midi, on part pour Ranst. On en profite pour revoir sa petite Bertha pour ne pas s’ennuyer. Mais l'après-midi, c'est une succession d’ordres et de contre-ordres et nous sommes dispersés comme des moineaux, une partie à la gendarmerie, une autre sur la route de Lierre. Le soir, je reçois l’ordre du major de rassembler la colonne. Appel et départ à 9 heures dans la direction de Louvain. C'est encore une marche de nuit. Par Lierre, on arrive à Heyst-op-den-Berg .

       Mercredi 9 SEPTEMBRE : Vers les 8 heures nous arrivons à Schrieck où les Allemands étaient déjà venus. Il est l1 h l/2, le premier coup de canon est tiré de Tremeloo sur Werchter. Bientôt un groupe de nous part pour Tremeloo, ce sont ceux de Malines. Malgré que je sois d’Anvers, j’accompagne le docteur Dubois. Il est l h l/2, nos artilleurs s'en donnent à cœur  joie. Ils bombardent Werchter, son église et la brasserie "Jack op". Quelle ruine ! Le village a été systématiquement incendié ; des deux cents maisons, à peine en reste-t-il 10 debout. Un Allemand blessé est difficilement sauvé de la rage qu'une telle destruction a engendrée chez nos soldats. Quelques prisonniers arrivent. (Note : Informé le 7 septembre de la bataille de la Marne en cours, le roi Albert prescrit la 2e sortie d'Anvers. Mise en place le 8 septembre, le 9 septembre la 2 DA attaque à l'est de Werchter vers Wesemael)



       Nos artilleurs sont à leur 900ème obus. Quelle joie pour eux ! Vers sept heures, nous partons relever quelques blessés à Werchter. M'égarant au retour, je reviens seul à Tremeloo, où je peux encore soigner un blessé.

       Force me fut de dormir dans les ruines d’une grange. Détail à noter : le café en face de l'église montrait le système qu'employaient les Allemands : ceux-ci amoncelaient tous les meubles au milieu de la salle avant de les asperger de pétrole et d’y mettre le feu. Le café avait pu échapper par miracle à la dévastation.

       Jeudi 10 : Départ très tôt pour Bael d'où il me faut revenir à Tremeloo. Nous attendons entre Tremeloo et Werchter. Le combat se rapproche de Louvain. Derrière nous les Grenadiers préparent leurs tranchées. Nous, nous faisons du camping, de la vie de bohème. Vers midi, nous traversons Werchter où la "Jack op" nous désaltère. (voir croquis)

       Arrivés au canal, une plaine qui avait servi de champ de bataille il y a quelques semaines se dessine ; ce sont des débris de campement, des vaches tuées, une tombe commune de quelques Carabiniers cyclistes belges morts pour la patrie, des cadavres d’Allemands à peine enterrés et rongés déjà par les rats. Tristesse… J'omets la visite de l'école-couvent de Werchter où dans la chapelle momentanément transformée en salle de festin, les restes d'un plantureux repas orgie de guerre, nageaient dans les vins répandus sur un drapeau belge servant de nappe ."Mané, Thécel, Pharès", nos obus avaient surpris les convives…

       La plaine était dominée par la route vers la gare de Rataelaer où les convois de l'arrière d'une division restaient stationnaires : fourgons de ravitaillement, R.M.A., R.M.I., colonnes d' ambulances etc

       On nous appelle – au pas de gymnastique – vers Rotselaer où disait-on, il y avait des blessés. Un Guide à moitié mutilé gisait entre les billes du chemin de fer et les maisons environnantes étaient remplies de blessés. Tout à coup, la colonne est prise de panique, des shrapnels et des obus tombent à quelques mètres et dispersent la colonne aux quatre vents. Nous restons à 20 avec le commandant Detournay. Nous explorons la gare et les environs sans rien découvrir, hormis des restes, dans le bureau du chef de gare. Nous repartons vers Wesemael et Betecom passés également par le feu et la flamme. Grâce au Dr Doutrebande je parviens à obtenir un lit chez le secrétaire communal où l’on passe une nuit exceptionnelle.

       Vendredi 11 : Le matin, à tout hasard, j’achète du sucre, du café, de la chicorée et nous partons en arrière de Betecom. Il est huit heures. Je fais un peu de café et les docteurs tombent sur mon refuge et me chargent de préparer leur dîner. A la fortune du pot, je prends une poule, des légumes et on dîne plantureusement pendant que les autres restent dans les briqueteries près du passage à niveau.



       Au loin, le canon tonne sur Louvain. Le soir, on revient à Betecom et c'est une nouvelle nuit exceptionnelle qui commence. Mon avenir dans la colonne s'est éclos aujourd'hui.

       Samedi 12 : Le soleil sanglant nous fait quitter le lit. Il est environ 5 heures du matin, nous nous dirigeons vers Wesemael-Rotselaer où le combat bat son plein. On atteint entre les collines boisées qui dominent Wesemael. On regarde le combat qui se déroule dans la plaine. Vers 9 heures nous arrive 1'ordre de nous tenir prêts. Quarante brancardiers sont conduits en auto vers le champ de bataille. J'étais de la troisième voiture. Nous arrivons à l'entrée du parc. Les balles sifflent nombreuses, les vitres de la 1ère auto sont brisées.


       Les blessé sont chargés dans les voitures. Je place sur un brancard un maréchal des logis de 1’artillerie blessé à l'épaule (omoplate cassée). Il était presqu'inanimé. On ramasse quelques blessés de l'infanterie. A défaut d’attelles, je place ma main sous l'épaule pour le soulager et nous partons à toute vapeur pour Aerschot sur le marchepied de la voiture. Arrivé à l'église, j'entrevois par la porte brisée de celle-ci des cierges allumés. Aerschot ressemble au spectacle de Tremeloo... A l’entrée d'Aerschot, les Chasseurs en réserve creusaient des tranchées.

       Pauvre maréchal des logis, si courageux malgré la souffrance. Il me montre sa femme et son enfant dans son médaillon. J'essaie de le consoler. Après l'avoir mis sur la table d'opération, je reviens à la hâte avec l'auto. Arrivé près de la petite chapelle, je me dirige vers le champ de bataille à pied.

       Les brancardiers ramènent blessés sur blessés. A 1’abri du pignon d'une maison, je fais quelques pansements et je continue ma route en avant. Impossible d’avancer. C'est un brouhaha de chars, des caissons de M.I. veulent avancer, des C.N.H. veulent reculer, et des voitures d'ambulances, l'artillerie se meut au galop.

       Quelle cohue et bientôt, c'est la panique ! L'infanterie débordée abandonne ses positions. Un opérateur cinéma suit les opérations. En un mot, c'est la retraite : "la déroute sanglante…"

       Chacun se sauve, les blessés emplissent la chapelle et l'école. Néanmoins, je suis le mouvement de repli. Il faut avoir vécu ces heures pour comprendre combien elles sont fiévreuses et angoissantes. A Wesemael, un peu en arrière du village, le Q.G. essaie de remettre un peu d'ordre. La gendarmerie charge l’infanterie en retraite !  Le moment est inoubliable, sanglant et grandiose. Bientôt, l'artillerie, ayant changé de position remet vite de l'ordre en faisant battre en retraite les Allemands à leur tour. Quant à la colonne d'ambulances, elle se reforme à l'arrière et se met en marche vers Betecom. Le père Grégoire était mortellement blessé à Aerschot. A Betecom, toute l'après-midi c'est un va-et-vient de blessés dans l'école des sœurs. Que c'est triste ! Nous devons enterrer plusieurs morts. Le sixième revient à Betecom à la tombée du jour. Leur défilé ma répugne à cause de la déroute de ce matin, pourtant ils n'en peuvent rien.

       Sept heures et demie, nous étions à peine couchés depuis quelques minutes que l'alarme de la retraite générale sonne. (Note : le 12 septembre a lieu une contre-offensive allemande vers Wesemael et Werchter. La 2 DA reçoit l'ordre de se replier vers le camp retranché d'Anvers.)

Il pleut à verse. On part vers Heyst-op-den-Berg sous un ouragan providentiel qui protège notre retraite. Il est une heure du matin lorsqu'on arrive à Heyst, canards humains qui cherchent maintenant à se caser quelque part Tout dort dans le village mais bientôt tout s'éveille et je parviens tout mouillé à me faufiler dans un fenil.

       Dimanche 13 : Départ le matin vers Aerschot et vers midi , sous un chaud soleil, nous rentrons clopin-clopant à Ranst où Bertha nous fournit à Decoster et à moi-même un bon matelas pour oublier les fatigues des jours précédents.

       A Lierre, nous apprenons que le Roi a pleuré en brisant plusieurs épées d’officiers supérieurs embochés.



Lundi 14 : Les docteurs Dubois, Tilmans, les pharmaciens, en tout six hommes me demandent pour être leur cuisinier. Nous nous installons chez Vanderhaeghen, instituteur à Ranst, et avec l’aide de Godelieve et de Marceline, je deviens cordon bleu.

       Mardi 15 : On célèbre une messe pour le repos de l’âme du Père Grégoire mort la semaine dernière à Aerschot.

       Du 13 au 21 : Je suis à Ranst pendant le jour chez Vanderhaeghen et chez Bertha avec Decoster pendant la nuit.

Le Samedi 19, un soldat tue son ami et en blesse deux autres en nettoyant imprudemment son fusil.

       Le Mardi 22 : Le cinquième régiment part la nuit. Le matin, l'ambulance part pour Kessel. Je fais la cuisine dans un café. A défaut de nappe, on prend un drap de lit. En chemin, on traverse les prairies inondées de la Nèthe. Le cinquième régiment est en grand’ garde à Berlaer. Vers le soir, nous retournons vers Ranst, musique en tête. Quel effet mystérieux produit "Sambre et Meuse" ! On rentre le soir à Ranst.



       Mercredi 23 : Repos à Ranst. On nous montre les nouvelles autos-ambulances avec brancards. Elles ne sont guère pratiques, pourtant c'est déjà un progrès.

       Jeudi 24 : On célèbre une messe pour les soldats de la cinquième brigade morts pour la patrie. On parle d'un départ possible.

       Vendredi 25 : Départ de Ranst pour Vieux-Dieu-Edeghem. On dine rapidement. La musique du 5 ouvre la marche. Je couche à Edeghem dans une grange avec le docteur Thiry qui se fait difficilement comprendre des Flamands.

       Samedi 26 : Je trouve moyen d'installer ma cuisine dans un café où était réfugiée une Malonnoise que draguaient Philippart et Verhaegen quand soudain surgit en voiture son mari. Celui--ci était instituteur à Namur et s'appelait Collaerd. Quel tableau s'il était arrivé un jour plus tard !

       Ah ! les femmes ! C'est le serpent qui sous le charme vous caresse et vous amuse, mais retirez ce charme et l'enchantement disparaît et alors gare aux morsures !

       En face de mon logement se trouvait la grotte de Notre-Dame de Lourdes, qui très jolie me rappelle la grotte de Chastres.

       Dimanche 27 : Nous sommes encore à Edeghem où le perron du château nous sert d’autel. Le midi, le diner est un peu bouleversé par le départ. Nous marchons vers Contich où les docteurs sont cantonnés dans le château de Madame Liebeck. Les fugitifs arrivent de Malines où les Belges se battent avec ardeur.

       C'est un va-et-vient de troupe, d'artillerie, qui fait prévoir de grands événements. Cela n'empêcha pas de fêter le soir l'arrivée des docteurs Rambout et Mansellier. Insouciance du lendemain ! Je passe la nuit dans l'orangerie du château.

       Lundi 28 : La nuit, la colonne était partie sans tambours ni trompettes. Sur le vélo du lieutenant Witackers, je pars à la recherche de la colonne et je les retrouve à Waelhem. En route, je remets à sa place un major du deuxième de Ligne qui m'avait interpellé grossièrement. Nous arrivons sur la place de Waelhem.

On était occupé d'évacuer l’hôpital. Dans le fond du village, le canon fait rage et bientôt la terre tremble, les vitres se brisent, le fort vient de tirer son premier coup.

       La colonne part pour Duffel en arrière du village. Les Allemands bombardent Duffel. Les paysans affolés s'enfuient. J’installe ma cuisine chez des réfugiés de Malines qui sont occupés à faire leur voyage de noces. Ils s'étaient mariés samedi. Ils se souviendront de leur lune de miel

       Le bombardement des forts de Wavre-Ste-Catherine et de Waelhem continue. La poudrière de Wavre-Ste-Catherine a sauté. Une heure après, apparaissent quelques artilleurs affolés et dans quel état !  Le soir, nous partons pour Linth où nous trouvons à dormir dans le foin.

       Mardi 29 : Nous restons à Linth mais vers dix heures, nous repartons pour Duffel. Les ballons captifs allemands surveillent nos positions. C 'est toujours le même spectacle : réfugiés qui s’en vont et qui viennent comme quelqu'un à l'agonie qui se dispute avec la vie. Dans le lointain, plusieurs incendies sont allumés mais l'un d'entre eux attire mon attention. C'est celui du couvent de Wavre-Notre-Dame. Nous retournons coucher à Linth où je me retrouve avec les volontaires et les bleus de la classe 1914.

       Mercredi 30 : Vers 4 h quart du matin, nous repartons pour Duffel. Nous sommes obligés de dîner rapidement. L'armée se retire sur la Nèthe. La grosse artillerie française va prendre position au galop en arrière du village. C'est à nouveau la panique dans la population. Je perds mes batteries de cuisine et je reste seul en plan ! Egoïsme, va ! Le métier de cuisinier me dégoute, aussi à la première occasion, vais-je m'en débarrasser !

       Nous partons pour Edeghem par Linth et Hove. En route je croise les volontaires qui eux ignorent la situation et chantent en veux-tu en voilà, des marches patriotiques. Leur enthousiasme n'est pas encore émoussé par les gaz de la poudre !

       Nous arrivons la nuit à Edeghem où je trouve à loger à l’ancienne auberge du village.

       Jeudi 01 Octobre : Je réinstalle donc ma cuisine dans l'auberge où les propriétaires s'apprêtent à évacuer les lieux après avoir caché ce qu'il y a de plus précieux : vin et liqueur. Une mauvaise pensée s'empare alors de moi et qui aurait été réalisée si j'en avais eu l'occasion, mais notre départ l’après-midi pour Wilryk par Vieux-Dieu contraria mes recherches ! Arrivés, nous logeons au couvent et apprenons la nouvelle de la victoire de la Marne.

       Vendredi 02 Octobre : Je vais manger chez une femme dont le mari a été tué à la retraite de Namur. Je m'étonne de me retrouver déjà en octobre et c'est avec amertume que je repense au temps jadis dont on ne sait s’il reviendra !

       Une lettre d'Aimé Dumont me remonte un peu le moral. On repart de nouveau pour Duffel, mais on revient à Wilryk pour huit jours. A la tombée de la nuit, un nouveau départ nous entraîne pour Zwyndrecht. Nous repassons à Kiel où je m'empresse d'aller serrer la main à Louise et à sa famille. Nous traversons Kiel, Hoboken et nous stationnons près des tanks à pétrole où se trouve le pont de Burght que nous allons traverser. Il est l h l/2 lorsqu'on peut éveiller les gens de Melsele et trouver sur deux chaises un repos bien mérité.

       Samedi 03 Octobre : Six heures du matin, le froid me gagne et m'oblige de quitter un si doux lit. Une colonne de gendarmes traverse la ville. Je revois Gilleaux et deux gendarmes d'Hanzinne. Par eux j'apprends pour la première fois ce qu'il est advenu de Tarcienne et de mes parents. Cela me fait grand plaisir. Nous partons pour Beveren-Waes. En route, je rencontre des détachements du premier chasseur de forteresse. Bonne affaire me dis-je, je vais revoir Oscar. La garde de police m’informe du cantonnement de mon cousin (Note : Oscar Pourignaux :  voir sa lettre du 8 juillet 1917). Après avoir préparé notre installation pour la nuit, je parviens à sortir de la caserne du deuxième Guide et à rencontrer Félicien au lieu d’Oscar qui était de garde .

       Dimanche 04 Octobre : Je trouve une occasion pour me débarrasser des docteurs. C'est ma vengeance du 30 septembre. En rentrant de la messe, je trouve mes camarades en train de s'habiller en costume de Guide. J’en profite également pour transformer mon équipement. On pille, c'est le vrai mot, ce qui restait d'équipements aux dépôts.

       Oscar est à nouveau de garde, je passe l'après-midi avec Félicien. Le soir vers six heures, je viens surprendre Oscar à la distribution des patates. Tout d'abord , il ne me reconnaît pas. Il fait nuit et on fixe un rendez-vous pour le lendemain. L'après--midi, passa une cinquantaine d'autobus anglais. Les Anglais : dernier espoir et suprême pensée ! Je rentre en retard à la caserne, et m'attends à huit jours de plomb…

       Lundi 5 Octobre : C'est lundi, on gratte ses p… Aussi le major passe l’inspection afin de s'assurer des responsabilités sur le pillage de la veille. "On ne les a pas équipés", voilà comme on s'en tire à l'armée et l'affaire entre dans le sac de l'oubli ! L'après-midi, je tire ma carotte et je file chez Oscar qui heureusement est en repos. Il me raconte Namur et la retraite.

       Mardi 6 Octobre : Grand nettoyage de la caserne ! Hélas on n’avait pas prévu que c'était pour les Allemands. Vers midi, nous partons précipitamment pour Vieux-Dieu. Je puis à nouveau serrer les mains de mes amis au Kiel. Nous arrivons juste après le départ des Tommies. A Vieux-Dieu, suivant le principe habituel, on tire son plan pour passer la nuit. Et c'est au son du canon des forts 4 et 5 qu'on s'endort dans la grande salle d'un café.

       Mercredi 07 Octobre : Le matin de bonne heure, au lever du jour, on furète sur la place pour trouver de quoi "bouffer". Je  revois Edmond St Hubert d'Yves et avec lui, on sirote quelques "vieux" pour faire passer le ver matinal.

       C 'est à peine si on cherche de l'eau pour débarbouiller nos visages pleins de poussières. Vers huit heures rassemblement et départ pour Wilryk. Nous stationnons toute la matinée dans la route de ceinture des forts. Les troupes de forteresse appartenant aux secteurs nord repassent. J'aurais voulu revoir et serrer la main à Gustave Massart, mais la colonne se remet en marche vers Berchem où nous sommes casernés à la caserne du génie. On dirait un pensionnat à la veille d'un départ en vacances. On déménage : c’est par centaines de kg qu'on jette la tonite dans les ruisseaux des environs . On brûle, on détruit ce qu’on ne sait pas employer. Nous, nous profitons du désordre pour partager ce qui reste des mets pour soldats et officiers. Bref, c'est un brouhaha. On sort un peu à Berchem. Le canon allemand se tait, serait-ce le calme précurseur de l'orage ? Je dors au premier avec comme voisin le vicaire de Mettet et d'autres du pays.

       Jeudi 08 Octobre : Minuit, un obus sur la caserne nous réveille. C'est le bombardement de 1’enceinte qui commence. Berchem est bombardé. Brouhaha général, les plus timides descendent dans les caves. Je suis le mouvement, mais je remonte bien vite m'endormir jusque quatre heures du matin. A ce moment, le bombardement est devenu tel que je suis obligé de descendre dans 1a cour.

       J'apprends que plusieurs soldats ont déjà dû être enterrés. Cinq heures et demi, il y a un appel aux volontaires pour faire une inspection dans la ville. Des morts traînaient dans les rues, il fallait coûte que coûte aller les chercher. Le bombardement causait à chaque minute des démolitions d'immeubles. Malgré cela, j' y vais avec les autres. On revient presqu'aussitôt avec deux cadavres civils déchiquetés. Un obus avait démoli la piscine (Note : pissotière) d'une grande avenue et les deux hommes avaient été lancés contre les immeubles.

       On retourne à nouveau dans Berchem. Une de nos voitures va chercher une femme venant d'accoucher. Quand nous revînmes déjeuner, l’Etat-Major anglais avait établi son Q.G. dans la cour de la caserne mais un obus non mortel le fait vite rentrer à 1' intérieur...

       On doit partir. J'oublie : hier soir, on nous communiqua l’ordre journalier : mourir ou être prisonnier, c'était la consigne ! Cela donna à réfléchir, la 2 D.A. était sacrifiée. (Note : le 6 octobre avait été donné l'ordre de repli vers la côte de l'ensemble de l'armée belge de campagne sauf pour la 2 D.A. e t la division navale ang1aise qui devaient rester sur place avec les troupes de forteresse et les garnisons des forts. Dès le 7 octobre au matin toute l'armée belge de campagne était sur la rive gauche de l'Escaut. La nuit du 7 au 8 octobre commença le bombardement de la ville d'Anvers. La 2 D.A. et la division navale anglaise franchirent l'Escaut dans la soirée du 8 octobre sur les ponts de bateaux de Burght et du Steen échappant de justesse à l'encerclement. Les unités de service de ces deux divisions avaient évidemment franchi ces ponts de bateaux plus tôt dans la journée. Seules des fractions des colonnes de munitions et d'ambulances étaient restées à proximité immédiate de ces deux divisions. Le 9 octobre au soir, l'armée belge de campagne était ralliée sur la rive ouest du canal Gand- Terneuzen alors que les Allemands qui avaient franchi l'Escaut entre Termonde et Gand à Schoonaerde marchaient sur Anvers en tournant le dos aux forces belges échappées d'Anvers. Le 10 octobre toute la résistance cessa dans la place forte d'Anvers. Environ 34.000 hommes – surtout des troupes de forteresse – se replièrent vers les Pays-Bas où ils furent internés jusqu’en 1918.)

       Qu'allions-nous devenir ? L'ordre nous arrive de gagner le centre de la vi l le et on arrive vers onze heures au "Steen". En attente... Les bassins étaient pleins de réfugiés qui s'embarquaient pour gagner la Hollande. Le débarcadère de la "tête de Flandre" était noir de monde. Les bateaux de passage fonctionnaient rapidement. Seul, le grand pont de bateau était réservé à la troupe.

       Tout à coup, un mouvement de bagarre dans les docks ? Non, un bateau boche est pillé. On suit le mouvement. Je m'empare de deux flacons de vieux, d 'une boite de cigares, du fromage etc …des provisions.

       Enfin vers trois heures, nous arrivons à la " tête de Flandre". Grande fut ma joie d'avoir passé l'Escaut au moins me voilà vivant et capable pour battre en retraite. Le coup d'œil est impressionnant. Anvers bombardé, les shrapnels atteignent la cathédrale, les obus tombent sur la ville. Au sud, les tanks à pétrole brulent et le pont de Burght est comme une barrière de flammes à l'envahisseur. Je grimpe sur une auto de boucherie pleine de monde et j'arrive avec mon chargement à Beveren-Waes. En vain, je cherche d'aller serrer la main d'Oscar et lui dire qu'il était temps de partir, mais le gendarme de la colonne m'oblige de marcher vers St-Gilles-Waes. Quelle cohue ! Quel triste spectacle que cette procession de réfugiés ne sachant pas vers où se diriger. Les uns sont accompagnés de charrettes à chiens, les autres portent leurs biens sur des brouettes et certains ont des matelas sur la tête. Que c'est triste, il faut l'avoir vu. Un tel spectacle nous aurait écœuré si la guerre était encore à ses débuts ; mais chacun à l’heure de la fuite est égoïste et ne regarde pas le malheur d’autrui.

       Où allons-nous, et qu'allons-nous devenir étaient les questions que chacun se posait. Les plus fatigués nous demandaient conseil. Que répondre ?  Nous partions en France en réserve générale des armées anglo-françaises... Réponse sans doute illusoire mais qui nous permettait de nous donner un coup de fouet et nous encourager pour la marche.

       Entre Beveren-Waes e t St-Gi l les, je fus rattrapé par 1’ordonnance du vétérinaire avec qui je partageais la voiture : une gracieuse demoiselle se sauvait avec nous. Il est huit heures du soir quand on arrive à St-Gilles-Waes. Malgré les protestations du patron, nous préparons notre souper à trois avant de retrouver la colonne. Alerte ! A peine avons nous terminé la boîte qu'on nous annonce des Uhlans à St-Nicolas. C'est donc à nouveau un départ précipité vers l’inconnu. Moi je reste à l'arrière avec Kessel et la demoiselle. C'est au moins à cinq km de St-Gilles qu'on rattrape la colonne. En chemin, pour ne pas me refroidir, je roule sur le vélo réquisitionné.

       Au sortir d'un village, le cycliste délégué nous apprit que des patrouilles rôdaient dans les environs et que la prudence était de rigueur. On fit marcher les chevaux et rouler les convois dans le sable et le commandant nous donna l'ordre de fuir en Hollande au signal de son éventuel coup de révolver. Avec mon vélo, je prends les devants ou je reste à l 'arrière car suivre la colonne est trop fatigant.

       Nous sommes ainsi plusieurs cyclistes. Nous pouvons ainsi nous ravitailler en provisions. Dans une maison, au milieu d'un dortoir de réfugiés nous trouvons une pinte de lait. En un moment, vers le matin, nous atteignons la frontière hollandaise. Un combat qui dure peu se fait en moi, vais-je passer ou continuer ?

       J'en avais assez, car la fatigue était grande. Néanmoins on continue. J'obtiens du tabac à des soldats hollandais. Une Belge me donne à boire ainsi qu'au camarade, on trinque avec les sentinelles hollandaises avant de se remettre en route vers Selzaete où on arrive vers 7 heures du matin.

       Vendredi 09 Octobre : Le Roi et La famille royale venaient de quitter Selzaete à l'aube. Nous devons y rester encore cinq heures avant de pouvoir passer. On se lave et on recherche des vivres . Une bonne vieille dame dans un bateau se transforme en une fée au bon gîte. On se lave, on mange comme des princes, son neveu avait été tué à 1a guerre !

       Vers midi, c'est le départ vers Bassevelde où l'on dort à la brasserie. Il était temps, il y avait parmi nous une grande fatigue, la colonne éparpillée par la retraite ne comptait plus que 150 hommes.

       Samedi 10 Octobre : On ne s’occupe plus de nous car nous avons pris trop de retard ! Nos vivres d'Anvers sont épuisés, avec le dernier train en partance nous gagnons Bruges "la Morte" devenue avec la retraite bien "vivante" !

       Quel le cohue ! Réfugiés, soldats, canons, transports etc… Moi, je quitte la colonne et cherche une auberge pour me reposer.



 

 

 

 

 

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] H. Bernard, "De Marathon à Hiroshima - Vingt-cinq siècles d'Art et de Pensée Militaires", 1948, Tome I.

[2] La 2 DA (deuxième division d'armée) participait à la défense de la position Gette. Elle était déployée en second échelon à  proximité de Winghe-St-Georges.



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